13. La blessure

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Vincent avait attendu ce jour toute sa vie. Son équipe avait battu le grand Real, champion en tire, à Madrid, et ce soir, devant des dizaines de milliers de supporters, il allait jouer une demi-finale retour de Ligue des Champions dans l'Arena Stadium.

Les attentes étaient énormes. Lui, était dans un état de forme exceptionnel.

Il était prêt.

Depuis l’agression dans les rues de Marseille dont il avait été la victime, il n’avait subi aucune autre blessure. Il avait joué chaque match au sommet de son talent.

Malgré les performances étincelantes qu'il avait affiché depuis son arrivée à Munich, les portes de l’équipe de France lui restaient fermées. Vincent avait été victime de son franc-parler et de son refus de plier face aux politiques de la Fédération. Déçu, il était resté malgré tout déterminé. C'est la raison pour laquelle il s'était totalement consacré à son club, et ce jour-là, il n'était pas étranger à leur possible accès à une finale de Coupe d'Europe.

Nathalie, pour sa part, n'était pas passionnée par le football, loin de là. Mais elle avait accepté l’invitation de son patron, Henri Desmoulins, qui ne cachait pas un intérêt certain pour elle. Ce n’était pas vraiment son monde. Pourtant, quelque chose l'avait poussée à accepter et ce n'est que la veille du match, qu'elle avait appris la présence de Vincent pour disputer cette rencontre.

L’idée de le voir, bien malgré elle, avait fini par la convaincre.

Ils arrivèrent dans le stade de Munich, immense et bruyant, envahi par une foule en effervescence. La visite se déroula en loge VIP, avec une vue parfaite sur le terrain. Mais l'esprit de la jeune femme était ailleurs. Elle se surprit à scruter les rangées en contrebas. Puis, au milieu de joueurs qui s'échauffaient, elle aperçut Vincent.

Même de loin, elle vit qu'il n'avait pratiquement pas changé. L'énergie et le charisme qui l'habitait ne semblait pas l'avoir abandonné. Lorsqu'il tourna la tête dans sa direction, elle se sentit rougir. Son cœur se mit à battre un peu plus fort, mais c'est une étrange sensation d’inquiétude qui s’insinua en elle sans qu’elle puisse l’expliquer.

Le match démarra. L’atmosphère monta d’un cran mais son attention resta rivée sur Vincent.

Lui, s’était promis de donner tout ce qu’il avait pour son club, de se battre à chaque seconde de cette rencontre décisive. Ce soir-là, il joua à un niveau presque transcendant. Il enchaîna les passes, les courses, les duels avec une fluidité et une précision qui forçaient le respect. A chaque fois, il prenait l’ascendant sur ses adversaires, champions en titre.

Vint l'instant où un adversaire commis une faute sur un de ses coéquipiers.

Un coup franc, un angle parfait.

Ce genre de situation, il le maîtrisait. Il savait exactement comment glisser le ballon là où il le souhaitait, dans les pieds d’un équipier ou, au fond des filets.

Il ajusta le ballon au sol puis, au moment où il s’élança, il visualisa la trajectoire idéale, sachant déjà où trouver Jurgen Muller dans la mêlée. Le temps sembla suspendre son cours alors que son pied frappa la balle avec une précision chirurgicale. Elle s'éleva, douce et calculée, décrivant une courbe parfaite avant d'atteindre son équipier, qui sauta plus haut que les autres avant de délivrer toute sa puissance.

Une fraction de seconde plus tard, le stade entier explosa : la tête imparable du joueur allemand propulsait le ballon au fond des filets, offrant l’avantage à son équipe. L’onde de choc des acclamations traversa les gradins.

Vincent, au cœur du terrain, savoura l’euphorie de ce moment de gloire. Il savait qu’il venait de réaliser un geste décisif, un de ceux qui propulsent une équipe au sommet et qui restent gravés dans les mémoires.

Une passe, une vision, un but.

Il venait d’ouvrir les portes d'une finale européenne à son équipe, à son club.

Dans les gradins, Nathalie sentit chaque seconde de l’action comme si elle se déroulait au ralenti. Son cœur battait plus fort à chaque mouvement de Vincent. Son regard était sur lui, absorbé par la tension, la maîtrise, et la confiance qu’il dégageait. Elle ressentait un mélange d’admiration et d’appréhension, partagée entre la fierté de le voir évoluer à un tel niveau et la crainte diffuse d'un imprévu qui viendrait briser ce moment parfait. Lorsque Vincent prit son élan pour tirer le coup franc, elle retint instinctivement son souffle, consciente de l’enjeu, de l’importance de cette passe. Lorsque le ballon s’envola, Nathalie sentit une bouffée d’espoir et d'excitation alors que son équipier reprenait le ballon de la tête pour l'envoyer droit dans les filets.

L'explosion du stade la submergea. Elle se leva instantanément, portée par la foule et par l’euphorie de l’instant, les mains plaquées sur sa bouche, des larmes de joie perlant à ses yeux. Elle était à la fois en extase et émue, captivée par l’intensité du moment et par la force qui émanait de son ami. Dans cette minute suspendue, elle sentit à quel point elle était encore proche de lui, à quel point cette victoire semblait symboliser bien plus qu’un but.

C’était comme s'il venait d'accomplir quelque chose d'immense qu’elle pouvait ressentir au plus profond d'elle-même.

Vincent continua la partie, jouant au même niveau qu'il l'avait commencé. Il enchaînait des phases de jeu d'un niveau supérieur mais, alors que le stade entier savourait encore l'ouverture du score, tout bascula en un instant. Un adversaire surgit derrière lui. Il lança un tacle brutal et inattendu.

Le choc fut immédiat, violent. Une douleur intense lui transperça le genou. Elle se propagea dans tout son corps, comme un éclair gelé qui figeait son souffle.

Il s’écroula sur le terrain.

Ses mains agrippèrent l’herbe, le regard embué par l’onde de douleur qui pulsait à chaque battement de son cœur. Autour de lui, les cris des supporters s’éteignirent, devenant un bourdonnement lointain, irréel. Il vit les visages de ses coéquipiers se pencher au-dessus de lui. Leurs lèvres remuaient, mais il n’entendait plus rien.

Dans son esprit, le stade tout entier s’était figé. Un silence étrange s’installa.

La douleur était insupportable. Chaque tentative de mouvement envoyait une vague encore plus dévastatrice dans son corps. Son esprit, embrouillé par la douleur, flottait entre réalité et bribes de souvenirs.

Un instant, le sourire de Nathalie traversa son esprit. Toutefois, il n'apaisa pas la douleur qui dévastait son corps. Dans sa tête, tout se mélangeait en un tourbillon confus. Allongé sur la pelouse, le souffle coupé, la douleur irradiait comme un feu qui s’étendait dans toute sa jambe, battant au rythme de son cœur. Les voix autour de lui semblaient floues, lointaines. L’adrénaline tentait bien d’étouffer sa souffrance, mais elle était ravivée, implacable, par chaque mouvement.

Alors qu’on le hissait sur la civière, une pensée surgit, glaçante : "C’est fini..."

L’image s’imposa sans pitié dans son esprit. Il se revit, en pleine course, grimaçant sous l’effort mais le sourire aux lèvres. Son corps était en parfaite synchronie avec ses rêves. Quelques minutes plus tôt, cette même jambe l’avait porté vers le but, avec une aisance qu’il tenait pour acquise. Mais maintenant, un mot résonnait en lui, comme un écho sinistre.

"La fin... c'est la fin."

Des souvenirs vinrent l’assaillir. Des années d’entraînement sous la pluie, des matins glacés où il se levait avant l’aube. Il était convaincu que le moindre sacrifice en valait la peine. Il vit le visage de ceux qui l’avaient soutenu. Ceux aussi qui lui avaient dit qu’il ne réussirait jamais.

"Que penseront-ils si tout s’arrête ici ?"

Le médecin parla, mais Vincent ne l’entendit pas. Dans son esprit, tout s’emballait. Il vit les gradins, la foule en liesse qui l’avait acclamé tant de fois.

Une étrange sensation l’envahit, mêlée de nostalgie et de désespoir. Ce qu’il ressentit, ce ne fut pas seulement la douleur physique, mais le poids de ces années, tout ce pour quoi il s’était battu, qui pourrait lui échapper en un instant.

Il ferma les yeux. Il lutta contre une vague de panique. Puis, l'image de Nathalie le traversa une nouvelle fois. Son visage, sa voix...

Elle lui murmurait des encouragements. Mais cela ne fit qu’amplifier la sensation de vide qui se creusait en lui.

Elle, qu'il avait abandonnée pour se consacrer à sa passion, cette passion qui l'abandonnait à son tour, comme une réponse à ses actes

Avait-elle vu ce qu'il lui était arrivé ?

Que dirait-elle ? Serait-ce pour elle un instant de triomphe alors qu'il l'avait lâchement quittée, sans un mot. Assise, souriante, elle tenait enfin sa vengeance !

Non... Cela ne pouvait pas... Pas elle, pas sa Nathalie.

Vincent se sentit à peine soulevé, chaque mètre franchi en direction de l'ambulance lui parut une éternité. Il tenta de se concentrer, de se raccrocher à l’idée que ce n’est peut-être rien, juste un choc, quelque chose qui guérirait vite. Mais la vérité, froide et implacable, commença à s’insinuer en lui et son corps. Les souvenirs continuaient de défiler. Les victoires, les défaites, les moments de gloire, les sacrifices qu’il avait consentis pour en arriver là :

Tout ça... pour ça !

Tout cela avait été fragile, une construction éphémère qui n'avait duré que le temps d’un battement de cœur.

Des larmes lui montèrent aux yeux. Il ne put les retenir. Ici, sous les regards, il ne voulut pas montrer à quel point il était vulnérable, et pourtant...

La peur s’installa. Alors qu’on l’éloignait du terrain, les lumières du stade défilaient au-dessus de lui, lumineuses, distantes. Il tenta de s’accrocher à un mince fil de conscience qui tentait d’étouffer l’angoisse qui s’infiltrait, froide et implacable.

Mais la gravité de l’instant s’abattit sur lui. Il serra les dents. C'était la fin de tout ce qu’il avait construit.

Tout se déroula en quelques secondes. Pour elle, ce fut comme si le temps s’étirait douloureusement. Nathalie fixait le terrain, tendue, ses yeux rivés sur Vincent.

Soudain, le tacle féroce, le choc, son cri de douleur. Il résonna dans sa tête comme un écho glaçant. Elle le vit s’écrouler. Elle poussa un cri, son cœur s'était emballé subitement et tambourinait contre sa poitrine.

Les joueurs figés autour, les soigneurs... Nathalie ne voyait que lui, allongé, sans défense. Un vertige violent l’envahit. Son souffle était coupé comme si elle avait été frappée elle aussi. Une sensation de froid glacial s’immisça en elle. Une partie de son esprit avait pressenti ce drame, elle savait que cela finirait ainsi.

L’instinct prit le dessus. Elle ne pouvait rester là, immobile, à observer à distance le drame vécu par son ami. D’un pas précipité, elle quitta la loge. Elle luttait contre la nausée qui la submergeait, cherchant désespérément un souffle d’air dans l’agitation des couloirs. Chaque battement de cœur résonnait douloureusement en elle.

Un écho de la souffrance qu’il ressentait.

Une angoisse sourde se noua en elle. La vision de Vincent allongé sur le terrain, blessé et vulnérable, poursuivit la jeune femme. Elle n’arrivait plus à se détendre. Son esprit revenait sans cesse à ce moment, à ses cris, à la confusion qui avait suivi.

Henri la rejoignit alors qu'elle s’était réfugiée dans la voiture. Elle était assise, immobile, son regard fixé dans le vide. Ses mains agrippaient fermement le bord du siège. Elle paraissait lutter contre une tempête intérieure qui menaçait de l’engloutir.

Il ouvrit la portière avec précaution, son ton doux et mesuré :

— Nathalie… Vous allez bien ?

Elle releva la tête. Ses yeux rougis trahissaient une douleur qu’elle tentait de contenir :

— C’est horrible... Ce qui est arrivé à ce joueur, murmura-t-elle, sa voix étranglée par l’émotion.

Elle détourna le regard. Elle chercha à dissimuler la profondeur des sentiments qu’elle éprouvait pour Vincent. Il s’agenouilla à côté d’elle, posant une main rassurante sur son bras :

— Oui, c’est difficile, mais il est entre de bonnes mains. Les secours s’occupent de lui. Ils feront tout ce qu’il faut.

Nathalie esquissa un sourire tremblant, essayant de reprendre contenance :

— Ça va aller... Merci, Henri. Je suis désolée, c’est l’émotion.

— Ne vous excusez pas, répondit-il avec bienveillance. Je comprends. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, appelez-moi.

Il lui adressa un dernier regard réconfortant avant de retourner vers les tribunes.

Nathalie resta seule dans le parking.

À peine Henri eut-il fermé la portière que les larmes qu’elle retenait depuis trop longtemps jaillirent. Son corps secoué par les sanglots, elle se laissa envahir par le poids de son chagrin, de son impuissance.

Un peu plus tard, la nouvelle lui parvint : ses équipiers avaient remporté leur match et décroché leur place en finale. Pourtant, cette victoire avait un goût amer.

Vincent n’en ferait pas partie.

Nathalie sentit, avec une certitude froide et implacable, que sa carrière était finie. Encore sous le choc, une pensée s’imposa et lorsque son patron fut de retour, elle insista auprès de lui, pour laisser un mot discret à ce joueur blessé.

Un simple geste qui lui permettrait d’apaiser un peu l’angoisse qui la tenaillait. Henri, sensible à son insistance, accepta. Il usa de ses contacts et s’assura que le message de Nathalie serait discrètement glissé parmi les affaires de Vincent.

Un mot sans signature, quelques phrases empreintes de soutien et d'une tendresse à peine cachée.

Tout ce qu'elle voulait, c'était l'atteindre à travers ce message. C’était peu, presque rien, mais elle voulait croire que ces mots porteraient jusqu’à lui la chaleur d'une présence, d'un réconfort ancré aussi infime soit-il dans le tumulte qui l'attendait.

De retour dans sa chambre d'hôtel, elle ne parvint pas à chasser la scène de son esprit. Elle ne trouva pas immédiatement le sommeil.

Mais cette nuit-là, un rêve vint la surprendre. Un rêve doux et étrange à la fois.

Elle se trouvait auprès de Vincent dans une chambre d’hôpital, baignée d’une lumière tamisée. Le reste du monde n’y avait plus de place. L’atmosphère était d’un calme apaisant. Un moment suspendu où il n’y avait ni douleur ni angoisse, juste une présence mutuelle. Elle était là. Sa main reposait sur la sienne et lui transmettait un soutien silencieux, une tendresse qu’elle n’osait lui révéler en réalité. Dans ce rêve, elle lui murmurait des mots rassurants, des promesses voilées de rester à ses côtés, de veiller sur lui.

Lui, souriait doucement. Son sourire était paisible, comme si sa présence suffisait à chasser toutes les ombres. Un instant rare, où ils étaient unis, au-delà des mots. Cette paix leur appartenait totalement.

Pour Vincent, le verdict tomba comme une sentence, aussi implacable qu'un coup du sort.

Double entorse des ligaments latéraux, arrachement osseux, fêlure du tibia. Plusieurs mois d’arrêt. Plusieurs mois de rééducation.

Il sentit son estomac se nouer. À son âge, il savait exactement ce que cela signifiait. Les espoirs de retour s'effilochaient, tout comme l'image qu'il s'était toujours faite de sa fin de carrière. Ce n’était pas ainsi qu’il avait imaginé tourner la page, pas dans la douleur, pas dans l’immobilité d’un lit d’hôpital. Il avait rêvé d'une sortie digne. Un dernier match disputé avec passion, sous les acclamations de ses supporters. Entourés de ses coéquipiers. Au lieu de cela, il se retrouvait brisé.

Devant lui, des mois de rééducation, de sacrifices, et l’ombre persistante d’une retraite forcée. Une vague de tristesse mêlée d’injustice le submergea. C'était la pire fin qu'il aurait pu envisager, une fin qui s'imposait à lui sans qu’il ait pu livrer son dernier combat.

Ce n'est que tard dans la nuit qu'il trouva le sommeil, grâce en partie aux antalgiques que l'infirmière de garde lui avait procuré.

Vincent fit un rêve étrange.

Allongé sur son lit d'hôpital, Nathalie se tenait debout à ses côtés. Sa main reposait sous la sienne, dans une proximité fragile. Sa paume était posée avec une légèreté infinie, comme pour lui transmettre un soutien qu’elle ne pouvait exprimer à haute voix, une tendresse qu'elle n'oserait jamais dévoiler dans la réalité. Dans ce silence, son cœur battait avec la douce certitude que, même dans les rêves, elle serait là pour lui. Puis, il l’entendit murmurer des mots doux, des promesses voilées, qu’elle resterait à ses côtés, qu’elle veillerait sur lui quoi qu’il arrive. Un apaisement le gagna, alors qu'il ressentait l'amour qu'elle lui portait. Ses traits se détendirent, presque malgré lui.

Elle était là, c’était tout ce dont il avait besoin pour chasser les ombres.

Durant la nuit, son copain de chambrée, posa sur sa table de chevet un mot trouvé sur ses affaires dans le vestiaire. C'est au petit matin que Vincent découvrit la lettre.

L'écriture d'une femme :

"Vincent,
Je sais que les mots ne pourront jamais atténuer la douleur que tu ressens, l'épreuve que tu traverses, ni combler le vide que cet accident laissera en toi. Pourtant, je voulais que tu saches que mes pensées t'accompagnent, sincèrement, intensément.
Ta force, ta passion, ce feu qui te fait avancer…
Rien ni personne ne pourra te les enlever.
Même si les jours qui viennent te paraissent sombres, je crois en toi et en cette capacité qui t'est propre de te relever, de renaître de chaque épreuve.
Et lorsque tu te sentiras seul, souviens-toi qu'il y a une personne qui tient à toi, même en silence.
Tu as tout mon soutien,
ton éternelle amie."

Le cœur battant, il lut et relut ce mot. Seule une image vint à son esprit, le visage de Nathalie.

Dans les jours qui suivirent l'immobilisation de sa jambe, Vincent commença sa rééducation, bien décidé à ne pas se laisser abattre.

La salle était presque silencieuse, à l’exception du murmure des machines et des voix feutrées des kinésithérapeutes.

Assis sur une table d’examen, son regard fixé sur sa jambe immobilisée dans une attelle métallique, Vincent ressentait chaque fibre de son corps criant de fatigue.

À côté de lui, une chaise où étaient posés son téléphone portable et la lettre anonyme.

Celle de "son amie".

Qui pouvait-elle être ? Chaque fois qu'il la relisait, il ne pouvait s'empêcher de penser à Nathalie, persuadé que c'était elle qui l'avait écrite. Lui avait-elle pardonné d'être parti, comme ça, sans un mot, un beau matin de juillet alors qu'elle lui avait offert son coeur, son corps, son âme.

Il essaya de bouger et une décharge traversa son genou, comme un rappel de l'acte odieux qu'il avait commis. Il grimaça malgré lui.

Jacky prit soin de lui, l'un des thérapeutes de la Clinique du Sports de Munich, un homme aux cheveux poivre et sel, à l'air bienveillant. Il posa une main rassurante sur son épaule :

— Ça va être long, Vincent. lui dit-il dans un anglais parfait. Je sais que tu as de la volonté et on a déjà vu bien pire revenir au top !

Vincent serra les dents, essayant de se persuader qu’il croyait à ces mots.

— Bien pire, se répéta-t-il, comme pour s’en convaincre.

Mais ses propres pensées le trahissaient. Il se demandait si tout cela avait encore un sens, si cette rééducation ne serait pas un long chemin pour arriver nulle part.

"Ça va aller, je t’accompagne," murmurait Nathalie, dans son esprit.

Jacky le sortit de ses pensées :

— Tu sais que ce n’est pas juste une question de physique, assura-t-il. Ce sont toutes ces barrières mentales qu’il va falloir faire tomber. La douleur, c’est normal, mais la peur... Ça, c’est le vrai défi.

Vincent inspira, et malgré lui, les mots de l’homme résonnèrent en lui.

"La peur"

Il se rendit compte qu’il avait peur de tant de choses.

Peur de ne jamais retrouver son niveau, peur de devoir tirer un trait sur sa carrière, et surtout, peur d'avoir déçu ceux qui avaient cru en lui, Nathalie la première. Il était aussi terrifié par l’idée de se lancer dans cette rééducation pour finalement réaliser qu’il n’y arriverait pas. Au bout d’un moment, il finit par acquiescer, un faible sourire au coin des lèvres :

— Très bien, on y va. Je vais essayer.

Il irait aussi loin que ses forces le lui permettraient.

Malgré sa volonté et ses efforts, au fil des semaines, la réalité s’imposa : la blessure était trop profonde, les douleurs trop vives. La fin de carrière était maintenant inévitable, la page de ses exploits se tournait dans un silence lourd de regrets et de nostalgie. Vincent se sentait comme un étranger dans son propre corps, un corps qui jusque-là avait été son allié fidèle, son outil d’expression et de dépassement.

Son regard glissa vers la lettre.

Une lueur de sérénité éclaira son esprit. Malgré la douleur qui vrillait encore son genou, il se sentit enveloppé d’une chaleur douce. Ce message, simple, chargé de bienveillance, lui donna un nouvel espoir.

Un fil de lumière auquel s'accrocher dans cette nuit qui menaçait de l'engloutir.

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