La neige tombe sur ma truffe endormie

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Quand les chasseurs t’ont prise pour cible, je t’ai prise entre mes crocs. Délicatement. Tu n’étais qu’un petit bout de viande, fatigué, blessé, meurtri. Malheureusement. On t’avait raconté bien des choses sur moi, le vicieux, le monstre, le tueur d’enfant. Mais les contes et les légendes étaient si loin du résultat.

Et lorsque vos seigneurs ont égorgés vos rois, quand les affres du pouvoir ont condamné ta joie, tu as fui ton château, traquée par tes semblables, tu as fui ton château, traquée par cent un diables. Abandonnée, sans famille, sans espoir, j’ai oublié ma peine en te léchant un soir.

Ces chasseurs de révolutions avaient brisé mes bonnes résolutions. Jadis, mes petits tombèrent dans un piège, un gouffre de terreur. Les voilà hurlant avec l’âme de la forêt, leur peau chez le tanneur. Dés lors ma vengeance devait nourrir ma haine mais je n’ai jamais pu plonger mes griffes dans ton aine.

Et nos vies liées explorèrent le temps. Et nos vies liées s’en allèrent au firmament. Dans des contrées lointaines où personne ne tue pour l’argent. Dans des contrées lointaines, heureux, forts et libres comme le vent.

Puis, un matin, j’ai reniflé l’odeur d’une caravane. La guerre terminée, un marchand d’espoir venait te vendre une nouvelle destinée. Je t’ai suivie, fidèle et obéissant comme l’ombre. Je t’ai suivie, contre nature, attaché derrière un chariot sombre.

Le retour d’un sang prestigieux a ébloui tes yeux. Le royaume pacifié cherchait sa nouvelle dulcinée. Et tu m’as oublié ; des opportunistes ont dépouillé ma dignité dans un cirque de passage. J’ai dévoré les spectateurs, mon instinct déçu par ton humeur, comme un mauvais présage.

La battue s’est débattue terres et cieux mais jamais gredin n’a retrouvé ma trace. Je redevins un conte effrayant. Et, toi, tu oubliais jusqu’à la couleur de ma robe, perdue dans un dédale d’or, de dédain et de strass, sublime dans la tienne.

Quand ils ont abusé de tes yeux et de ton orgueil, une nouvelle fois tu as fui, l’hiver comme cercueil. Tu as crié mon nom honni ; tu ne l’avais donc pas oublié. Ton jeune parfum hantait mon esprit ; j’ai fait barrage aux monstres que tu chérissais.

La neige tombe sur ma truffe endormie. Devant moi, un lièvre perce la poudreuse mais je suis las ; sa chair ne me fait plus envie. Mon pelage blanc disparaît lentement au pied du tronc mort sous lequel je me repose depuis trop longtemps.

La neige tombe sur ma truffe endormie et je ferme les yeux une dernière fois sur ma vallée, mon paradis. Une odeur de sang dans l’air encore perdure. Un fumet emprunt de souvenirs parfois doux, parfois durs. Cette nuit, mon corps est froid mais mon cœur brûle de joie.

La neige tombe sur ma truffe endormie. Mes fières oreilles et mes lourdes pattes ne bougent plus, engourdies. Je me rappelle notre rencontre, j’hume ta présence. Nos merveilleuses aventures ensemble, partout. Pour l’éternité, je veux garder le souvenir de ta main sur mon cou.

La neige tombe sur ma truffe endormie. Plus de peurs, plus de caresses, plus de bruits. Je te souris, je disparais, je m’évanouis. Rien d’autre n’a plus d’importance car je t’ai protégée. Moi, si gros, si terrifiant, immortel, ma vie cesse. Un loup blanc descendu des rêves d’une petite princesse.

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