8. Monticello
Vincent arriva à l’Île Rousse par un radieux matin de juillet 2007.
Sur le quai, Maxime et Enzo, ses deux cousins, l’attendaient avec impatience. Ce séjour promettait d’être une parenthèse bienvenue après une saison sportive perturbée par une contracture musculaire. Le médecin lui avait conseillé de ralentir, et ces semaines de vacances en Corse semblaient idéales pour se ressourcer avant la reprise de l’entraînement.
À cette époque, Vincent jouait pour le Club de Football de Martigues. Après quelques apparitions avec l’équipe réserve, il avait intégré l’équipe première, ambitieux mais encore en quête de constance pour atteindre le haut niveau.
Les retrouvailles furent à la hauteur de leurs attentes : joyeuses, bruyantes, pleines d’anecdotes et d’éclats de rire. Ils avaient grandi ensemble dans le vieux quartier de la Joliette, à Marseille, avant que leurs chemins ne se séparent lorsque l’oncle et la tante de Vincent s’étaient installés en Corse à la fin des années 90.
Avant de rejoindre le village familial, ils décidèrent de s’arrêter au bar du port, profitant du soleil matinal et d’une légère brise pour trinquer à l’été autour d’une bière fraîche. Entre souvenirs et projets pour les jours à venir, leur complicité renaissait naturellement.
— Alors, comment s’annonce l’été, les garçons ? demanda Vincent avec un sourire en coin.
— Tu veux dire avec les filles ? lança Maxime en riant. Chaud, très chaud !
— La vraie vague arrive la semaine prochaine, ajouta Enzo avec un clin d’œil complice.
Maxime, enthousiaste, poursuivit :
— Une boîte vient d’ouvrir à Calvi, on y est allé avec Enzo, c’était dingue ! Une ambiance de fou, et la musique, franchement, au top !
— Et côté boulot, vous faites quoi ? s’enquit Vincent en les regardant tour à tour.
Enzo haussa les épaules :
— Je bosse à la mairie, à la voirie. C’est pas mal, et le chef est cool.
— Moi, je fais la plonge au resto du “Moulin” à l’Île Rousse, répondit Maxime. Pas de quoi se vanter, mais ça dépanne. Et toi, Vincent, toujours dans le foot ?
Vincent esquissa un sourire énigmatique :
— Oui, j’attends des nouvelles d’un bon club, mais je ne peux pas en dire plus... On verra bien.
Enzo se leva en s’étirant :
— Allez, on file au village. Tu poses tes affaires, et on redescend à la plage dans l'après-midi. Ça te dit ?
— Avec plaisir, répondit Vincent.
Ils montèrent dans une vieille Peugeot 306 qu’Enzo décrivit avec amusement comme "fiable, tant qu’on ne lui demande pas trop".
En quittant l’Île Rousse, ils empruntèrent une petite route sinueuse qui les guida à travers des paysages typiques de la Balagne.
Des oliviers centenaires et des murets de pierre sèche bordaient le chemin. La végétation méditerranéenne, sauvage et odorante, s’étalait de part et d’autre. Des buissons de myrte aux cistes à fleurs blanches en passant par les genévriers épineux, tout y était naturellement implanté et s’étalait à perte de vue.
Par moments, la route offrait des échappées sur des panoramas à couper le souffle, avec la mer d'un bleu éclatant qui s'étendait à perte de vue, parsemée des reflets du soleil.
Le village de Monticello se dévoila peu à peu, accroché à flanc de colline. Les maisons couleur ocre, aux volets verts ou bleus, semblaient façonnées par le temps, se fondant harmonieusement dans le paysage rocheux.
Le village, baigné de la lumière dorée du matin, semblait figé dans le temps. Les vieilles pierres des maisons racontaient l’histoire de générations passées, et les ruelles pavées, étroites et sinueuses, se perdaient dans un enchevêtrement charmant, menant tantôt à une placette ombragée, tantôt à un vieux puits de village, où l’eau brillait encore sous la lumière du matin.
De petits figuiers et des lauriers-roses en fleurs poussaient aux abords des habitations, leurs branches caressées par le vent chaud venu de la mer. L’air embaumait le maquis, le thym et le romarin, et l’on entendait au loin le doux son des cigales, accompagnant cette atmosphère paisible.
Monticello, avec sa vue imprenable sur la baie et ses ruelles silencieuses, leur promettait un été hors du temps, où chaque instant semblait destiné à la douceur et à la liberté.
Lorsque Vincent entra dans la maison familiale, sa tante Claudine l’accueillit avec une chaleur débordante, des larmes de joie dans ses yeux et un flot de questions empressées pour rattraper le temps perdu.
Comme de partout dans le sud, les retrouvailles furent intenses, les embrassades longues et sincères.
Félix, son oncle, ne serait là que pour le déjeuner, toujours retenu par son travail.
Vincent descendit déposer son sac dans la petite chambre qu'il avait aménagée pour sa venue.
La pièce, simple mais accueillante, dégageait une odeur apaisante de linge fraîchement lavé, le lit, couvert d’un couvre-lit brodé à la main, semblant l'attendre depuis des années.
Il ne s’attarda pas, remontant aussitôt à l’étage pour retrouver ses cousins et sa tante. Encore bouleversée par l'émotion, elle l’étreignit une nouvelle fois :
- Comme tu as grandi, mon chéri ! Tu es beau comme un rayon de soleil ! s’exclama-t-elle, un éclat de fierté dans les yeux.
Pour Vincent, Félix et Claudine n’étaient pas seulement des proches ; ils représentaient une seconde famille, un refuge de tendresse et de stabilité.
Autour de la table, les discussions fusèrent. On échangea des nouvelles, on évoqua des souvenirs d’enfance, et Vincent raconta les derniers événements de la vie de sa mère, Lisa.
En entendant ce nom, Claudine, touchée par la distance qui la séparait de sa petite sœur, ne put retenir une larme discrète.
Peu avant midi, Félix arriva, fidèle à ce qu’il appelait "l’heure sacrée de l’apéro". Les retrouvailles avec son neveu furent tout aussi chaleureuses, empreintes d'une sincérité qui ne nécessitait pas de mots superflus.
Autour d’un verre, les conversations reprirent, ponctuées de rires et d’anecdotes. Claudine avait préparé une généreuse salade de pâtes et un rôti de porc froid et le repas, simple et convivial, fut couronné par sa fameuse charlotte au chocolat, un dessert emblématique pour Vincent, chargé de souvenirs doux et nostalgiques.
L’après-midi, les trois adolescents décidèrent de profiter du soleil éclatant. Alors qu’ils se préparaient à partir à la plage, Vincent, soudain plus sérieux, s'adressa à ses cousins :
- Les gars, je dois vous dire un truc, lança-t-il d’un ton grave, attirant aussitôt leur attention.
Maxime et Enzo échangèrent un regard inquiet. Enzo s’approcha, fronçant légèrement les sourcils :
- Qu’est-ce qui se passe, Vince ? demanda-t-il, prêt à entendre une annonce lourde.
Vincent laissa passer un moment de suspense avant de sourire, désamorçant leur inquiétude :
- Avec le foot, j’ai réussi à mettre un peu d’argent de côté, dit-il. Pas de quoi acheter un yacht, mais assez pour qu’on profite de cet été comme il se doit. Alors, on fait tout à fond, ok ?
Un éclat de joie illumina le visage de Maxime :
- T’inquiète pas, je vais te montrer comment on fait la fête en Corse !
Enzo, plus posé, posa une main sur l’épaule de Vincent :
- T’es toujours le même, Vince. Tu penses toujours aux autres avant tout. Merci, cousin.
Les trois jeunes hommes s’étreignirent, leurs rires mêlés à une émotion discrète mais sincère.
Les jours suivants furent un tourbillon d’instants inoubliables : baignades dans des criques isolées, parties de pétanque sous un soleil brûlant, et soirées endiablées dans la nouvelle boîte de Calvi, où les rythmes électro les entraînaient jusqu’à l’aube.
Puis, un samedi matin, au levé du jour, Enzo et Maxime décidèrent de surprendre Vincent. Ils pénétrèrent en trombe dans sa chambre, secouant son lit avec une énergie débordante :
- Debout, champion ! cria Maxime.
- Sérieux ? Il est six heures... grogna Vincent, à moitié endormi.
- Allez, bouge ! Habille-toi vite, on boira le café en ville ! lança Enzo, hilare.
Curieux mais encore groggy, Vincent se leva, enfila des vêtements à la hâte et suivit ses cousins dans l’air frais du matin.
La lumière naissante baignait la Corse d’une douceur irréelle, transportant avec elle un souffle enivrant qui éveillait tous les sens.
Tout au long du trajet, Vincent n'arrêta pas de poser des questions, curieux de savoir ce qui les attendait. Mais Max et Enzo restaient mystérieux, échappant à chaque interrogation avec des sourires en coin et des réponses évasives. Ce n'est qu'en arrivant au port de l'Île Rousse que le mystère fut enfin levé :
- Alors, qu’est-ce qu’on fait ici ? demanda Vincent, légèrement frustré par tout ce suspense.
- Regarde ! Maxime désigna le ferry accosté le long du quai.
- Le Pascal Paoli, arrivé ce matin en provenance du continent, ajouta Enzo avec un clin d’œil complice.
- Et alors ? Qu’est-ce que ça change pour nous ?
Maxime éclata de rire, incapable de contenir plus longtemps son excitation :
- Les filles, Vince ! L’arrivée des estivantes ! Un débarquement de centaines de filles venues tout droit du continent ! Tu comprends maintenant ?
Vincent, écarquillant les yeux, prit soudain conscience du plan élaboré par ses cousins. Un sourire amusé se dessina sur son visage.
- Ah, d’accord, je vois… Les mecs, vous êtes vraiment incorrigibles !
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Pendant ce temps, Christian, Jeannette et leurs filles s’installaient à bord de la Renault Espace familiale, le cœur battant d’impatience à l’idée de fouler enfin le sol corse. Leur destination : le charmant village de Monticello, perché sur les hauteurs de l’Île-Rousse.
Après une année chargée de travail à l'ambassade de France à Bucarest, Christian avait laissé à sa famille le choix de la destination de leurs vacances tant méritées. Nathalie, sa fille aînée, n’avait eu aucun mal à le convaincre. Elle avait ce regard lumineux, cet enthousiasme irrésistible qui rendait tout refus impossible.
Ce serait donc la Corse, cette île magnifique dont elle avait commencé à rêver quelques semaines auparavant.
Elle s’était sentie attirée, comme si un appel mystérieux l’invitait à y aller.
À l’arrière de la voiture, elle échangeait des rires avec sa sœur Carole, toutes deux débordantes d’excitation face à l’aventure qui les attendait.
Le ferry, bercé par les vagues matinales, venait tout juste d’accoster. Les passagers attendaient maintenant que la porte s’ouvre, impatients de débarquer sur cette terre de beauté, avec ses senteurs de maquis et ses panoramas grandioses.
Quelques minutes plus tard, la Renault emportait la petite famille à travers les routes sinueuses qui grimpaient jusqu’au village de Monticello, où une petite maison chaleureuse les attendait. Autour d’eux, les autres vacanciers affluaient, leurs visages illuminés par l’air frais et salé.
Nathalie laissa son regard vagabonder sur l’horizon. Une brise légère effleurait son visage, et un frisson étrange la parcourut. Ce frisson, elle le ressentit dès que le bateau toucha terre, comme si une aventure inattendue l’attendait ici.
Les vacances allaient commencer et elle les espérait sous les auspices de la romance et pourquoi pas, de l'amour. Ignorant encore ce que l'été lui réserverait, elle était déjà prête à se laisser porter par le vent du changement.
Postés en retrait sur le quai, Vincent, Maxime et Enzo observaient le flot d’estivants qui descendaient du ferry. Les regards des trois cousins parcouraient la foule, cherchant déjà les visages ou les silhouettes qui pourraient marquer leur été.
- Eh, Enzo, t’as repéré quelque chose ? murmura Maxime, l’œil vif.
Son frère aîné ne répondit pas immédiatement. Son attention était captivée par une jeune fille qui se distinguait parmi la foule. Élancée, avec un sourire doux illuminant son visage, ses cheveux bruns dansaient sous la brise marine.
- Oui... une jeune fille brune, très jolie.
Il le regarda dans les yeux et ajouta en souriant :
- Trop jolie pour toi, d'ailleurs !
Maxime voulut protester, mais Enzo se mit à rire ne lui laissant aucune chance de repondre.
Vincent fit mine de lever les yeux au ciel, l’air faussement contrarié :
- Vous êtes désespérants !
Un instant plus tard, une Volkswagen Golf cabriolet attira l’attention des deux frères. Une rousse au volant. Maxime poussa un sifflement admiratif alors qu’Enzo ajoutait :
- Ça commence vraiment bien ! déclara-t-il avec un sourire espiègle.
Vincent, jeta un regard complice à ses cousins avant de lâcher tout sourire :
- Y en a pas un pour rattraper l’autre...
Ils passèrent une bonne partie de la matinée à observer les estivants descendre du bateau, riant de leurs plaisanteries et commentant les nouveaux arrivants.
Puis lassés, ils prirent la direction de la plage, où rires, musique et baignades vinrent compléter la journée estivale.
Le lendemain matin, Vincent sirotait un café à la terrasse d'un des bars du village, entouré de ses cousins.
Seul "Starlight" de Muse, jouant en fond, brisait le silence inhabituel à leur table. Maxime observait discrètement un groupe de jeunes filles assises non loin, tandis qu’Enzo, plongé dans son journal, épluchait les pronostics pour son tiercé.
Vincent, quant à lui, laissait son regard errer, quand ses yeux se posèrent sur une jeune fille qui descendait les ruelles pavées des hauteurs du village.
Elle était accompagnée d’une adolescente plus jeune - sûrement sa sœur - et discutait distraitement avec elle.
Il la fixa un instant. Ses longs cheveux blonds ondulaient au gré de la brise matinale, et sa robe légère flottait autour d’elle avec élégance. Mais ce n’était pas sa beauté qui retenait l’attention de Vincent. C’était cette aura de douceur et de mystère, ce calme rêveur qui semblait la distinguer des autres.
À ses côtés, sa sœur parlait sans relâche, mais elle, silencieuse, semblait absorbée par la beauté du village corse.
Maxime remarqua l’intérêt soudain de Vincent et lui donna un coup de coude complice.
- Eh, Vince… On dirait que tu nous caches encore quelque chose !
Vincent esquissa un sourire mystérieux :
- Peut-être.
Mais en détournant le regard, il se parla à lui-même :
- On dirait une ombre du passé.
Il secoua la tête, tentant de chasser cette idée et ajouta :
- Laisse tomber, une touriste comme les autres.
Mais le regard de Vincent restait fixé sur la jeune femme qui descendait lentement la rue pavée, presque comme si elle flottait. Une étrange impression grandissait en lui, une sensation qu'il n'arrivait pas à nommer. Était-ce vraiment une ressemblance frappante avec quelqu’un de son passé, ou simplement un jeu de son esprit fatigué ?
- Sérieux, Vince ? Une "touriste comme les autres" ? fit Maxime en imitant sa voix, tout en affichant un sourire moqueur.
- Laisse-le, Max. Il est en train de tomber amoureux, rigola Enzo, tout en tournant une page de son journal.
Vincent esquissa un sourire en coin, mais son esprit était ailleurs. La silhouette de la jeune femme continuait de captiver son attention. Ses gestes, sa démarche, et même l’éclat doré de ses cheveux au soleil lui évoquaient quelque chose de particulier, mais il ne pouvait se résoudre à y croire.
Les deux jeunes filles passèrent près de la terrasse où ils étaient installés, semblant absorbées par leur propre conversation. Leurs rires légers flottaient dans l'air, et, pendant un instant, le temps sembla ralentir autour de Vincent.
Malgré lui, l’image de la jeune fille restait gravée dans son esprit.
"Quelle ressemblance," pensa-t-il.
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De leur côté, les deux sœurs sœur continuaient leur exploration du village, insouciantes de l’attention qu’elles avaient attirée.
Nathalie, toujours rêveuse, profitait du calme ambiant pour s’imprégner de l’atmosphère de l’île. Les ruelles étroites, les façades de pierre et les volets colorés lui donnaient l’impression d’être entrée dans une carte postale.
- Eh, Nath, tu m’écoutes ou pas ? demanda Carole en secouant légèrement son bras.
- Oui, oui, je t’écoute... Désolée, j’étais perdue dans mes pensées, répondit-elle en souriant doucement.
Sa jeune sœur la regarda en plissant les yeux, méfiante :
- T’es bizarre depuis ce matin. Qu’est-ce qu’il y a ?
Nathalie hésita. Devait-elle lui parler de cette sensation étrange qu’elle avait eue en débarquant du ferry ? Ce frisson qui avait parcouru son échine, comme si quelque chose ou quelqu’un l’attendait ici, sur cette île ? Elle préféra balayer cette pensée d’un revers de main.
- Rien du tout. C’est juste l’air de la Corse, je suppose, répondit-elle en haussant les épaules.
Mais au fond d’elle, elle savait que ce n’était pas si simple. Depuis qu’elle avait posé le pied sur cette île, elle ressentait une curieuse tension dans l’air, une anticipation qu’elle ne s’expliquait pas.
Le soir venu, alors que le village s’animait sous les lumières tamisées des luminaires suspendus, Vincent et ses cousins décidèrent de faire un tour sur la place principale. L’ambiance était chaleureuse, et les rires des vacanciers se mêlaient aux notes d’une guitare jouée par un musicien de rue.
Toujours absorbé par ses pensées, Vincent se laissa entraîner par ses cousins jusqu’au bar du village.
C’est alors qu’il la vit à nouveau.
La jeune fille était là, assise sur un parapet, face à la mer, un livre ouvert devant elle. Immobile, ses cheveux blonds flottaient doucement sous la brise marine. Son regard se perdait vers l’horizon, comme si elle cherchait quelque chose au-delà des vagues. La lumière dorée du crépuscule l'enveloppait d’un éclat presque irréel.
Son souffle sembla s’arrêter, son esprit envahi par un tourbillon de pensées.
"Nathalie".
Mais était-ce vraiment elle ? Il n’osait y croire. Cette façon qu’elle avait de regarder l’horizon, cette posture empreinte de calme et de rêve, étaient gravées dans sa mémoire.
Il sentit son cœur battre plus fort. Une partie de lui voulut se précipiter vers elle, mais une autre hésita, paralysée par une peur sourde. Même si elle se souvenait de lui, et s’ils n’étaient finalement plus que deux étrangers, réunis par hasard après toutes ces années ?
Mais pourquoi ressentait-il une telle tension ? Ce n’était qu’une rencontre, rien de plus, mais au fond, il savait que c’était bien plus que cela. Nathalie n’était pas une fille comme les autres. Elle était le souvenir d’un été où tout avait été plus simple, plus magique. Elle représentait une part de lui qu’il avait toujours chérie en silence.
Enzo remarqua aussitôt son trouble :
- Tout va bien, Vince ?
Il inspira profondément, tentant de calmer le tumulte en lui.
- Oui, oui... Il regarda son cousin, l'air gêné. Excuse-moi Enzo mais je dois être sûr. Puis il marcha en direction de la jeune femme :
- C’est un bel endroit pour rêver, non ? dit-il doucement, brisant le silence.
Elle sursauta, sans se tourner immédiatement vers lui. Ses traits n’avaient pas changé, mais elle semblait plus mature, plus lumineuse, comme si les années avaient ajouté une profondeur à son regard.
- Oui, répondit-elle, toujours tournée vers l’horizon. Ici, on se sent... transporté.
Sa voix.
II sentit une chaleur familière le traverser. C’était bien elle. Comment aurait-il pu oublier cette intonation douce, presque mélancolique ?
Lorsqu’elle se tourna enfin et leva ses yeux émeraude vers lui, son monde sembla vaciller. Il vit le choc dans son regard, suivi d’une lueur de reconnaissance, puis d’un sourire qui balaya toutes ses incertitudes.
- Vincent !
Le simple fait qu’elle prononce son prénom suffit à tout raviver. Les années, les silences, les kilomètres entre eux n’avaient rien effacé.
- Bonsoir, Nathalie, dit-il, la gorge serrée.
Elle hocha la tête, son sourire se faisant plus tendre :
- Mais, qu'est-ce que... Elle ne put finir sa phrase, totalement incrédule.
À cet instant, Vincent sentit une vague d’émotions contradictoires l’envahir. La joie de la revoir, mêlée à la crainte de ne pas être à la hauteur des souvenirs qu’ils partageaient. Il aurait voulu lui dire combien il avait pensé à elle, combien il avait regretté qu’ils se soient éloignés. Mais les mots restèrent coincés dans sa gorge.
- C’est dingue, on dirait qu’on est condamné à se croiser, dit-il en riant nerveusement, tentant de cacher son trouble.
Elle éclata d’un rire léger, mais son regard brillait d’une émotion qu’il ne parvenait pas à définir.
- Le château d’Arpaon, la vallée de Saint-Pons et maintenant... la Corse. C’est incroyable, répondit-elle.
Vincent détourna les yeux, fixant l’horizon. Cette rencontre réveillait en lui des émotions enfouies depuis longtemps, un mélange de nostalgie et d’espoir.
- Tu es rentrée de l’étranger ? demanda-t-il pour briser ce silence chargé.
- Non, juste en vacances. Nous sommes arrivés hier matin, par bateau.
Vincent esquissa un sourire gêné en repensant à la matinée qu’il avait passée avec ses cousins à scruter les voitures et les jeunes filles qui débarquaient.
- Et toi ? Tu as l’air en forme, ajouta-t-elle en le regardant de la tête aux pieds.
Il haussa les épaules, cherchant à minimiser :
- Aujourd’hui, ça va. Demain est un autre jour. C’est mon mantra.
Le sourire de Nathalie s’adoucit, une émotion plus profonde traversant ses yeux.
- Ça me fait vraiment plaisir de te revoir, Vincent. Vraiment.
Il hésita un instant, puis proposa :
- Tu aimerais faire quelques pas ?
Elle se leva, souriante.
- Avec plaisir.
Ils prirent le chemin qui montait vers l'église du village, sous le sourire bienveillant d'Enzo.
En contrebas, les rayons du soleil couchant dansaient à la surface de l'eau, projetant des éclats dorés presque enchanteurs. Chaque vague semblait porter une promesse, une invitation à rêver.
- C’est tellement beau ici, murmura Nathalie, levant les yeux vers l’horizon.
Il acquiesça, un léger sourire sur les lèvres. À cet instant, il voyait la mer comme une extension d’elle, infinie, mystérieuse et pleine de vie. Il la regarda discrètement, captivé par la douceur dans sa voix et la légèreté de ses pas. À cet instant, il aurait voulu que le temps s’arrête.
Nathalie effleura machinalement le pendentif qui brillait doucement autour de son cou. Vincent le remarqua aussitôt.
- Tu la portes toujours ?
Nathalie baissa les yeux vers la pierre jaune, un sourire tendre flottant sur ses lèvres.
- Toujours, dit-elle doucement. Elle ne me quitte jamais.
Elle leva les yeux vers lui, cherchant une réaction dans son regard, mais Vincent semblait perdu dans ses pensées. Il s’arrêta, observant le bijou comme s’il redécouvrait une partie de leur passé.
- Pourquoi ? demanda-t-il finalement, sa voix trahissant son trouble.
Nathalie inspira profondément, hésitant :
- Parce qu’elle me fait penser à toi... Mais pas seulement.
Elle s’arrêta, son regard fixé sur le pendentif.
- Parfois, j’ai l’impression qu’elle est vivante, qu’elle me guide.
Vincent haussa un sourcil, intrigué. Nathalie poursuivit, baissant la voix :
- Elle brille plus intensément quand je traverse des moments difficiles, comme si elle réagissait à mes émotions.
Un silence s’installa, le murmure des vagues en contrebas remplissant l’espace. Vincent sentit un frisson lui parcourir Ie dos. ll se rappela l’histoire qu’il lui avait racontée en lui offrant ce pendentif, une légende sur la pierre et le Seigneur d’Anduze. C’était juste un conte, autrefois. Mais maintenant, il se demandait...
- Tu crois à la magie ? demanda-t-elle finalement.
Il hésita, ses yeux passant de la pierre à son visage.
- Je crois qu’il y a des choses qu’on ne peut pas expliquer, finit-il par dire. Peut-être que cette pierre en fait partie.
Nathalie hocha la tête, comme satisfaite de sa réponse.
- Tu sais, dit-elle doucement, même quand j'étais loin, elle me donnait l’impression que je n’étais jamais seule.
Vincent sentit son cœur se serrer. Ces mots, si simples, résonnaient profondément en lui.
Ils continuèrent de marcher, le pendentif brillant doucement, capturant les derniers rayons du soleil comme un témoin silencieux de leur lien retrouvé.
Tandis que le ciel rougissait à l'horizon, il ne pouvait s’empêcher de se demander :
"Et si cette pierre était bien plus qu’un simple souvenir ?"
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