Chapitre 54F: octobre - novembre 1805
Un dimanche, en dévalant avec sa sœur la rue bordée de jolies habitations qui nous menait à l’église Saint – Maclou, Frédéric trébucha sur un pavé et chuta lourdement en avant. Louise – Marie, qui s’en était sensiblement rapprochée depuis le départ de Alice, se pencha vers lui en usant de sa petite voix adorable et en lui prenant maladroitement la main pour l’inciter à se lever. Lorsque nous lui demandâmes où il avait mal, il se remit sur ses pieds en faisant mine que tout allait bien, mais une demie - minute plus tard, les larmes lui montèrent aux yeux et je ne pu m’empêcher de le prendre dans mes bras pour le consoler. Léon – Paul s’interposa.
— Maman, laissez donc Marie s’en occuper. Ne recommencez pas a inverser les rôles, vous restez la grand – mère. C’est elle la mère. C’est elle qui doit le prendre dans ses bras et encore… Frédéric, es – tu un homme maintenant ?
L’enfant acquiesça, le pouce dans la bouche baveuse et le nez coulant, aussi il me fixait de ses yeux d’ange, avant de tourner son regard vers son père, qui s’approcha de lui, en joignant les gestes à ses propos.
— Alors tu me retires ce doigt dégoûtant de ta bouche, tu te redresses et tu cesses immédiatement tes pleurnicheries. Il lui souleva le menton avec sévérité pour le contraindre à le regarder dans les yeux. Compris ?
Le petit garçon hocha la tête et se tût ensuite, terminant sa promenade en marchant près de sa mère, tranquillement.
Le soir au cours de son bain, sa souffrance se raviva lorsqu’il vit l’égratignure qu’il portait au genoux, aussi j’appliquais une pommade apaisante sur l’endroit douloureux. Ses bains, il les prenait avec sa sœur, sous ma surveillance et toujours avant nous, pour que l’eau la plus chaude leur soit réservée, étant la même pour tout le monde. Je n’avais pas pris l’habitude de les baigner en robes, car il fallait ensuite les faire sécher, d’abord nous ne possédions pas de rechanges de leurs robes de nuit, et ce n’était pas pratique en ces temps froids et déjà humides. La vision de l’intimité de l’autre, si elle ne les avait auparavant jamais importée, paraissait à présent comme une drôlerie inimaginable. En l’espace de cinq minutes, ils avaient largement le temps de s’observer, et si j’avais le malheur de tourner le dos pour récupérer un savon ou une serviette, j’aurais pu mettre ma main au feu que Louise – Marie serait allée observer là où il ne fallait pas. Ça me dérangeait énormément, mais pour l’instant, la question pratique n’avait pas encore été réglée.
Bientôt, nous nous rendîmes chez la couturière au centre – ville de façon a commander quatre robes de nuits sur mesures pour Louise – Marie, Frédéric, moi – même et mon fils. J’en profitais pour demander un nouveau vêtement de semaine pour moi qui n’en avait pas changé depuis des décennies, que j’avais miré sur le feuillet de mode que nous achetions parfois avec la gazette du dimanche. Une robe simple qui ne ruinerait pas Léon – Paul, et qui ferait alternance avec l’ancienne jusqu’à ce que celle – ci, à force d’être raccommodée, ne devienne importable.
Que l’on se rende là-bas était exceptionnel, car tout paraissait relativement cher, mais heureusement, ce que nous achetions résistait des années à l’usure, aussi nous le rentabilisions vite. Comme les petits grandissaient, nous n’avions qu’a rajouter de temps en temps une bande de tissu en bas de leurs robes de nuit, et rallonger leurs manches avec ce même procédé. Pour ce qui restait des vêtements du dimanche des enfants et des chemises et pantalons de Frédéric, nous étions malheureusement obligés d’en racheter régulièrement, enfin, nous leur laissions jusqu’à ce que leurs têtes ne passent plus dans l’ouverture du col, encore par souci d’économie.
Grâce aux deux nouvelles robes achetées pour le frère et la sœur, ils pouvaient se baigner habillés et ainsi, mon dégoût de les voir se reluquer et rire chacun des attributs de l’autre s’évapora, même si il n’était pas exclu que ces robes ne soient soulevées quelques fois à mon insu.
Le mois d’après, nous fûmes invités à un souper chez Auguste et Élisabeth pour lever nos verres en l’honneur de Marie – Léonie, qui venait d’avoir six ans. Malgré mes réticences, je me forçais à suivre Marie et Léon – Paul et finalement, tout se passa plutôt bien, en omettant l’énorme malaise qui s’installa lorsque Élisabeth évoqua Alice, en s’esclaffant seule devant notre gêne, de ce rire rauque et gras qui m’était réellement insupportable, surtout en évoquant la marraine de ma petite – fille partie de façon aussi dramatique. Je manquais de quitter la table, mais les bons usages me retinrent sur ma chaise. Ce soir - là, le grand garçon de mon neveu, Auguste, âgé de dix ans, pensionnaire au collège de Rouen, discuta un peu avec nous. En mai prochain, nous raconta t -il tout fier, il célébrerait sa première communion, et si nous étions invités à l’église, son père nous conviait également au dîner qu’il y aurait ensuite, non pas chez eux, mais au Petit – Quevilly, chez madame Fleuret mère, qui prenait grand soin de participer à l’éducation de ses petits – enfants. D’après mes souvenirs, ma dernière fois là – bas remontait en 1792, lors du repas organisé suite aux noces de Auguste et Alice, soit treize ans auparavant.
Une nouvelle terrible vint frapper notre doux foyer un matin de novembre plongé dans la ouate, dont la neige, nous en étions sûres, ne tarderait pas à venir recouvrir le toit. Léon – Paul ce jour – ci, avait quitté l’enceinte de notre cour sous mes recommandations d’être prudent en toutes circonstances, car on n’y voyait pas a dix mètres. Le courrier arriva pourtant sous notre porte, car les facteurs ne craignaient pas la mauvaise météo. En retournant l’enveloppe scellée pour y lire l’expéditeur, je me retournais vers Marie, car il s’agissait de ma nièce dont nous n’avions pas eu de nouvelles depuis notre départ de chez elle, en avril dernier.
‘’ J’étouffe de chagrin Louise, je m’asphyxie devant cette douleur que je n’avais encore jamais connue. Ma pauvre petite fille, Marie – Camille, vient de nous quitter ce quatorze octobre, emportée par une infection pulmonaire. A cinq ans, nous espérions la voir vivre encore de belles années entourée de ses frères et sœurs, mais Dieu en aura décidé autrement. Je ne parviens pas à me relever, à garder la tête haute, surtout devant l’incompréhension de mon cher Armand, qui ne cesse de se répéter que ça n’aurait pas dû nous arriver à nous. Maintenant, j’angoisse pour mes autres enfants, mon petit Gilles, qui n’a que dix – sept mois et j’ai peur de les étouffer eux aussi.
(A cette partie là, le papier était gondolé et il était inscrit entre crochets que Armand avait pris la suite.)
Heureusement que Marie – Camille n’avait dans sa courte vie pas eu le temps de pécher, et notre soulagement fus immense car Dieu pu ainsi l’accueillir sans problèmes au paradis, et les derniers sacrements ont pu lui être administrés, car son décès ne fus pas foudroyant.
Notre fille repose au cimetière de la Chartreuse, auprès de ses grands – parents paternels, au carré trente – cinq de la division numéro quatre, si vous avez un jour l’occasion de descendre sur Bordeaux, et lui apporter des fleurs.
Chaleureusement,
Monsieur et madame Armand Corcelles. ‘’
Cette nouvelle m’ébranla, car perdre un enfant restait, même dans les familles les plus aisées, un déchirement, et imaginer ma nièce d’humeur si joviale se désespérer m’attristait énormément. Sur les conseils de Léon – Paul, j’écrivis un billet de condoléances pour leur témoigner de la part de toute la famille nos plus sincères regrets.
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