Première mission (partie 2)
Jacques laissa tomber le vélo et courut vers le beffroi. Les Allemands n'étaient pas dans la ville, ça c'était sûr.
"Monsieur ?! demanda-t-il à un homme en soutane qui se tenait sous les arcades du Beffroi. Puis-je savoir où est le maire ?"
L'homme se tourna et lui sourit. Cela fit un choc à Jacques. Des sourires, c'était rare en ces temps troublés, surtout des sourires aussi francs que celui du prêtre.
"Il inspecte la porte Baudimont, répondit l'abbé. Si vous ramassez votre vélo, je peux vous y mener en moins de deux minutes. Si vous n'êtes pas trop pressé, allez l'attendre à la mairie, rue des écoles (il a installé la mairie chez lui)."
Jacques hocha la tête et dit :
"Je suis pressé. Par où est-ce ?"
L'abbé lui montra la rue droit devant eux, qui partait sur la gauche du beffroi pour quelqu'un qui arriverait par la Grand-Place.
"Deuxième à droite, pédalez tout droit, dit-il. Faites attention toutefois, il y a un barrage militaire anglais devant une fontaine, ils peuvent vous demander de ralentir. Demandez-leur le reste de la route, ce sera en ligne droite normalement."
Jacques le remercia et repartit. Il croisa des pompiers, des bonnes sœurs qui officiaient à l'hôpital du Saint-Sacrement, et même une auto pleine de journaux du jour sur sa route, puis des soldats anglais appuyés sur les barrières qu'ils avaient installées autour de la fontaine Neptune, une fontaine surmontée d'une statue en métal d'un Neptune à l'air vaguement menaçant avec son trident émoussé.
"Slow down!" cria l'un des Anglais. [ralentissez]
Un autre lui dit :
"He's French, talk french to the frog!" [il est Français, parle français à la grenouille]
Mais Jacques accéléra et leur cria au passage :
"No time to stop, looking for the mayor!" [pas le temps de m'arrêter, je cherche le maire]
L'un des Anglais cria :
"Straight ahead! Good luck!" et les autres s'écartèrent sur son chemin. [droit devant ! bonne chance !]
Une chance qu'il parle anglais. Les pourparlers auraient peut-être pris plus de temps autrement. Il pédala tout droit et parvint à un endroit où deux hommes avec un air de famille inspectaient une barricade de sacs de sable.
"Monsieur le Maire ? héla Jacques.
-Oui ? s'enquit le plus âgé.
-Lieutenant Jacques Mivière de la Saussaie, Monsieur, dit Jacques en laissant tomber son vélo et en se mettant au garde-à-vous. Envoyé par le capitaine Dubois du huitième...
-Laissez tomber et venez-en au fait, dit le maire.
-Le capitaine Dubois aimerait savoir où en sont les Allemands, Monsieur.
-Si nous le savions... marmonna le plus jeune.
-George, continuez l'inspection sans moi, lui ordonna le plus vieux. Lieutenant, vous pouvez aller dire au capitaine Dubois, de la part de Louis-Émile Rohart-Courtin, maire d'Arras, que Lens est encerclée ou peut-être déjà prise à l'heure qu'il est. Que j'ai fait évacuer tous les fonctionnaires non-essentiels au fonctionnement de la ville. Que les Allemands sont à quelques kilomètres mais que nous ignorons la distance exacte. Et qu'ils y resteront."
Un pompier qui consolidait des défenses cria :
"Par Dieu ! Pour sûr qu'ils resteront hors de la ville ! Qu'ils fassent pleuvoir les feux de l'Enfer sur nous, et nous les accueillerons !
-Sergent Glasson, dit Rohart-Courtin, j'apprécie votre enthousiasme, mais si vous avez fini votre tâche ici vous pouvez aller voir si les sœurs de l'hôpital Saint-Jean n'ont pas besoin de plus de sacs de sable."
Le sergent hocha la tête et se remit à sa tâche.
Louis-Émile Rohart-Courtin se tourna de nouveau vers Jacques et lui dit :
"Si votre capitaine émet des doutes, vous pouvez lui certifier, sur mon honneur, que les Allemands ne mettront pas le pied à Arras."
Jacques hocha la tête et récupéra son vélo. Tant de route pour si peu de choses... enfin, au moins il n'était pas un oiseau de mauvais augure.
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