XXVIII
ENCRE SENNELIER
21 × 29,7 cm
La fleur se détache sur un vert tendre, aussi paisible que l’âme d’un mourant à l'aube d’une vie nouvelle. Blancs saupoudrés de rose, ses pétales délicats sont bercés par la brise, constellés d’étoiles rouge profond. Les étamines framboise se lancent vers l’objectif. Le rhododendron s’éveille. Beauté.
Séverine s’est appliquée pour dessiner la fleur qu’elle avait prise en photo lors d’une balade avec sa mère, un an auparavant. Elles s’étaient promenées sans mot dire, laissant flotter entre elles les non-dits et les secrets que nulle n’osait briser. Dans un jardin tranquille, par un jour de soleil, à l’orée du monde. Le souvenir est vivace, s’impose avec sérieux. Mme Cassin lui a montré comment imprégner le papier d’eau avec le pinceau pour faire un fond uni, soyeux.
C’est ce dont elle avait besoin. Elle garde en mémoire la sérénité qui l’a habitée. Elle s’était coupée des autres, s’était coupée du monde, durant toutes ces années. À présent elle revenait.
La séance finie, elle a osé déroger aux règles de l’atelier et n’a pas remis sa production dans son carton à dessin. Elle s’est approchée de Mme Cassin et lui a expliqué son souhait de donner cette fleur à sa mère.
— Que voudriez-vous lui dire en lui offrant ?
— Cela symbolise le souvenir d’un moment cher à mes yeux, et cela m’a beaucoup aidée et apaisée lorsque je l’ai peint.
La femme aux cheveux gris avait compris et accepté.
— Séverine, vous pourriez dire à votre famille « c’est un peu difficile seule en ce moment, j’ai besoin que vous m’encouragiez ». Comme ici, dans l’atelier, vous avez appris à demander de l’aide.
— Oui…
— Vous les protégez beaucoup, lui a-t-elle dit avec gentillesse.
Séverine était restée muette devant l’art-thérapeute, un assentiment silencieux.
— En ce moment, vous avez besoin de vous protéger, vous, avait-elle continué. Ils n’en ont pas besoin.
Mme Cassin lui a tendu la peinture qu’elle avait posée sur un chevalet et la lui a remise entre les mains, comprenant son souhait, recouvrant le dessin de ses ondes apaisantes.
Le soir, Séverine avait tout avoué. Son burn-out était incomplet ; son épuisement, inexact. Les raisons qu’elle avait d’abord évoquées devant ses parents se sont évaporées pour laisser un champ de gloire à la vérité, plus simple et vénérable. Elle avait tout conté. Son trouble avec la délicatesse d’un pétale de rose, ses rencontres à l’hôpital, lieu noble et aussi primordial que l’air qui nous fait vivre, la maladie, la place qu’elle prend dans sa vie. Elle évoque Reine avec la caresse d’une plume, elle leur dit que Viviane est une de ces personnes comme l’on en rencontre rarement dans une vie, elle parle de Manon et de son courage, de Louise qui l’a prise sous son aile.
— J’aurais dû vous en parler plus tôt… avait-elle murmuré.
Séverine se souviendrait toujours du regard que sa mère lui avait adressé ce jour-là, plein d’indulgence et de calme. Avec douceur, elle lui a dit de bannir les « j’aurais dû ». On ne peut pas changer le passé, on n’avance pas avec des regrets.
La discussion avait été une onde de choc silencieuse. Elle avait accepté l’idée, avec calme et courage, voir sa fille souffrir devant elle. On aimerait tant aider ; on ne sait comment faire.
Son père avait écouté, avec la sagesse d’un homme qui a beaucoup observé, trop ému pour parler. Dans ses yeux, Séverine y avait vu du respect. Un respect immense, infini devant un mystère que nul n’était en pleine mesure de comprendre. Cela lui suffisait.
Le cœur léger, un merci silencieux aux femmes qui l’ont aidée à déposer ces mots, elle s’envolait avec un peu plus de sûreté.
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