Chapitre 53E: décembre 1804
Et puis, en début d’après-dîner du vingt et un décembre, ce fut le soulagement ultime. La voiture quitta bientôt la route, s’engagea dans une longue allée bordée de piquets de vigne, passa par un grand portail noir que le cocher alla ouvrir de ses mains et s’arrêta dans une immense cour, deux dépendances jouxtaient la grande maison bourgeoise qui se tenait devant nos yeux. D’un seul coup, l’impatience de Alice se canalisa, car l’intimidation pris le dessus. Sur l’insistance d’Armand, nous laissâmes le cocher descendre nos malles, et il passa devant nous par simple galanterie pour nous ouvrir la porte de chez lui. C’est sur des pleurs que nous fîmes connaissance avec la sixième de la fratrie, car en poussant la porte, Armand l’avait renversée, elle qui s’accrochait alors à la poignée.
— Eh bien Marie-Laurence ! Ne reste donc pas derrière la porte. Il s’adressa à une femme proprette en tablier. Tout va bien ?
— Oui monsieur. Je m’en occupe.
Cette femme, qui devait être une nourrice, et qui portait d’ailleurs déjà le petit dernier dans ses bras, récupéra la brunette de deux ans pour l’emmener plus loin. Nous croisâmes Malou pendant que son mari nous faisait la visite d’usage. Elle enlaça son mari qu’elle n’avait pas vu depuis dix jours, nous salua et nous suivit dans la visite de la maison. Armand, devant sentir le relais pris, s’éclipsa. Pendant que nous marchions derrière elle dans l’ascension du grand escalier, elle continua de nous donner des explications.
— Bernard et Amand sont encore au pensionnat. Armand doit aller les récupérer au matin du vingt – trois décembre. Sinon, vous découvrirez notre vie de famille au fil des jours, je ne crois pas que ça changera trop de la vôtre. Nous arrivâmes sur un palier, et elle déverrouilla une porte, qui donnait sur une pièce lumineuse et qui sentait bon, où trois lits avaient été installés. Voici ce qui sera votre chambre pendant les quatre prochains mois. J’espère que vous saurez vous en contenter.
— Ne vous inquiétez pas, c’est parfait. Vous nous suivez Alice ?
L’enfant alla s’asseoir sur son lit, celui le plus proche de la fenêtre. Malou pris soin de laisser ouvert en sortant pour que le cocher puisse y déposer nos malles, nous nous apprêtions à redescendre.
— Vous venez Alice ? Ah oui, j’oublie l’essentiel. Les filles ! On vient saluer !
Quatre petites têtes brunes sortirent des chambres pour nous embrasser. Marie-Louise, la plus grande, portait avec toujours autant d’élégance ses anglaises qui lui tombaient en bas du dos, comme ses sœurs, logées à la même enseigne. Les jumelles, habillées de façon strictement identiques, me semblèrent à la fois très proches, mais aussi très différentes. Marie-Augustine, une enfant bien portante de quatre ans, n’hésita pas à venir prendre la main d’Alice pour aller lui montrer sa chambre, alors que Marie-Camille, sa sœur du même âge, resta coincée, les mains crispées dans celles de sa mère, qui lui caressait doucement la tête en déplorant.
— Ce que j’adorerais, ce serait la faire coiffer comme Marie-Louise ou Marie-Augustine, mais voyez – vous, elle n’a pas assez de cheveux, et ils sont trop fins. C’est une enfant particulièrement fragile, vous savez. Les médecins m’ont dit que j’avais de la chance qu’elle ait passé le stade de sa première année. Maintenant, avec son père, on tâche de faire de notre mieux pour lui rendre sa vie la plus agréable possible. Bon, nous allons voir le reste de la maison?
Elle nous montra la grande chambre qu’elle occupait avec son mari et leur fils de six mois, celle des deux garçons et celle des quatre filles, son autre pièce de couchage réservée aux visites extérieures, et nous montâmes dans les combles, où les deux domestiques et les deux nourrices avaient leur cuisine, et se partageaient deux chambrettes. La petite Alice vint me chercher, l’air toute gênée.
— Grand – mère… chuchota t-elle, comment dois – je faire si j’ai envie d’aller au pot de chambre ?
— Attendez, je lui demande.
Je me tournais vers ma nièce.
— Alice ressent une envie pressante. Pouvez – vous lui indiquer l’endroit d’aisance ?
Elle secoua la tête de haut en bas et conduisit ma petite – fille jusqu’à une chambre, où devait se trouver un pot de chambre. Nous redescendîmes ensuite au rez – de chaussée, qui comptait une cuisine, un grand salon au milieu duquel un piano trônait et aux étranges fauteuil, en réalité des ‘’ confidents ‘’ qui permettaient de discuter sans avoir à tourner la tête, et le bureau d’Armand fermé à clef, que nous aperçûmes cependant à travers la vitre, dans un endroit que le rideau ne couvrait pas.
Ma nièce n’eut pas assez de courage pour affronter le froid et aller nous montrer l’écurie et les dépendances, mais elle nous fis la promesse de nous y emmener au moins une fois pendant notre séjour. Comme la faim se faisait ressentir même parmi les enfants qui commençaient à descendre, nous passâmes à table, de toute manière le repas était prêt. Nous fûmes réuni autour de cette immense table, nous, Malou, Armand et les trois filles, car Marie – Camille, allergique aux œufs, avait pris son repas avant, par précaution. Après notre Bénédicité récité debout devant les assiettes, la mère de famille nous autorisa à nous asseoir et à nous servir. Ce midi - là, il y avait une omelette aux légumes avec de la salade verte au menu. Au moment du dessert, la domestique apporta un délicieux flan à la vanille.
Après le dîner, la nourrice monta à la sieste tous les enfants sauf Marie-Louise et Alice, et nous allâmes nous promener autour de la maison. Avant de quitter la propriété, ma nièce en profita pour demander les clefs des dépendances à son mari, et elle nous montra la salle de paume qui serait prochainement en service, pour Armand qui adorait y jouer avec ses amis à Bordeaux, et la future écurie avec un garage pour loger les deux voitures qu’il possédait, quasiment fonctionnelle, et beaucoup plus grande que l’ancienne, car son mari avait comme projet de racheter des chevaux pour les élever. Son travail lui dégageait énormément de temps libre, car il pouvait s’écouler longtemps entre plusieurs commandes de plans. Malou nous fis la promesse de nous emmener avec eux un jour visiter un des châteaux qu’il avait dessiné. Nous marchâmes entre les vignes, et Alice pu se défouler les jambes, contrairement à Marie – Louise, que ses parents interdisait de courir.
— Pourquoi ? Ne trouvez – vous pas cela un brin excessif ?
— C’est Armand qui dicte les règles de la maison et puis, je trouve que ça fait partie de la bonne éducation d’une jeune fille. Au couvent de Sainte – Marie - Claude, elle sera soumise à des règles très strictes, alors autant l’y habituer le plus tôt possible.
— Quand devra t-elle faire sa rentrée ?
— Je n’en sais rien… Vers douze, treize ans. Sinon, mes enfants n’ont pas non plus le droit de toucher les meubles, de se rendre dans les chambres du sexe opposé, dans la nôtre évidemment, qui est d’ailleurs souvent fermée à clef, de parler trop fort ou de s’allonger sur le canapé. Nous voudrions en faire des individus bien élevés, pour nos garçons, qu’ils fassent les meilleures études possibles, et pour les filles, qu’elles intègrent définitivement les ordres après la fin de leur instruction, ou qu’elles soit bien mariées, Armand choisira scrupuleusement les prétendants. Voilà… Oh Louise et Marie, regardez, un arc – en - ciel !
La voûte colorée s’étendait de chaque côté de l’horizon, et s’estompait un peu plus à chaque fois que nous détournions le regard. Lorsque les gouttes de pluie vinrent mouiller nos nez, nous rentrâmes au chaud et au sec. Après un souper fort bon comme le midi, nous allâmes chacune prendre un bain, j’aidais Alice à se laver, et nous nous retrouvâmes autour du feu de cheminée.
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