Chapitre 56B: juin - juillet 1807

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Les premières semaines furent compliquées car Bobet commençait à se plaindre de faire plus d’heures que les autres, et du matériel manquait au bon déroulement des soins. Mais après quelques ajustements, et une fois le premier mois passé, le rouage se huila et la routine s’installa de nouveau. Les patients affluaient selon mon fils, car dans ce secteur assez éloigné de l’hôpital, les gens, qui ne possédaient pas de voiture, sollicitaient depuis longtemps la venue d’un cabinet dans leur périmètre d’habitation. Alors que pendant ses jeunes année à La Houblonnière, Léon – Paul intervenait surtout au domicile des gens, il constatait ici à Rouen une légère augmentation des consultations au cabinet, mais après tout, nuança mon fils, ce n’était peut – être que de la curiosité qui s’estomperait avec le temps.

Tous les matins à huit heures du lundi au samedi, je devais donc m’occuper de réveiller Frédéric pour qu’il puisse partir à temps au cabinet avec son père, qui le ramenait en rentrant manger le midi, car contrairement à l’hôpital, il n’y avait là – bas pas assez d’espace pour un endroit consacré à ça. L’après – midi, l’enfant pouvait donc continuer de s’amuser avec sa sœur, après une matinée passée à faire des lignes de mots à la plume, et à déchiffrer des syllabes. Nous apprîmes qu’il était gaucher lorsqu’il rentra en pleurs, peu de temps après le début de son apprentissage. Son père, après l’avoir sermonné, se mit à le contraindre à utiliser sa main droite, ce qui gênait beaucoup le petit garçon.

Tout allait bien, les deux petits devenaient grands et autonomes, s’habillant, se peignant et enfilant seuls leurs chausses, à cinq et six ans, ils étaient en plus de gentils enfants, pleins d’énergie mais bien dociles. Le soir, selon les jours, Léon – Paul revenait plus ou moins tard, mais ses retours tournaient toujours autour de dix – sept heures trente, ce qui lui dégageait du temps pour l’entretien extérieur de l’écurie et de la maison, et ses loisirs personnels, comme la lecture, la promenade, la prière ou l’instruction de son fils.

Satisfait, il l’était d’autant plus que grâce à la bonne volonté de ses acolytes, la semaine de vacance s’annonçait pour bientôt. En contrepartie, il accepterait de travailler plus durement pour compenser si l’un d’eux souhaitait faire la même chose à un autre moment, prendre plusieurs jours de repos consécutifs.

Il fut décidé huit, neuf jours avant, et en concertation avec ses associés que Léon – Paul aurait sa semaine du six au douze juillet libérée. Malheureusement, alors qu’il projetait à mon grand bonheur de nous emmener passer ce temps – là au calme et au frais d’un monastère, situé tout près d’ici, Marie tomba malade, et ça avait l’air sérieux. Je fus infiniment soulagée que personne n’en ait encore parlé aux enfants, car leur déception de ne pas partir aurait enflée la mienne.

Leur pauvre mère, le visage fantomatique et clouée au lit, toussait beaucoup, aussi son mari, qui s’en occupa beaucoup durant sa semaine de repos, lui diagnostiqua une infection sévère des bronches, qui méritait beaucoup de calme et un alitement évident. Son mal n’étant pas contagieux, ses enfants allaient la voir souvent dans la journée, pour l’embrasser et prier pour son bon rétablissement. Alors qu’il ne s’était pas vraiment reposé durant son congé, Léon – Paul nous confia les soins de son épouse le dimanche douze juillet, pour pouvoir retourner travailler le lendemain, sans doute déçu de ne pas avoir pu profiter.

Jeanne la rafraîchissait plusieurs fois par jour avec des éponges humides, car la fièvre mêlée à la chaleur de l’été n’arrangeaient rien, et lui apportait son plateau – repas, auquel elle touchait à peine. Son rétablissement fus si long que nous eûmes l’impression qu’elle ne s’en sortirait jamais. Heureusement, sous la protection de la Vierge qui lui avait donné son prénom, Marie retrouva, après douze jours de faiblesse et de souffrance, suffisamment de forces pour reprendre le cours normal de sa vie.

Il fit durant environ trois jours de juillet une chaleur si étouffante, si suffocante que je crois, dans ma vie déjà longue, ne jamais avoir vécu cela. A tel point qu’un jour, à force de sollicitations de leur part le dimanche sur le chemin de la messe, nous autorisâmes les enfants à aller se baigner dans la Seine, au milieu de tant d’autres, qui s’égayaient, sautaient, criaient, couraient nus pieds depuis le rebord, éclaboussant partout autour. A cause des énormes voiliers commerciaux qui occupaient une large partie des deux rives, ceux qui souhaitaient se rafraîchir devaient se rassembler sur une petite berge tout près du grand pont de pierre. Avec Marie, assises un peu en retrait, nous observions les allers et retours de cette multitude enfants, sous nos grands chapeaux, malgré le soleil qui venait nous tuer de chaud sous les corsets de nos robes pourtant assez légères.

Frédéric ne lâcha pas sa grande sœur, notamment du regard, puisque dès qu’il la perdait de vue, il sortait de l’eau et s’en retournait vers nous de ses petits pieds nus, sa chemise et ses cheveux dégoulinants de partout, son pantalon lui collant aux jambes, il se frottait durement les yeux piqués par le sable en la cherchant. Elle paraissait moins collée à lui, comme si ce besoin de l’autre n’était pas forcément réciproque. Cette activité douloureuse pour nous mais distrayante pour les petits ne risqua pas de se reproduire, car le soir lors du dîner, dès que Frédéric, suite à une question de son père sur le déroulement de sa journée, lui en fis part, celui – ci fronça les sourcils avec sévérité, en direction de nous deux, toujours assises côtes à côtes.

— Pourquoi avez – vous fait cela ?

Nous nous regardâmes deux secondes, et je pris conscience que ce serait à moi de répondre de nos actes.

— Comme hier, la chaleur était étouffante, et nous avons pensé avec Marie que cette baignade serait une bonne idée pour rafraîchir les enfants.

— Vous ne m’aviez pas demandé l’autorisation. Je me trompe ?

Devant mon désarroi, Marie tenta de rattraper.

— Nous pensions pas que ce serait utile…

Il frappa la table si fort qu’elle trembla et que les enfants sursautèrent.

— Mais bien sûr que c’était utile Marie ! Comment aurais-je fais si il était arrivé malheur à Frédéric ?! Hein ? Je n’ai que lui ! Comprends – tu?!

La fin du repas se déroula dans un grand silence pesant. Le dimanche suivant, en passant devant, Frédéric réclama de nouveau à aller se baigner, bien que les températures se soient clairement rafraîchies.

Ils marchaient côte à côte derrière – moi, et j’entendis sa sœur le reprendre, en chuchotant.

— Tais-toi donc. Papa va s’énerver. Il ne veut plus qu’on y ailles.

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