Mercredi 02 Octobre 1985
Gageac Mercredi 02 Octobre 1985
Un vent froid balayait le petit cimetière de Gageac, quatre hommes vêtus de noir, le visage grave marchaient lentement en portant le cercueil de bois verni. Anna, suivait, la main glissée dans celle de son père.
Elle ne pouvait retenir ses larmes.
- Maman…, murmura-t-elle dans un soupir.
Le bruit sec des cordes glissant sur le bois verni la fit tressaillir. Le cercueil cogna le fond de la tombe et s'immobilisa dans un silence glaçant.
Anna s’en approcha lentement, tenant à la main un panier de pétales de rose, elle en prit une poignée qu’elle lança à la volée. Ils virevoltèrent lentement avant de se poser en amas dans le trou noir et sombre, dérisoire offrande à sa mère qu'elle ne reverrait jamais.
Les quelques voisins et amis présents à la cérémonie regagnèrent rapidement leurs voitures afin d’échapper à l’averse qui s’annonçait. Anna, le visage ruisselant de larmes, resta seule dans ce cimetière, l'esprit ailleurs, perdu dans de sombres pensées.
Quand elle leva les yeux de la tombe elle aperçut un homme qui la fixait effrontément. Sa gabardine trop courte aux poignets, son crâne chauve qui luisait sous la pluie et son cou incroyablement long, engoncé dans ses épaules, le faisait ressembler à un vautour.
Elle détourna le regard de cet effrayant personnage et pressa le pas pour rejoindre son père.
Mais au bout de la rangée de tombes, l'homme vautour l’attendait, un large sourire traversant son visage anguleux.
- Anna…, attendez, murmura-t-il d'une voix rauque et profonde.
La jeune fille s'arrêta, intriguée. Elle porta rapidement le regard vers le haut du cimetière où elle aperçut la silhouette rassurante de son père. Elle pourrait toujours crier en cas de besoin.
- Tenez Anna…
Il lui tendit un trèfle à quatre feuilles qu'il tenait maladroitement dans la main.
Anna regarda un instant le ridicule cadeau légèrement flétri et elle se mit à rire devant l'absurdité de la scène. Un rire hystérique de défoulement qui retentit dans le silence du cimetière comme une obscénité, comme une injure aux habitants des lieux. Mais l’homme ne se laissa pas démonter par la réaction de la jeune fille et il continua sur sa lancée.
- Les choses ne sont pas toujours ce que l'on croit, il arrive parfois que la vie nous réserve quelques surprises. La première feuille est pour l’espérance, la deuxième pour la foi, la troisième pour la charité et la dernière pour la chance. Utilisez-le à bon escient.
Ces paroles pour le moins étranges et incompréhensibles laissèrent Anna perplexe.
- Qu’est-ce que je dois faire avec ?
Le vieil homme allait lui répondre quand son père à la porte du cimetière l'appela, elle lui fit un petit signe de la main lui indiquant qu'elle arrivait.
Mais quand elle se retourna à nouveau l'homme vautour avait disparu, la laissant seule avec à la main un trèfle à quatre feuilles, seule preuve qu’elle n’avait pas rêvé cette rencontre.
Que devait-elle en faire. Une feuille pour l’espérance, une pour la foi, une autre pour…. elle n'arrivait pas à se souvenir du reste des paroles, mais l'homme avait éveillé en elle une lueur d'espoir.
Et si sa mère pouvait revenir grâce à ce trèfle ? Cette pensée était vraiment ridicule, mais elle brillait dans le cœur d’Anna comme une lumière au fond d’un tunnel sombre. Et puis, elle n'avait plus rien à perdre, au pire tout serait tel que c'était actuellement. Au mieux, sa mère serait de nouveau près d’elle.
Elle devait tenter sa chance.
Anna retourna en courant vers la tombe et cria aux fossoyeurs d'arrêter. Les deux hommes stoppèrent leur travail en regardant la jeune fille avec étonnement. Elle se pencha au-dessus du trou et lança le minuscule trèfle qui tourbillonna lentement avant de se poser sur la terre fraichement retournée. Elle ferma les yeux en espérant de toutes ses forces, de toute son âme qu'un miracle se produise. Quand elle les rouvrit, rien n'avait changé, elle était toujours dans le cimetière, la pluie tombait de plus en plus fort et les deux fossoyeurs lui jetaient des regards interrogatifs, devaient-ils attendre ou bien continuer de refermer la tombe ? Anna, honteuse, s'éloigna d'un pas rapide sans un mot.
Les deux hommes restèrent un instant à la regarder puis posèrent leurs pelles pour aller se mettre à l’abri.
Dans le grand salon, toute la famille s'était réunie, le bruit de leurs voix et de leurs rires attrista Anna, c'en était trop pour elle.
Elle se précipita dans sa chambre où elle s'effondra sur le lit en pleurs.
Epuisée par la fatigue, elle finit par sombrer dans un sommeil profond et réparateur.
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