Un abri à rembourser ?

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Je m’affaire en ce matin de juin à ranger mes affaires. Je n’aime pas laisser traîner quoi que ce soit à l’endroit où j’ai dormi, question de respect pour ceux qui utilisent ce trottoir pour se balader. Je sifflote pour répondre au merle qui vient de se poser tout près et m’amuse à me dandiner pour imiter sa démarche quand j’entends éclater un rire enfantin. Je ne me retourne pas, habitué comme je le suis aux moqueries quotidiennes face à ma situation. Faut dire que je ne fais aucun effort. Cela fait une semaine que je ne me suis pas lavé, ma barbe est longue et mes vêtements usés sont maculés de taches.

Je suis surpris quand une petite voix s’adresse à moi. Je me retourne vivement, me demandant qui ose s’approcher et doit baisser les yeux pour croiser le regard innocent de la petite fille qui m’observe en souriant.

— Bonjour Monsieur, moi, c’est Léa.

La blonde, qui doit avoir sept ou huit ans, me tend la main et je m’étonne de son attitude. Je constate en levant les yeux que sa mère nous surveille à quelques mètres. Je m’agenouille pour me mettre à la hauteur de Léa à qui je serre la main.

— Bonjour Léa. Enchanté. Moi, c’est Victor. Mais tu sais que c’est dangereux de parler aux gens que tu ne connais pas ?

— Oh oui, mais toi, tu n’es pas un inconnu. Je te vois tous les jours quand je vais à l’école. Tu es gentil, même que tu parles aux oiseaux !

Elle est observatrice, la gamine. Je ne leur parle pas vraiment mais j’essaie toujours d’imiter leur sifflement et m’amuse quand ils me donnent l’impression de me répondre.

— Et qu’est-ce que je peux faire pour toi, alors, Léa ? C’est ta mère qui t’a dit de venir me donner une pièce ?

La mignonne enfant éclate de rire et je ne peux m’empêcher de sourire en l’entendant exprimer sa joie de vivre.

— Mais non, t’es bête, toi. C’est le premier jour du reste de ta vie ! Tu n’as pas de maison, moi, j’en ai une, c’est tout simple, non ? Tu viens ?

Elle n’attend pas ma réponse et se saisit de ma main. J’ai à peine le temps d’attraper mon sac que déjà nous nous retrouvons près de sa mère à qui j’adresse une excuse muette. J’essaie de me dégager mais la maman de Léa me rassure.

J’ai l’impression que Léa ne m’a pas écoutée, sourit-elle timidement. Je suis désolée de son attitude, commence-t-elle alors que sa fille me relâche. Il ne faut pas forcer les gens, tu sais ?

— Mais non, Maman, j’ai fait tout comme tu as dit !

— Ne vous inquiétez pas, Madame, j’ai bien saisi que Léa n’a pas compris ce que vous vouliez. Je ne vais pas vous embêter plus longtemps.

— Oh, vous ne voulez pas venir chez nous, alors ? s’étonne la femme qui se stoppe dans ses mouvements.

Comment ça, venir chez vous ?

— Mais que lui as-tu dit, Léa ? Tu ne l’as pas invité à venir habiter chez nous ?

— Si Maman ! Je te jure que je l’ai fait ! Tout comme tu as dit ! Ou presque !

Je reste perplexe devant ces échanges que j’ai du mal à suivre. C’est quoi, cette histoire ?

C’est une blague ou quoi ?

— Mais non, ce n’est pas une blague, c’est juste que l’étudiant qui vivait chez nous est parti chez sa copine et vous pouvez donc avoir la petite suite qu’il occupait. Ce serait toujours mieux que ce trottoir, non ?

Elle a l’air sérieuse. Et que dire de la petite Léa qui m’observe attentivement. Voyant que je ne me décide toujours pas, elle perd patience et m’attrape par la manche.

Tu verras, avec Maman, on a changé les draps et fait le lit. Il est tout propre. Plus que toi, en tout cas. Comment tu fais avec ta maman pour qu’elle te fait pas prendre ton bain ?

— Fasse, ma chérie, pour qu’elle ne te fasse pas, on dit.

— Tu sais, ça fait longtemps que je n’ai pas vu ma mère, indiqué-je tristement. Je n’ose pas aller la voir tellement je suis sale, tu vois ?

— Eh bien, tu mettras des bulles dans ton bain ! Comme ça, tu pourras aller voir ta maman. Tu as d’autres problèmes pas graves ?

— Chérie, arrête d’embêter le Monsieur sinon il va faire demi-tour. Tu ne vois pas que tu l’embêtes avec tes questions ?

— Non, laissez, Madame, elle me fait sourire.

Je reste incrédule devant ce petit miracle qui est en train de se produire. Et je le suis encore plus quand ils me font monter dans leur grand appartement où ils m’indiquent une porte menant à une pièce avec une salle de bain privative.

C’est ta chambre, là, tu vois ? Et la mienne, elle est là. Et puis en face de la tienne, c’est celle de Maman, mais il ne faut pas la déranger la nuit parce qu’elle aime pas quand on dit qu’elle ronfle, mais c’est vrai qu’elle ronfle. Tout le monde ronfle, non ?

Léa ! Tu parles trop ! la réprimande sa mère avant de m’adresser un sourire d’excuse. Voilà, ce n’est pas un grand palace mais c’est la moindre des choses que l’on puisse faire pour vous.

Mais pourquoi prenez-vous le risque de m’accueillir ?

— Vous savez, comme je l’expliquais à ma fille avant d’aller vous voir, on va vous faire payer. Il ne faut pas croire que vous allez vous en sortir comme ça !

Ah oui, c’était trop beau pour être vrai. J’aurais dû m’en douter avant de me laisser tenter et commencer à espérer que la chance avait tourné pour moi. Clairement, elle sait que je n’ai pas d’argent ! Est-ce par perversion qu’elle m’a demandé de la suivre ? Quel con je fais d’y avoir cru !

Elle doit voir à ma tête que je suis déçu et que je me renfrogne car elle éclate de rire et s’empresse de me rassurer.

— Non, non, ce n’est pas ce que vous croyez !

Léa s’approche de moi et prend un air de conspiratrice digne des meilleurs films d’espionnage avant de me dire presque en chuchotant :

L’idée, c’est que tu dois faire un cadeau à quelqu’un, gratuitement mais il faut que tu lui demandes de payer après, quand il pourra. Nous, tu vois, on nous a offert un voyage à Nice pour aller voir ma mamie. Et donc, pour payer ce voyage, j’ai demandé à ma mère de t’offrir une chambre. Et maintenant, c’est à toi de payer. Quand tu pourras, tu feras un cadeau à une autre personne. Comme ça, tout le monde va aller mieux, tu vois ?

— Mais je n’ai rien à offrir, moi… Je ne peux pas accepter votre cadeau, je n’aurai jamais les moyens de payer.

— Vous croyez que j’avais les moyens d’aller à Nice ? Vous acceptez ce qu’on vous offre et vous vous engagez à ne pas briser la chaîne de la solidarité. Rien ne presse, l’idée, c’est juste que quand l’opportunité se présentera, il faudra la saisir. Et ce que n’a pas dit Léa, c’est que vous devez payer au moins deux fois. Ça démultiplie l’effet.

— Je ne sais pas quoi dire, Madame. Je… je ne mérite pas votre gentillesse.

— Ce n’est pas de la gentillesse, on paie notre dette ! me reprend Léa avant de déposer sur mon lit une petite peluche.

Et sans plus de chichi, je me retrouve à vivre avec elles. Le fait d’avoir un toit me permet de reprendre confiance en moi. Rapidement, je fais le nécessaire pour me remettre à travailler. Avec la maman de Léa, nous nous rapprochons jusqu’à finir par nous mettre en couple, pour le plus grand bonheur de la petite.

Un matin de printemps, je surprends une marchande en pleine discussion. Je comprends qu’elle a un projet d’ouverture d’un magasin en dur mais elle n’a pas les fonds nécessaires. Je repense au cadeau qui a changé ma vie. Je crois que je tiens là ma chance de payer ma dette.

— Madame, je suis désolé de vous interrompre, mais je crois que c’est le premier jour du reste de votre vie, aujourd’hui. Je suis agent immobilier et j’ai justement le bien qui pourrait vous convenir. Et vous savez quoi ? Je vous l’offre !

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