Chapitre 53B: juillet - octobre 1804

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Le vœu de Marie en resta là, et nous ne bougeâmes finalement pas de Rouen durant ces deux mois particulièrement chauds. En fait, pour nous, l’été ne changeait rien à nos habitudes, si ce n’est que nous restions enfermés dans la maison pour nous protéger de la chaleur, et que les plus jeunes supportaient souvent mal ce manque de promenades. Nous retrouvâmes ainsi Louise – Marie et Frédéric s’amusant dans leur chambre sous un drap que leur avait tendu entre deux chaises Alice. J’avais l’impression qu’ils devenaient de plus en plus complices. Nous fîmes en septembre le point sur nos robes pour le mariage d’Auguste, qui aurait lieu au début du mois prochain, en l’église Saint –Maclou. Ma belle-fille qui venait d’avoir trente ans à son tour, me demanda mon avis sur un éventuel passage au pantalon et la possibilité d’effectuer la première coupe de cheveux de Frédéric, encore loin d’avoir trois ans, pour cette occasion.

—''Demandez à Léon-Paul avant de prendre une décision. Il vous dira si il juge raisonnable de prendre un petit peu d’avance. Si vous voulez, je peux le faire a votre place.’’

J’allais donc voir mon fils lorsqu’il rentra du travail. Il me répondit en levant les yeux au ciel.

—''Quel âge a t-il ? Il n’a pas trois ans ?

— Non, c’est pour ça que je vous demandais. Vu que Auguste se marie dans un mois, on se disaient...

— A oui… Pour le mariage. Non, il faut attendre. Ce n’est pas raisonnable de précipiter les étapes maman. Dites, c’est Marie qui vous a envoyé ?

— Oui. Pourquoi ?

—C’est juste qu’elle m’agace quand elle fait ça.’’

Malou devait normalement arriver vers le vingt-neuf septembre à la maison, aussi on avait demandé à Jeanne de ne pas perdre de temps en préparant d’avance la chambre pour eux cinq et faire tous les lits. J’avais terriblement hâte. La petite famille arriva pendant notre souper, un peu plus tard que prévu, le soir du premier octobre. Il n’étaient que trois, finalement. Armand, Malou, et Marie – Louise, l’aînée de leurs filles de cinq ans et demi, qui avait beaucoup grandi. Le père de famille, toujours aussi distingué et soigné malgré les années qui se marquaient doucement sur son visage et ses cheveux, sembla confus.

—‘’ Je suis désolé de vous avoir fait prévoir plus que nous ne sommes finalement venus, mais nous avions oublié qu’Amand et Bernard devaient faire leur rentrée prochainement.’’

—‘’ Ça ne fait rien, mais j’ignorais qu’Amand était au lycée ?’’

—‘’ Si, si, enfin, pas encore tout à fait… Nous avons essayé de le rassurer en avançant l’argument qu’il sera avec son frère. Mais après tout, il a quand même sept ans et demi.’’

Nous allâmes leur montrer la chambre qu’ils occuperaient durant leur séjour, où nous avions fait déplacer et remplir le baquet pour qu’ils puissent se remettre de leur long périple. Ma petite – nièce eu le privilège de choisir son lit, parmi les trois que nous avions installé normalement prévus pour ses frères. Elle était mignonne, et assez douce.

Le soir, nous envoyâmes les enfants se coucher tôt et nous prîmes un souper que les hommes arrosèrent abondamment, de bonnes bouteilles de vin rapportées par Armand, et de Calvados acheté par Léon – Paul. Pendant le déjeuner, Malou nous rapporta qu’elle, son mari et sa fille avaient souffert du froid durant la nuit, et qu’ils avaient dû chercher la chambre de Jeanne de façon à ce qu’elle remette du bois, en vain, ayant chacun trop peur de réveiller la mauvaise personne. J’en parla à Léon – Paul le soir même lorsqu’il rentra du travail et sa réponse fut sans équivoque.

—‘’ C’est normal que venir ici leur paraisse étrange, il y a des billets de cent francs à la place de leur tapisserie… Je me mis a sourire. Non mais, ce n’est pas faux, enfin, vous comprenez ce que je veux dire ! Je suis sûr que chez eux on alimente énormément et continuellement les cheminées. Vous connaissez bien ma restriction, que je fais des économies notamment sur le bois, en alimentant les principales cheminées une seule fois par semaine. Il aurait fallut leur expliquer que chez les Aubejoux, on se couvrait et on empilait les couvertures pour ne pas avoir froid. Jamais personne ne se plaint ici, je ne vois pas pourquoi eux le ferait.’’

Au lendemain, Malou s’affaira à nous montrer la robe qu’elle avait fait acheter à sa princesse, pour le mariage d’Auguste. Un splendide vêtement, blanc immaculé. Je trouvais cela pénible de devoir sortir un vieil habit, même en bon état, de se sentir pauvre, face à sa propre nièce, qui, il y a encore une dizaine d’années, vivait la même situation que vous. Les deux jours qui suivirent, Malou alla notamment voir son frère aîné, nous nous rendîmes au cimetière, à l’église, en promenade avec les quatre enfants. Si elle ne passa pas trop de temps avec Alice, pourtant du même âge, Marie-Louise joua les petites mamans avec Frédéric.

Je me plaisais à l’imaginer chez elle, à cajoler ses sœurs et son bébé de petit frère. Sa mère me raconta que plus tard, l’enfant n’avait d’autre vocation que de faire ‘’ comme maman ‘’ et d’avoir ‘’ plein d’enfants’’. En attendant, elle apprenait la lecture, l’écriture, et le piano avec un professeur. Son éducation se ferait à domicile, et peut – être passerait t-elle quelques années par le couvent, entre douze et seize ans, mais ça, ce ne serait de toute manière pas pour tout de suite. La certitude me rapporta Malou, c’est que si Marie – Louise y allait, ses trois sœurs devraient suivre, pour donner les mêmes chances a toutes, peu importe leurs projets futurs. Le quatre octobre au matin, ma nièce manqua de faire brûler les cheveux de sa fille au fer à boucler, en tentant sur elle les anglaises que Madeleine, la nourrice restée à la maison, réussissait toujours si bien.

L’enfant se rendit finalement au mariage de son oncle les cheveux attachés simplement, sous un chapeau. La cérémonie se déroula sans encombres, Élisabeth était une femme brune assez charnue, aux courbes peu gracieuses et aux traits grossiers me laissant penser à une paysanne. Sur la première rangée de banc, assis sagement près de leur grand – mère et de leurs cousins en remuant leurs jambes, Marie – Léonie et Auguste fils, que le temps faisait grandir à chaque nouvelle fois que je les voyais. Deux jeunes femmes que je ne connaissais pas apportèrent les alliances, et l’union fus conclue à la mairie une heure plus tard. Lorsqu’elle s’exprimait dans son patois campagnard, on ne comprenait rien, ce qui limita énormément nos échanges. Chez elle on savoura les noces, le logis de son ancien mari dans un petit village en périphérie de Rouen perdu dans la campagne, où une vieille bonne servait aux invités alcool et saucisses.

Mon neveu nous rejoignit dans la discussion alors que nous tentions d’établir une communication avec la jeune femme, qui me parut assez forte de caractère, parlant fort et n’hésitant pas à taper du poing sur la table. Ça m’inquiéta assez car mon neveu était sensible et il n’aurait peut - être pas su gérer une mauvaise rencontre, une épouse trop caractérielle, mais Malou me rassura en me disant de ne pas m’inquiéter. En un dîner, nous sûmes un peu de son passé, de sa vie antérieure, grâce notamment aux bouts de papier et journaux qui nous permirent de visualiser son dialecte pour essayer de déchiffrer.

Fille unique née en 1776 de parents paysans sans le sou, elle avait perdu sa mère à neuf jours en couches et son père à trois ans de circonstances qu’on ne lui avait jamais rapporté. Élisabeth avait donc été élevée par une lointaine parente, qui l’avait mariée à dix – neuf ans à un espèce d’escroc complètement fou et alcoolique. Tous les deux n’avaient pas eu d’enfants. Celui dont elle ne lâcha pas le nom de toute notre conversation avait fini par mourir ‘’ au fond du puits ‘’ il y a quatre ans. La maison venait d’être cédée et Élisabeth n’attendait plus qu’une signature pour venir s’installer avec son nouveau mari, avec laquelle je ne le sentais pas trop à l’aise. Lorsqu’elle nous informa de son illettrisme, mon cœur se mis à redoubler de battements. Seigneur, avec quel type de personnage venait t-il de signer une union pour la vie ?

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