23. Les échos du passé

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Un rayon de soleil, doux et timide, filtra à travers les rideaux entrouverts. Il vint effleurer le visage de Vincent. Ses paupières tressaillirent sous cette lumière matinale. Il ouvrit ses yeux lentement puis, cligna deux ou trois fois pour apprivoiser l’éclat du jour. Pendant un instant, il resta immobile, désorienté. Son esprit était encore embrouillé par les souvenirs de la nuit passée.

La pièce baignait dans une chaleur apaisante. Protectrice. Le silence, ponctué par le léger chant d’un oiseau à l’extérieur, lui semblait irréel. Il venait de quitter un monde de chaos pour un sanctuaire fragile. Il se redressa avec difficulté, chaque muscle de son corps protestait.

Il se sentait alourdi par une fatigue qu’il peinait à expliquer.

Machinalement, il porta une main à son front. Il cherchait une douleur, une marque, un quelconque vestige de l’épreuve qu’il venait de traverser. Mais il n’y avait rien. Tout semblait étrangement normal, presque trop calme. La texture familière du canapé sous lui, l’odeur discrète de lavande flottant dans l’air ramenèrent son esprit à la réalité.

Il était chez Nathalie.

Des souvenirs remontèrent à la surface. D’abord flous. Puis, ils se précisèrent. Des éclats de verre, un miroir brisé...la pierre.

"Sigmund... le Taal." Un frisson lui parcourut l’échine alors que cette dernière pensée s’imposait avec force.

Qui était-il réellement et surtout... Que voulait-il ? De nouvelles questions tournaient dans son esprit. Elles entraînèrent des réponses aussi insaisissables que la créature elle-même.

Pour la première fois depuis une éternité, il se sentit léger. Libre. Même si une part de lui savait que, dans les recoins les plus sombres de son esprit, ce qu’ils avaient traversé ne disparaîtrait jamais entièrement. Ces souvenirs, ces blessures invisibles, seraient gravés en lui, comme autant de cicatrices silencieuses.

Il secoua lentement la tête. Il préféra chasser ces pensées et se laissa envahir par une chaleur nouvelle. Un sentiment qu’il n’avait plus ressenti depuis longtemps. L'image douce et rassurante de Nathalie s’imposa à son esprit. Un sourire timide étira ses lèvres fatiguées.

Le soleil continuait de caresser la pièce. Dans cette lumière dorée, il osa s’accorder un moment de paix.

Deux jours étaient passés.Vincent était allé chercher Nathalie à l'hôpital pour la raccompagner chez elle.

Ce jour-là, l'air frais du matin se mêlait à la douce lumière du printemps, mais l'émotion dans son cœur, elle, ne faiblissait pas. Tout ce qu'il avait vécu ces derniers temps, toutes ces découvertes, les retrouvailles, puis les épreuves, avait créé un lien indestructible entre Nathalie et lui.

Il passa la journée à prendre soin d'elle puis le soir, au moment de partir, elle leva timidement les yeux vers lui. Son regard brillait d'une douceur teintée de fatigue et d'émotion. Ses doigts effleurèrent le drap qui couvrait son lit, traçant un chemin invisible vers l'espace vide à côté d'elle.

Sa voix, calme et empreinte de vulnérabilité, brisa le silence.

— Vince... Reste avec moi, ce soir.

Vincent hésita, pris entre la tendresse de l’invitation et le tumulte de ses propres pensées. Mais la sincérité qu’il percevait dans les yeux de Nathalie, ce besoin qu’elle avait de ne pas être seule, le désarma.

Il s’approcha lentement, ses pas feutrés dans la lumière tamisée. Nathalie tira légèrement le drap. Elle lui offrit une place à ses côtés. Lorsqu’il s’assit au bord du lit, elle tendit sa main effleurer doucement son visage.

— Tu as l'air heureux, murmura-t-elle, sa voix presque imperceptible. Vincent esquissa un sourire. Il sentit son cœur s’emballer :

— Être ici, avec toi... C'est un véritable bonheur, répondit-il, sa voix marquée d’une sincérité brute. Elle le fixa un instant. Elle cherchait à graver cet instant dans sa mémoire. Puis elle posa sa main sur la sienne :

— Merci d’être là, dit-elle doucement.

Vincent hocha la tête. Il était incapable de lui répondre. Il ne trouva pas les mots. Alors, avec une hésitation timide, il s’allongea à côté d’elle. Il sentait le poids de ses préoccupations s’alléger légèrement. Nathalie se blottit doucement contre lui.

Son front contre son épaule.

Elle trouva dans sa proximité une sécurité qu’elle n’avait pas ressentie depuis longtemps. Le silence qui suivit fut pas lourd, seulement apaisant. Leurs cœurs communiquaient dans cet instant suspendu.

Il glissa une main rassurante dans les cheveux de son amie. Elle murmura :

— Je ne sais pas ce que demain nous réserve, mais, ce soir, je sais que je ne suis pas seule.

Ses mots étaient simples mais profondément sincères. Ils résonnèrent en Vincent.

Peu importe les épreuves à venir, il ferait tout pour être à ses côtés.

Toujours.

Tout semblait s'être apaisé dans leur vie. Ils s’endormirent, chacun enveloppé dans la chaleur des bras de l’autre, tous deux épuisés par l’intensité des épreuves psychologiques qui les avaient transformés.

Leur sommeil, cependant, ne fut pas comme durant les autres nuits.

Leurs rêves se tissèrent ensemble. Ils prirent une forme différente, plus vivants, plus proches de la réalité. Comme à chaque instant, ils s'y retrouvèrent, mais cette fois, leur rôle était inattendu. Ils étaient de simples spectateurs, témoins silencieux de scènes incroyables.

Tout bascula...

L'espace et le temps se dilatèrent. La nuit, tombée d'un coup, dévoila un ciel constellé d'étoiles scintillantes. La Voie Lactée s'étirait à l'infini. Elle illuminait l'endroit où ils se trouvaient, comme un chemin d'argent dans l'obscurité.

Devant eux, le château de Saint-Julien d'Arpaon avait retrouvé sa splendeur passée : plus qu'une simple ruine, c'était à présent une demeure magnifique, entourée de jardins suspendus, baignant sous la douce lueur des étoiles. Le chant des grillons emplissait la nuit. Il vibrait de vie. Vincent se tourna, et le souffle coupé, il découvrit Nathalie, ou plutôt... Yselda.

Elle se tenait là, éblouissante, drapée dans une robe, d'un vert pâle délicat, dont les teintes émeraude mêlées d'argent semblaient capter la lumière autour d'elle.

La coupe médiévale du tissu la faisait paraître comme sortie d'un autre temps. Chaque mouvement de la robe flottait autour d'elle avec une élégance surnaturelle. Ses longs cheveux, tressés avec soin, formaient des rivières d'ombre. Elles encadraient son visage, illuminé d'une douceur et d'une puissance qu'il n'avait jamais vue chez Nathalie auparavant. Elle souriait, figée, comme suspendue dans un ralenti presque irréel.

— Vincent !

Il tourna la tête, vit sa Nathalie derrière lui. Ils se regardèrent, surpris mais sereins, presque comme s’ils se souvenaient d’une autre vie :

— Que se passe-t-il ? murmura-t-elle

— Je n’en sais rien, répondit-il, captivé par les lumières naturelles qui dansaient autour d’eux au rythme des sons nocturnes. Il se tourna vers la jeune femme drapée d'argent :

— Je sais qu'elle s'appelle Yselda mais... qui est-elle réellement ?

— C'est moi, Vince... mais à une autre époque, dans un autre lieu...

Le temps et l'espace s'étaient ajustés autour d'eux. Ils les avaient ramenés à un autre âge, plus sauvage, plus dur, mais empli d'un éclat extraordinaire. Leur présence dans ce décor intemporel avait quelque chose de sacré.

Ils étaient les gardiens d'un serment plus ancien que le monde.

Soudain, le jour balaya la nuit. Les images s’animèrent...

Nathalie et Vincent quittèrent les terres des Cévennes alors que le jour se levait brusquement. Dans une course effrénée, le soleil se coucha de nouveau au-dessus d'une colline et plongea l’endroit dans une nouvelle nuit. Le temps s’accéléra. Il enchaîna le jour et la nuit en une valse vertigineuse.

Sans réfléchir, il prit les mains de sa bien-aimée pour la protéger.

Il furent entraînés dans une danse intemporelle.

Un ralentissement.

Autour d’eux, le temps qui défilait retrouva un rythme plus doux. Les deux jeunes gens se retrouvèrent dans un lieu qu’ils connaissaient bien et qu'ils chérissaient particulièrement.

La Fontaine s'offrait à eux. Son eau était toujours aussi pure et limpide. Ils commencèrent à marcher sur le chemin parfumé, se tenant amoureusement par la main. L’endroit semblait différent, rafraîchi.

Plus récent.

Au loin dans la vallée, sous un ciel stabilisé, ils aperçurent l’abbaye. Elle se dressait entière, resplendissante de beauté. Sa majesté semblait sortie du rêve d’un architecte qui avait laissé éclater son génie.

La démesure et la splendeur de l'imagination des hommes.

Au loin, ils virent Eléonore avancer avec grâoce. Elle leur adressa un signe de la main.

— Nous remontons le temps, murmura Nathalie. Un éclat de certitude brillait dans son regard.

- Nous revivons nos vies antérieures, nous explorons les lieux où notre amour s’est épanoui, à travers les âges... C'est le lien dont parlait la médium, ce fil ténu qui nous lie depuis des décennies, des siècles.

— C'est formidable, murmura Vincent, ébranlé par ce qu'il vivait. Il la regarda. Il se sentit soudain envahi par une émotion qui le dépassait. Tous les sentiments qu’il éprouvait pour elle depuis des siècles s’étaient concentrés en une sphère d’amour intemporel et infini. Une énergie si intense qu’elle en était effrayante.

— Tu ressens cela, Vince ? lui demanda Nathalie, ses yeux brûlant d’émerveillement.

— Oui, Nath. C’est indescriptible... Je ressens ton amour.

— Et moi, le tien. C’est merveilleux !

Le soleil commença une nouvelle fois à décliner. La folle ronde du temps reprit, avant qu'ils n'entrassent dans un brouillard épais qui se dissipa presque aussitôt. Les deux amants, les mains entrelacées, se sentirent comme transportés.

Nathalie et Vincent reconnurent instantanément les collines et le maquis de la Corse.

Le temps s'était arrêté. Il révéla la Pietra di Napulio sur laquelle était assise Lisandra qui les regardait en riant aux éclats.

Ils ressentirent intensément les émotions de l'histoire d'amour de la bergère et du tailleur de pierre, avant que le monde autour d'eux ne semblât s'étirer.

Ils furent emportés dans une clairière où les couleurs douces se délavèrent. Le bleu des fleurs pâlissait jusqu’à en devenir presque gris. Le chant des oiseaux, si clair et rassurant, s’atténua. Il ne resta bientôt plus qu’un léger bourdonnement, un écho perdu.

Tout devint flou. Autour d'eux, l'air ondula, troublé comme sous l’effet d’une chaleur invisible. Une vibration sourde monta du sol. Elle gagna leur corps pour les déstabiliser.

Ils furent happés par une force inconnue, tandis que le paysage tout entier vacillait autour d'eux, s’effilochant comme des fils de soie tirés par le vent.

Les doigts de Vincent cherchaient instinctivement ceux de Nathalie, mais même son contact était fragile, lointain, comme si elle n’était qu’un mirage.

La dernière chose qu’ils perçurent avant que tout ne bascule fut le parfum des feuilles humides, le dernier vestige de la paix évanescente.

Le silence se rompit brutalement. Un cri d’oiseau fendit l’air, un son strident et métallique qui résonna dans ses oreilles.

Un écho étrange.

Le paysage autour d'eux s’imposa de façon brutale, tangible. Il les laissa ressentir le sol froid et rugueux sous leurs pieds. Ici, les couleurs éclataient, mais d’une manière inquiétante. Chaque teinte était saturée à l’extrême, agressive. L’herbe, d’un vert intense, semblait presque trop réelle, chaque brin d'herbe hérissé telle une lame affûtée.

L’air était lourd, dense, chargé d’une humidité oppressante. Vincent respirait difficilement. Des ombres dansaient autour d’eux.

Sans source apparente, elles se mouvaient comme des nuages de fumée noire, rapides et nerveuses.

En écoutant de plus près, il perçut un murmure lointain, étouffé, indistinct, mais étrangement proche.

— Où sommes-nous maintenant ? murmura-t-il. Sa voix résonna plus fort qu’il ne l’avait prévu dans ce silence compact. Nathalie serra sa main.

Il sentit la netteté froide de ses doigts contre les siens, un ancrage au milieu de cette étrangeté. Le passage était terminé, mais il restait cette impression de flottement.

Ils flottaient entre deux mondes, pris dans un rêve où rien ne semblait solide ni vrai. Puis, dans les secondes qui suivirent, une clairière immense, baignée dune lumière éclatante, irisa l'endroit de teintes pastel et la beauté du lieu devint si pure, si merveilleuse, qu'elle semblait échapper aux mots, comme si elle ne pouvait être immortalisé que par la main d'un peintre. Les couleurs, vibrantes et douces à la fois, éclaboussaient l'espace de nuances uniques, telles les touches d'un rêve éveillé.

— Vince, regarde.

Il tourna la tête et aperçut un chêne gigantesque, ce même chêne géant qui peuplait leurs rêves depuis toujours. Elle mit à marcher dans sa direction :

— T’es-tu déjà demandé pourquoi ce chêne revient dans nos rêves ? demanda Nathalie, un sourire mystérieux aux lèvres.

Vincent la suivit en contemplant l’arbre géant, hésitant :

— À vrai dire, non. Je ne me souviens pas d’une situation réelle avec toi près de cet arbre.

— C’est un souvenir, Vince... J'en suis certaine... Mais le souvenir d'une vie future, une vision de ce que nous vivrons ensemble, dans des décennies, des siècles, à travers notre amour. Rêver de cet arbre majestueux, c’est entrevoir notre bonheur, la vue d'une nouvelle vie, la continuité de notre amour à travers l'espace et le temps. Puis, elle se tourna vers lui, ses yeux verts brillaient d'un amour si profond qu'il touchait son âme :

— C’est ce qui nous attend, Vince, si tu le veux... Et, avant qu’il ne puisse répondre, elle ajouta :

— Tu te souviens de ce que la médium t’avait demandé ?

— Oui. Elle m’a demandé si j’étais prêt à explorer ce chemin avec toi.

Elle sourit puis lui posa la même question, les yeux pleins d’espoir :

— Aujourd’hui, c’est moi qui te le demande. Es-tu prêt, Vince ?

Vincent la fixa intensément, son regard ancré dans le sien :

— Lorsque tu as quitté le cauchemar, je n'ai ressenti qu'une seule peur, celle de ne plus jamais te revoir. Oui Nathalie, je suis prêt maintenant.

Des perles de larmes dans les yeux, elle passa ses bras autour de lui. Il se noya dans le vert de ses yeux :

— J'ai quelque chose à...

Une lueur sembla soudain illuminer leur rêve jusqu'à noyer leur présence d'une lumière intense d'un blanc immaculé.

— Vous voici arrivés mes enfants.

Le jeune couple se tourna et ils firent face à un être exceptionnel.

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