Chapitre 59D: septembre - janvier 1811
Le soir, habillés de noir, nous organisâmes une veillée funèbre pour notre petite Pierrette, tous les sept, avec Jeanne. Ses mèches rousses soigneusement peignées, ses petits yeux bleus fermés pour l'éternité, elle reposait sur le lit de la chambre vide, entourée de fleurs achetées ou cueillies le jour même. Louise – Marie pleura beaucoup, entraînant son frère dans ses larmes et m'assurant qu'elle ne voudrait jamais d'enfant pour ne pas revivre ça. Nous restâmes dignes, le cœur serré, Léon – Paul repartant se coucher la tête haute après avoir embrassé son défunt enfant. Deux jours plus tard, après les visites d'adieux de ses parrains et marraines, le cercueil acheté et l'acte de décès signé, nous nous rendîmes au cimetière monumental pour l'enterrement, sous un soleil radieux. Notre vie à huit aura été courte.
Léon – Paul, sûrement très chagriné, exigea que l'on se débarrasse du berceau désormais vide, et des affaires de la petite, sa chaise rehaussée, son hochet, ses langes. Particulièrement irritable dans les jours et semaines qui suivirent, nous le vîmes plusieurs fois mettre Marie par terre et lui donner des coups de pieds, et des gifles plus de fois que de raison. Les travaux qui avançaient derrière la maison n'arrangeaient rien, provoquant poussière et autres désagréments.
C'est avec le cœur de plomb que les filles repartirent au pensionnat en octobre, laissant seul Frédéric et ses nombreuses questions sur la vie après la mort et les malheurs de l'existence, auxquelles je n'éprouvais jamais vraiment l'envie de répondre. Il déprimait un peu, parlant moins, jouant souvent allongé par terre dans sa chambre, ou rêvant sur son lit. L'on me rassura sur le fait que cela lui passerait, même un mois après. L'hiver qui arrivait ne pansait pas nos âmes tristes et maussades, avec les arbres nus, la pluie qui nous empêchait d'aller prendre l'air, le froid et le vent.
Nous n'allions pas au cimetière voir la tombe de l'enfant, car nous nous étions déjà longuement recueillies avant l'inhumation et cela n'aurait fait qu'empirer ces temps difficiles.
Nous passâmes la première semaine de décembre avec les filles, et Noël sans elles, à la messe de minuit de l'église Sainte – Geneviève, à laquelle nous croisâmes Auguste et son fils homonyme de quinze ans, que nous n'avions pas vu depuis assez longtemps. Léon – Paul leur serra la main, ils s'inclinèrent devant nous, et prirent des nouvelles.
— Comment allez – vous ?
— Ça va. Soupira t -il. Ça pourrait être mieux, mais je n'ai pas trop le droit de me plaindre.
— Bon, tant que tout le monde va bien, c'est le principal.
Je ne pu m'empêcher de m'immiscer.
— Nous venons de perdre notre petite fille de neuf mois. C'est assez difficile pour tout le monde alors...
Mon neveu perdit en un instant son sourire et cette assurance inhabituelles chez lui.
— Je suis désolé. Sincèrement désolé. Je ne pensais vraiment pas que... Il se retourna vers son fils, un beau jeune homme qui lui ressemblait trop, avec son semblant de moustache. Nous allons y aller Auguste. Il serra promptement la main de Léon – Paul. Je vous souhaite bon courage.
Ils s'éclipsèrent ensuite, mais mon fils me sermonna.
— Qu'avez – vous donc dit ! Il est parti maintenant ! Nous ne l'avions pas vu depuis deux ans et en une phrase... Il baissa de ton en repartant. Il n'était pas obligé de savoir, ça ne le regarde pas après tout.
Vexée, je baissais la tête jusqu'au retour à la maison, détestant plus que tout les reproches. La date du trente décembre résonna en moi douloureusement, car Pierrette y aurait peut – être fait ses premiers pas, et je revoyais Frédéric ou Alice a cet âge, qui s'accrochaient aux meubles maladroitement au lieu de croupir sous terre. Mais la vie continuait malgré tout, et le premier janvier 1811, nous entrâmes dans une nouvelle décennie qui verrait peut – être naître mes arrières - petits - enfants.
Comme Frédéric aurait neuf ans dans quelques mois, son père commença à se poser la question de ses études secondaires et son inscription au collège, pour une rentrée possible dès le mois d'octobre 1812, à dix ans et demi. Il voulait l'envoyer au collège à Paris, pour lui permettre de passer son examen à dix – huit ans et d'intégrer la Faculté de médecine juste après. Sauf que le petit garçon en avait décidé autrement.
— Après tes six ou sept années de collège, et ton baccalauréat que tu obtiendras je comptes sur toi, tu feras un court apprentissage chez mon cousin Gabriel, avant ton entrée à la Faculté. Il faudrait que Louise s'occupe de leur écrire.
— Mais je ne veux pas être médecin. Il baissa la tête. Ça ne m'intéresse pas.
— En voilà une bonne. Et que comptes tu faire ?
— Mes amis Paul et Armand vont au Prytanée de la Flèche.
Il fronça les sourcils et pris un air méprisant.
— Qu'est – ce donc ?
— Une grande école militaire.
Léon – Paul se tourna vers moi et se leva.
— Il ne se rend pas compte. Mais ce qui est sûr, c'est que je ne laisserais pas mon fils aller se faire tuer pour un empereur qui souhaite restaurer une monarchie dont nous nous sommes avec tant de douleur débarrassés !
La discussion n'alla pas plus loin pour cette fois – ci, mais cela ne m'empêcha pas d'aller me renseigner sur cette institution, à la librairie rue de Florence, où je n'allais presque jamais, sauf lorsque je cherchais des informations précises. Située assez loin d'ici, entre Angers et Le Mans, l'instruction que procurait le Prytanée entre onze et vingt – et un an était gratuite. Plusieurs illustres personnes l'avaient fréquentés en tant qu'élèves, comme René Descartes et Jean Picard.
En attendant, il continuait de se rendre à l'école en centre – ville cinq jours sur sept, et cela convenait encore à tout le monde.
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