Chapitre 60A: mai - octobre 1811
Un soir, alors que nous flânions dans le salon, Frédéric brisa le silence.
- Papa...
Léon-Paul leva le nez.
- Oui ? Je t'écoute?
- J'ai une devinette pour vous. On me trouve trois fois dans l'année et pourtant une seule fois par semaine. Qui suis-je ?
Mon fils leva les yeux au ciel pendant que nous réfléchissions tous.
Il rendit finalement sa langue au chat.
- Je vous donne la réponse? La lettre '' J'' car dans la semaine il y a le J de jeudi et dans l'année il y a le J de janvier de juin et de juillet.
- Ah oui. Ecoute, je n'aurai sûrement pas pu le trouver seul.
Le jeune garçon m'embrassa ainsi que ses parents et monta ensuite se coucher. Il n'avait plus besoin d'être bordé, à son âge.
Le lendemain matin fut difficile, car une fausse-fatigue l'envahissait et il ne souhaitait ni que je l'aide pour l'habiller ni même manger quelque chose, ne serai-ce un morceau de pain.
Ne voulant sûrement pas se rendre à l'école, il pleurait à chaudes larmes, en faisant des allers-retours entre le salon et sa chambre. Excédée, je le hélais.
- Venez ici Frédéric.
Il approcha, son mouchoir à la main. Je me penchais à sa hauteur.
- Vous êtes un homme à présent et je trouve inconcevable que vous pleuriez pour une telle raison. Séchez vos larmes et dépêchez vous de finir de vous préparer.
Toujours en pleurant, il enfila son manteau, ramassa son sac et quitta la maison le coeur lourd.
Le soir, tout était oublié, il me raconta enjoué sa journée, et notamment la répétition de la chorale prévue pour le mois de juin.
Depuis quelques mois, j'avais remarqué une démarche de plus en plus maladroite de Léon-Paul. S'était-il blessé au pied ou à la jambe? Sa foulure d'antan revenait - elle? Je n'en savais rien.
En juin, après la représentation toujours aussi réussie, Frédéric avança vers moi d'un pas assuré.
- Armand a reçu sa lettre d'admission au Prytanée. Quand est-ce que l'on pourra moi aussi m'inscrire?
- Il faut voir avec votre père. Et puis, vous êtes encore un peu jeune. Je crois que les inscriptions ne commencent qu'a dix ans.
Le soir, Léon-Paul écouta la complainte de son fils et ajouta simplement.
- Votre mère attend un enfant pour octobre. Si il s'agit d'un garçon, je vous laisserai aller étudier là-bas et enverrai une lettre de favorisation.
Frédéric commença à sautiller sur place, tout excité.
- En revanche, et oui, il y a toujours un '' mais'', si c'est une fille, vous partirez en apprentissage chez le docteur Detant sans discuter.
Il acquiesca, et le soir-même, me réclama des bâtons d'encens pour prier en faveur d'un garçon. Heureuse de cette nouvelle grossesse, j'espérais moi aussi cette issue, pour ne pas être obligée d'assister à la plus grande déception que le visage d'un enfant puisse supporter.
A cinq mois de grossesse, Marie ne paraissait pas enceinte. Et pourtant, la famille s'agrandirait de nouveau d'ici octobre. En attendant, nous supportions les fortes chaleurs et profitions du jardin maintenant clôturé et réduit. En regardant par la porte-fenêtre, nous constations que les travaux des immeubles entraient dans leur phase finale, et que d'ici peu, nos nouveaux voisins arriveraient.
Frédéric n'avait jamais invité un de ses amis à venir à la maison. Lorsqu'il souhaitait les voir, il me demandait l'autorisation de se rendre en ville, près de l'église, où les garçons se réunissaient pour jouer aux billes. Du haut de ses neuf ans, comme ce n'était peut-être pas le cas pour tous les enfants, il avait la notion du temps et savait de lui-même quand rentrer, sans que j'ai besoin de le lui rappeler.
A la fin du mois d'août, nous retrouvâmes avec joie les filles, Louise-Marie, désormais dix ans, et Alice, douze ans qui constatèrent avec septicité la nouvelle grossesse de leur mère. Surtout Louise-Marie qui s'angoissait à l'idée de devoir revivre le deuil de Pierrette. Sa soeur aînée Alice resta impassible, presque lassée.
Quelques jours plus tard, Léon-Paul ne rentra pas à la maison après le travail. Me voyant paniquer, Marie m'informa que c'était pour se faire opérer. Après lui avoir tiré les vers du nez toute la soirée, je su que l'opération visait à lui retirer les deux testicules, à cause d'une tumeur. L'enfant qu'elle portait était donc sa toute dernière chance d'être père d'un second fils.
Mon fils resta au lit à la maison les trois journées qui suivirent, de toute façon incapable de se déplacer. Pour nous, il prétexta une chute dans les escaliers suivi d'un épisode de forte fièvre et, pour l'absence d'une journée entière, une invitation tardive d'un de ses collègues. J'aimais laisser les gens mentir en sachant la vérité.
Jamais il ne su que Marie m'avait mise au courant des causes de cette opération, de toute façon trop honteux et pudique. En cette fin de mois d'août, le ventre de Marie se mit à gonfler, comme si une fois tout le monde au courant seulement, l'enfant se décidait à apparaître.
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