21. Le coma
Le SAMU arriva rapidement. Les urgentistes pénétrèrent dans l’appartement avec une efficacité silencieuse. Ils examinèrent Nathalie allongée sur le canapé. Véronique, immobile à quelques pas, observait leurs gestes avec une inquiétude grandissante.
— Aucune réponse... pulsations normales... pas de signe de traumatisme... murmura l’un des secouristes. Il échangea un regard perplexe avec son collègue. Après plusieurs tentatives infructueuses pour la ranimer, ils décidèrent de la transporter à l’hôpital. Nathalie fut placée sur un brancard. Son corps immobile flottait sous le drap blanc. Véronique suivit les secouristes jusqu’à l’ambulance, l'esprit embrouillé.
Elle fut admise à l’Hôpital du Pays d’Aix. Une équipe médicale prit aussitôt le relais. Les médecins branchèrent des moniteurs. Chaque constante, chaque réflexe fut vérifié. Le bip régulier des machines était le seul bruit dans la salle. Véronique, quant à elle, attendait dans le couloir. Elle arpentait le sol, les bras croisés contre sa poitrine, incapable de trouver le moindre réconfort. Des souvenirs de leurs conversations récentes lui revenaient en tête. Ils amplifiaient son sentiment d’impuissance.
Un médecin approcha. Elle se précipita vers lui, les yeux rougis par les larmes :
— Docteur... Comment va-t-elle ?
Le médecin parut fatigué. Il hésita une seconde, sa voix était compatissante :
— Vous êtes une proche ?
— Je suis son amie. C’est moi qui l’ai trouvée dans cet état, murmura-t-elle.
Le médecin inspira profondément. Il pesa ses mots avant de répondre :
— Nous avons réalisé de nombreux examens. Ses constantes sont normales. Il n’y a aucun signe d’accident vasculaire, ni de problème cardiaque ou d’intoxication. Pourtant... elle est plongée dans ce que nous appelons un coma inexpliqué.
Véronique blêmit :
— Un coma... Mais comm...?
— Nous ne savons pas encore, admit-il. Pour l’instant, il n’y a aucune cause évidente. Nous allons la surveiller de près. Nous devons effectuer des analyses supplémentaires.
— Je peux la voir ?
— Bien sûr. Suivez-moi.
Le médecin la guida jusqu’à sa chambre. Veronique put la voir derrière une vitre. Nathalie était allongée, branchée à des moniteurs, son visage éclairé par une lumière pâle. Véronique sentit son cœur se serrer. Ce visage d'ordinaire si doux, si vivant lui était étranger dans cette immobilité oppressante.
Elle tourna un regard suppliant vers le médecin :
— Et maintenant ?
— Nous allons tout faire pour comprendre ce qui l’a plongée dans cet état. Chaque heure compte.
Le médecin posa une main réconfortante sur son épaule. Véronique fixa son amie à travers la vitre. Des larmes coulaient le long de ses joues. Une frontière invisible les séparait, une barrière qu’elle ne savait comment franchir.
— Rentrez chez vous, reposez-vous. Nous avons vos coordonnées. Nous vous tiendrons informés de la moindre évolution dans l'état de votre amie. A-t-elle de la famille proche ?
Véronique secoua la tête tristement :
— Ses parents sont à l'étranger... Sa fille, chez des amis.
Le médecin hocha la tête :
— Je vous charge de les prévenir, murmura-t-il doucement. Votre amie pourrait avoir besoin de leur présence.
— Oui, bien sûr... Je m'en occupe, répondit-elle, émue.
Elle resta un instant immobile. Elle regardait Nathalie à travers la vitre de la salle de soins. Elle se sentait à la fois proche et infiniment loin. Ce visage familier semblait suspendu entre deux mondes.
Véronique inspira profondément. Elle jeta un dernier regard vers son amie puis quitta l'hôpital. La nuit enveloppait la ville d'un voile sombre et mystérieux. Elle se rendit chez Nathalie. Elle voulut récupérer quelques affaires pour les ramener à l'hôpital, au cas où son amie reprendrait conscience.
"Et si elle ne se réveillait pas ? Si elle ne se réveillait plus jamais..."
Cette pensée sombre s’immisça dans son esprit. Elle la glaça d’effroi.
Elle la chassa aussitôt, refusant de s’y attarder. Nathalie allait s’en sortir, il n'y avait aucun doute. Après avoir préparé un petit sac avec quelques vêtements - des affaires de toilette et un livre qu’elle savait cher à son amie - Véronique s’allongea sur le canapé pour tenter de se détendre. Les événements de la soirée l'avaient épuisé. S’en rendre compte, elle s’endormit.
Le matin la trouva dans un sommeil léger, troublé par des rêves épars et oppressants. Ce fut la sonnette de l’appartement qui la tira de sa torpeur. Elle se redressa, encore engourdie, et ouvrit la porte d’entrée. L’homme qui se tenait devant elle fut surpris de la voir.
— Bonjour... Nathalie n’est pas là ? demanda-t-il.
— Qui êtes-vous ? répondit-elle, méfiante.
— Je suis un ami de Nathalie. Je m’appelle Vincent.
Véronique sentit son cœur bondir. Elle le fixa un instant avant de le prendre par le bras et l’inviter à entrer.
— Vincent... Je suis Véronique, l’amie de Nath.
Il hocha la tête. Il était inquiet :
— Elle m’a parlé de vous. Où est-elle ? Où est Nathalie ?
Véronique hésita, le regard fuyant :
— Elle est... à l’hôpital.
— À l’hôpital ? répéta Vincent, sa voix se brisa. Mais que s’est-il passé ?
— Je l’ai trouvée sur le canapé hier soir, recroquevillée sur elle-même, endormie. Je n’ai pas réussi à la réveiller. J’ai appelé une ambulance et elle a été conduite à l'hôpital.
— Et les médecins ? Qu’ont-ils dit ?
— Ils ne savent pas ce qu’elle a. Tout semble normal, mais elle ne se réveille pas. J’attends de ses nouvelles.
Véronique marqua une pause, puis désigna le sac qu’elle avait préparé :
— J’ai rassemblé quelques affaires à emmener là-bas.
— Cela vous dérangerait-il si je vous accompagne ? demanda Vincent.
— Non, bien sûr que non. Nathalie m’a souvent parlé de vous. Vous vous connaissez depuis longtemps, c'est ça ?
Vincent hocha lentement la tête, le regard lointain :
— Oui, très longtemps. Pour être honnête, j’ai l’impression de la connaître depuis toujours.
Véronique l’observa un instant.
— Elle compte beaucoup pour vous ? demanda-t-elle.
Vincent baissa les yeux. Il hésita à répondre. Quelque chose dans l’atmosphère, peut-être l’urgence de la situation, le poussa à s’ouvrir :
— Plus que ça... murmura-t-il finalement. Nathalie... elle est...
Il s’interrompit, sa gorge se noua. Véronique posa une main rassurante sur son bras.
— Vous l’aimez, n’est-ce pas ? glissa-t-elle doucement.
Vincent releva la tête. Son regard brillait d’émotion.
— Je l’aime depuis le jour où j’ai posé les yeux sur elle, avoua-t-il.
Un silence lourd s’installa. Véronique fut émue par la profondeur de sa déclaration.
— Vous savez, Nathalie m’a souvent parlé de vous. Pas directement, mais il y avait quelque chose dans sa voix quand elle mentionnait votre nom.
— Que disait-elle ? demanda-t-il avec une curiosité teintée d’espoir.
— Que vous aviez une façon particulière de la regarder, de l’écouter. Que vous compreniez ses pensées sans qu’elle ait besoin de parler. Vous étiez son refuge, Vincent.
Un léger sourire triste éclaira ses lèvres. Elle ajouta :
— Si elle compte autant pour vous, alors vous devez être avec elle maintenant.
Vincent acquiesça. La détermination éclairait son visage
- Elle est tout pour moi.
- Venez, aidez-moi.
Ils rassemblèrent rapidement des affaires restantes, puis quittèrent l’appartement pour se rendre à l’hôpital. Pendant le trajet, Vincent resta silencieux, perdu dans ses pensées. Les souvenirs de Nathalie, ses sourires, ses rires, chaque moment partagé lui revenaient comme autant de preuves de ce qu’il avait à perdre. Il franchit les portes du service de neurologie et sentit son cœur se serrer.
Peu importe ce qu’il trouverait de l’autre côté, il ne laisserait pas Nathalie affronter cela toute seule.
Ils entrèrent dans la chambre où elle avait été transférée. Allongée, son visage pâle, elle était plongée dans un profond sommeil. Ses paupières bougeaient légèrement. Vincent comprit immédiatement qu’elle rêvait. Une vague d’inquiétude monta en lui :
- Nathalie vous a-t-elle déjà parlé de ses rêves ? demanda-t-il à Véronique.
- Oui, plusieurs fois, répondit-elle. Elle m’a parlé de ces rêves étranges que vous partagiez.
Vincent acquiesça lentement :
— Elle et moi, nous sommes connectés par nos rêves, dit-il finalement. Mais ces mêmes rêves sont en partie responsables de ce qui lui arrive aujourd’hui.
— Comment ça ? demanda Véronique, la voix troublée.
— C’est compliqué. Écoutez, Véronique... Si vous tenez à Nathalie autant que moi, il va falloir me croire. Vous risquez d'entendrez des choses qui semblent folles, mais vous devez me faire confiance.
— Je vous crois, Vincent, assura-t-elle. Ses yeux reflétaient l’appréhension. Il inspira profondément, le regard fixé sur Nathalie :
— Je dois dormir. Si j’y parviens, je pourrai la rejoindre, découvrir ce qui la retient... et peut-être la ramener.
— Dormir ? Mais vous ne pouvez pas dormir sur commande... protesta Véronique.
— Là est le problème... Et je ne veux pas prendre de somnifères. Cela altérerait mes sens. J'ai besoin d'avoir toute ma tête pour affronter...
Il se tut brusquement. Une ombre passa sur son visage.
Véronique fronça les sourcils, l'inquiétude grandissant :
— Qu’est-ce que vous allez affronter ?
— Je ne sais pas vraiment. Je pense que quelqu'un, ou plutôt quelque chose la retient. J'aurai besoin de toute ma lucidité pour la ramener auprès de nous.
Véronique hocha la tête, résignée. Il ajouta :
— Je retourne chez Nathalie, j'habite trop loin et je ne veux pas perdre de temps. J'irai m'allonger chez elle en espérant que le sommeil m'emporte rapidement. Si toutefois elle revient, tenez-la en éveil et appelez-moi. Elle ne doit surtout pas se rendormir avant que je revienne. C'est bien compris, Véronique ?
Les mots de Vincent résonnaient comme un appel à l'action, une promesse de combats à venir pour sauver celle qui leur était si chère. Elle acquiesça :
— Oui, mais vous... ? Vincent posa une main sur son épaule :
— Ne vous inquiétez pas, je sais ce que je fais. Je compte sur vous, Véronique. Alors qu’il allait partir, elle l’interpella :
— Vincent... Les médecins ont retiré ses bijoux. Pouvez-vous les déposer chez elle ? En même temps qu'une bague et des boucles d'oreilles, elle tendit à Vincent son collier et la pierre qu'il lui avait offerte, alors qu'ils n'étaient que des adolescents.
La topaze.
Vincent sentit son souffle se suspendre. Il prit le bijou à la main et le fixa longuement, envahit par une vague de souvenirs. Puis il le glissa dans la poche de son jean.
— Merci, murmura-t-il.
Il quitta la chambre sans un mot de plus et se précipita chez Nathalie. À peine arrivé, il se laissa tomber sur le canapé, décidé à s’endormir au plus vite pour rejoindre sa bien-aimée dans cet étrange monde onirique où elle était retenue.
Son regard fut attiré par le mur, face à lui. Il était décoré de photos anciennes. Parmi elles, une en particulier l’appela. Un écho du passé. Encadrée simplement, jaunie par le temps, elle représentait un groupe de jeunes gens. La scène était figée dans un été radieux des années 2000. La lumière éclatante du soleil, les tenues décontractées et les sourires insouciants des visages trahissaient une époque révolue. Un moment de joie pure, avant que la vie ne vienne y déposer l'ombre des responsabilités et des soucis de la vie.
Au centre de l’image, Nathalie rayonnait. Elle incarnait une jeunesse pleine de promesses. Sa robe légère, d’un blanc cassé, était rehaussé de touches de bleu pastel. Ses cheveux blonds, libres et ondulés, encadraient un sourire éclatant, habité d’une insouciance désormais si lointaine. Elle dégageait une lumière naturelle. Magnétique. Elle captait immédiatement l’attention.
À ses côtés, Vincent se tenait légèrement en retrait, comme s’il préférait rester en arrière-plan pour lui laisser la vedette. Pourtant, son regard, capté au moment précis où la photo fut prise, ne fixait qu’elle. Il était empreint d’une tendresse flagrante, un mélange de douceur et d’admiration qui trahissait des sentiments qu’il n’avait pas osé avouer à l’époque.
Il se souvenait parfaitement de ce jour-là, de son t-shirt noir délavé, de son jean usé et de cette attitude détendue qu’il avait adoptée, les mains enfoncées dans ses poches. Ce n’était qu’une façade. Son cœur battait bien plus fort qu’il ne voulait l’admettre.
Sur la gauche de la photo, ses cousins complétaient la scène. Enzo, avec ses lunettes de soleil rondes et son polo à rayures, souriait timidement, mal à l’aise devant l’objectif. Maxime, le plus jeune, accroupi devant les autres, levait une bouteille de soda avec un large sourire, comme pour célébrer l’instant.
À droite, se tenaient les deux jeunes Allemandes, légèrement appuyées l’une contre l’autre. La première, une brune vêtue d’un short en jean et d’un chemisier noué à la taille, lançait un regard espiègle à l’objectif. Son sourire malicieux trahissait une personnalité pleine de vie. La seconde, plus petite, avec des cheveux blonds semblables à ceux de Nathalie, portait un t-shirt aux couleurs vives et un sac en bandoulière. Son expression, à la fois amusée et sérieuse, se demandait pourquoi ce moment méritait d’être immortalisé.
Tous les six étaient alignés sur une plage ensoleillée de l’Île Rousse. Le sable chaud et doré s’étendait à perte de vue, baigné par le murmure apaisant de la mer qui scintillait sous les rayons du soleil. Chaque vague capturait la lumière comme pour amplifier l’éclat de leur bonheur. Le ciel d’un bleu pur, sans le moindre nuage, bénissait ce jour particulier.
Vincent sentit une pointe de nostalgie le traverser alors qu'il contemplait cette image. C’était l’un de ces moments où la vie semblait infinie, où le monde n’était qu’une vaste promesse. Ils incarnaient alors la légèreté de leurs vingt ans, cet âge où l’avenir est une toile vierge, où chaque instant est une découverte, un éclat de rire, une nouvelle histoire à raconter.
Il voulut trouver dans cette photo un peu de cette énergie passée. Mais cette joie insouciante, désormais si loin, était effacée par le poids des années et des épreuves. Il détourna finalement les yeux, le cœur alourdi par une mélancolie douce-amère.
"Nathalie... Tu te souviens de cet instant, de ce jour où tout semblait parfait ? Où es-tu maintenant ?"
Ses pensées oscillaient entre les souvenirs d’hier et les exigences du moment. Alors que ses paupières s’alourdissaient, une dernière image de Nathalie, riant sous le soleil d’été, vint hanter son esprit. Peu à peu, il se laissa glisser dans le sommeil, prêt à tout pour la retrouver. Les derniers effets du somnifère qu'il avait pris l'aidèrent à sombrer rapidement.
Il plongea dans un noir complet.
Un bruit assourdissant envahit soudainement ses sens. Vincent mit quelques secondes à comprendre que ce bruit n'était que le rugissement d'un stade en ébullition. Un éclairage puissant illumina le stade géant de l'Allianz Arena. Il apparut brutalement sous ses yeux. Mais très vite, il réalisa que quelque chose clochait. L'enceinte sportive était vide. Pas une seule personne dans les gradins.
"Ce bruit, ces acclamations, d'où proviennent-elles ?"
Alors que Vincent cherchait désespérément une réponse logique à ses pensées, une ombre surgit derrière lui, rapide, implacable. Avant même qu'il ne puisse réagir, un coup brutal s'abattit sur son genou.
Il l’envoya au sol dans un cri déchirant de douleur. Une souffrance insoutenable irradia dans sa jambe. Chaque pulsation de douleur semblait amplifier l'horreur de la situation. Il voulut se réveiller, fuir ce cauchemar, mais une pensée le persuada de rester.
Nathalie avait besoin de lui.
Il tremblait et grimaçait. Là, devant lui, se tenait une créature grotesque, mi-homme, mi-bête. Ses yeux injectés de sang luisaient d’une lueur cruelle. Ses dents acérées se dévoilaient sous un rictus glaçant. Une odeur fétide émanait de lui. Un mélange de pourriture et de souffre. Son simple regard suffit à tétaniser Vincent.
Il rassembla son courage :
- Mais... qui êtes-vous ?
La créature esquissa un sourire tordu, encore plus terrifiant que son expression neutre. Une vague de nausée submergea Vincent.
- Tu sais bien qui je suis. Sa voix était rauque, traînante, presque amusée.
Vincent, les muscles tendus, déglutit difficilement :
- Où est Nathalie ?
Un rire profond et guttural s'échappa de la gorge de l'entité.
- Vivante. En lieu sûr. Cette fois, sa voix suintait la malice et la condescendance. Pour le moment...
Le souffle de Vincent s’accéléra alors qu’il tentait de dissimuler sa panique :
- Bon Dieu... mais que nous voulez-vous ?
Le démon se pencha légèrement, le regard perçant :
- La pierre. C’est ce que j’ai toujours voulu.
Ces mots frappèrent Vincent comme une lame glacée. Tout devenait clair. Il fronça les sourcils, cherchant à gagner du temps :
- La pierre...? Mais quelle pierre ?
L’entité ne répondit pas immédiatement. À la place, elle s’avança et planta son pied monstrueux sur le genou déjà meurtri de Vincent. La pression implacable arracha un hurlement de douleur au jeune homme, un cri brut, animal, qui résonna dans le vide du stade.
- Celle que tu m’as volée, hurla la créature. Sa voix était emplie d’une rage surnaturelle.
La douleur lui brouillait l’esprit. Mais Vincent savait qu’il ne pouvait abandonner maintenant. Pas tant que Nathalie était en danger. Le froid glacial du stade vide mordait sa peau. La sueur perlait sur son front. Chaque goutte témoignait de l’effort surhumain qu’il fournissait pour ne pas céder. Il prit une inspiration tremblante et répondit :
- Écoutez, je suis prêt à tout vous donner. Même ma vie, mais... laissez-la partir.
Un ricanement déchirant s’éleva. Il résonna comme un écho infernal entre les gradins :
- Ta vie, comme la sienne, m’importent peu. Ce que je veux, c’est la pierre.
Vincent cligna des yeux, le souffle court :
- D'accord, d'accord. je vous la donnerai. Elle est autour de son cou. Pourquoi ne pas la prendre vous-même et nous laisser tranquilles !
Il tenta de paraître ferme, mais sa voix trahissait sa peur. L'entité démoniaque se pencha davantage, son visage hideux à quelques centimètres de celui de Vincent. Une haleine putride lui brûla les narines. Son cœur s’emballa. Il tenta de reprendre le contrôle, malgré la terreur et la douleur qu'il ressentait. Elle se redressa lentement, le regard méprisant.
- C’est toi qui me l’as prise. A toi de me la rendre.
Vincent réalisa pourquoi cette créature avait besoin de lui. Elle ne pouvait s’approprier la pierre directement. Cette révélation, bien qu’effrayante, lui donna un maigre avantage. Il réfléchit rapidement, chercha un moyen d’exploiter cette faiblesse tout en gagnant du temps.
- Très bien... Pour cela, je dois m’approcher de mon amie. Il tenta de garder son sang-froid.
- Fais donc. Mais prends garde, Vincent. Je sais lire en toi. Chaque pensée, chaque intention. Alors, réfléchis bien à ce que tu comptes entreprendre.
Le monstre étendit les bras. Une étrange lumière blanche se matérialisa devant eux. Lentement, une silhouette commença à émerger de ce halo, floue au début, avant de se préciser en une forme humaine.
Nathalie apparut. Immobile. Elle flottait légèrement, enveloppée d’un drap blanc immaculé. Vincent sentit son cœur se serrer à la vue de sa bien-aimée. Il se redressa malgré la douleur. Il fit un pas en avant, puis un autre, se rapprochant d’elle avec précaution.
Une question le retint. Il suspendit son geste et se retourna :
- Qui me dit que vous nous laisserez partir après ?
Le démon éclata de rire. Son ton moqueur résonna comme une sentence :
- Je pense que tu n’es pas en position de négocier.
Il se contenta de sourire faiblement, masquant son trouble. Il devait rester concentré. À hauteur de Nathalie, il se pencha vers elle. Il prit une grande inspiration pour contenir la panique qui grondait en lui.
- Nathalie... murmura-t-il. Sa voix était douce mais tremblante.
- Nathalie, réveille-toi...
Elle ouvrit lentement les yeux, sa respiration faible. Ses lèvres s’entrouvrirent :
- Vincent. Mon Dieu mais... que se passe-t-il ? Où sommes-nous ?
Il posa une main rassurante sur sa joue. Il lui sourit :
- Fais-moi confiance, Petit Cœur... Je vais te sortir de là.
Alors qu’il s’apprêtait à détacher la chaîne autour du cou de Nathalie, elle eut un sursaut. Elle recula instinctivement. Mais elle croisa son doux regard et finit par céder, immobile.
- Souviens-toi des paroles du médium, Nath, la rassura-t-il en ajustant la chaîne dans sa main. Je suis désolé, Petit Coeur. Nous n'avons pas le choix.
- Vince, que vas-tu faire ?
- C'est bientôt fini, ne t’inquiète pas.
Il déposa un baiser léger sur ses lèvres. Elles étaient froide comme le marbre. Un frisson le traversa. Était-ce un signe qu’elle était déjà perdue ? Était-il possible qu’elle reste prisonnière de ce rêve pour l’éternité, enfermée dans une léthargie qui ne cesserait qu’à sa mort ? Cette pensée le terrifia. Il devait agir. Vite. La sauver était tout ce qui comptait.
- Je t'aime Nathalie. Je t'ai toujours aimée.
Il esquissa un sourire tremblant, un sourire d’espoir qu’il s’efforçait de maintenir pour elle. Lorsque la chaîne fut entièrement détachée, il se tourna lentement vers l'entité, ses yeux cherchant des réponses ou des consignes tacites dans son attitude imposante.
- Approche, Vincent, dit la créature.
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