24. Charlotte
La femme qui se tenait devant eux semblait appartenir à un autre monde, un autre temps, Elle était une apparition échappée d’un rêve lointain. Sa beauté transcendait toute mesure humaine, captivante, intimidante.
Elle paraissait bien plus âgée que Nathalie, mais cette maturité ne faisait que renforcer l’éclat fascinant de ses traits.
Sa peau était d’une pâleur lumineuse. Elle irradiait une lumière douce, totalement surnaturelle, qui baignait l’espace autour d’elle d’une aura d’éternité.
Ses cheveux, longs et ondulés, cascadaient dans un mélange de teintes d’argent. Ils scintillaient à chaque mouvement et reflétaient des fragments d’étoiles. Flottant légèrement autour de son visage, animés par une brise imperceptible, ils renforçaient son apparence éthérée.
Ses yeux, profonds et perçants, étaient d’un bleu changeant, presque liquide. Ils semblaient contenir des galaxies en mouvement. Ils fixaient le jeune couple avec une douceur infinie mais empreinte d’une sagesse ancienne.
Elle voyait au-delà de leur apparence, jusqu’à leur âme.
Sa robe longue d’un blanc immaculé était ornée de motifs délicats en filigrane d’or et d’argent, qui semblaient s’animer à la lumière, dessinant des formes célestes et des constellations inconnues.
Le tissu, léger et fluide, glissait autour d’elle comme une rivière en mouvement, effleurant à peine le sol.
Autour de son cou, un collier, simple mais fascinant. Il brillait doucement. Son médaillon orné d’une pierre d’une clarté irréelle, affichait des reflets changeant à chaque angle.
Ses bras, fins et gracieux, semblaient sculptés dans le marbre. Ses mains, délicates, portaient des bagues scintillantes qui renforçaient son air mystique.
Sa voix, lorsqu’elle parla, résonna comme une mélodie lointaine, douce et apaisante, mais chargée d’une autorité naturelle. Elle incarnait à la fois beauté et puissance. Bienveillante, elle était un être venu pour guider, pour protéger.
Sa présence imposait un respect absolu :
— C'est ainsi que cela se passe... Et avant même la création de l'univers, dit-elle, la voix habitée d’une sagesse ancienne, détachée du présent.
Vincent, debout devant elle, sentit un frisson glacé le parcourir, tandis que Nathalie, saisie par une peur instinctive, serra sa main avec une telle force qu’il ne put retenir une légère grimace de douleur.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-il. Son ton était mêlé d’appréhension et de curiosité.
Elle esquissa un sourire léger et énigmatique. Puis, elle répondit avec une simplicité désarmante :
— Je m'appelle Lydie, je suis une Gardienne, une Prêtresse... peut-être un peu des deux, mais quelle importance ?
Tout comme ses pas, ses mots flottaient dans l’air. Ils résonnaient tel un écho dans un espace invisible. À la fois proche et distante, elle était une présence éthérée au-delà des limites du tangible. Nathalie inspira profondément avant d’oser poser la question qui brûlait ses lèvres :
— Comment tout cela fonctionne ?
Elle tourna lentement la tête, ses yeux brillant de mille étoiles :
— Ma chère Nathalie, tu as toujours su poser les bonnes question, murmura-t-elle, comme si elle livrait un secret sacré.
- Tout tourne autour de l’amour. C'est la force primordiale, celle qui existe depuis l’aube des temps, avant même que les étoiles ne s’embrasent.
Elle fit une pause, levant les yeux vers un point invisible dans l’obscurité environnante.
— Il y a ceux qui le font perdurer, des âmes pures, dévouées, qui vivent pour tisser des liens entre les mondes, pour préserver l’équilibre. Leur amour transcende les époques, les dimensions. II est sincère, désintéressé, une lumière dans l’obscurité.
Puis elle baissa les yeux vers le couple enlacé Cette fois, son regard était grave :
— Mais il y a aussi ceux qui s’en servent, qui manipulent cette force sacrée pour parvenir à leurs fins. Leur amour n’est pas une offrande. C'est une arme. Ils séduisent, brisent, consomment. Ces âmes-là, plus sombres, détournent l’amour de son essence véritable pour en faire un outil de pouvoir et de destruction.
Vincent frissonna :
— Alors, ce sont eux... ceux qui détruisent ? les... Taals ?
Elle acquiesça lentement.
— L’amour, mal utilisé, peut être aussi destructeur que créateur. Il peut enflammer les cœurs et les âmes, mais il peut aussi les réduire en cendres. C’est une énergie brute... Ce que vous en faites... c’est ce qui définit la lumière ou l’ombre que vous laissez derrière vous. Les Taal et bien d'autres ont choisi cette voie sombre...
Il prit une profonde inspiration, ses pensées s’emballant.
— Et nous ?
Elle posa une main légère sur son épaule, son sourire empreint de douceur.
— Vous êtes à la croisée des chemins, mes enfants. Ce que vous choisirez de faire avec cet amour, comment vous l’accepterez, le protégerez ou le combattrez, déterminera bien plus que votre propre destin. Il en créera un bien plus grand. Un destin universel...
Un silence s’installa, chargé de sens, avant qu’elle n'ajoute :
— L’amour est une force indomptable, mais il appartient à ceux qui osent le vivre pleinement, sans le corrompre.
Alors qu’ils la fixaient, fascinés, incapables de détourner le regard, la femme de lumière esquissa un dernier sourire, empreint d’une douceur surnaturelle.
Une brise venue de nulle part, fit flotter sa robe et ses cheveux comme des volutes de fumée lumineuse.
Son corps perdit sa densité, devint translucide. Elle se dissolvait dans l’air lui-même. Les contours de sa silhouette s’effacèrent lentement, ses traits se fondirent dans une lumière douce et dorée qui enveloppa les lieux.
— Vous savez maintenant, murmura-t-elle. Sa voix résonna comme un écho lointain, presque imperceptible, mais gravé dans leur esprit.
En un instant, elle disparut complètement. Elle ne laissa derrière elle qu’un silence lourd, chargé de mystère et d'une douce chaleur qui flottait encore dans l’atmosphère. Nathalie et Vincent restèrent immobiles, le cœur battant. Ils fixaient l’endroit où elle s’était tenue.
— Vincent, je doi...
Mais il ne la laissa pas finir sa phrase. Il l’embrassa tendrement, leurs lèvres s’unissant dans un moment de pureté intemporelle.
Cette nuit-là fut marquée par des rêves étranges, aussi nets que le jour et aussi réels que la vie elle-même.
Ils s'étaient retrouvé dans des lieux connus, sous des cieux lointains, et d’une familiarité envoûtante. Ils avaient arpenté des vallées où les forêts étaient denses et sauvages, traversé des ruines antiques.
Ils s'étaient retrouvés face à des silhouettes mystérieuses, parfois bienveillantes, parfois menaçantes. Leur cœur battait plus fort à chaque instant, leur souffle se coupait, comme si une recherche, une quête, les guidait sans qu’ils en sachent l’objet.
Mais pour quoi, et pour qui ?
Dans le silence feutré de leur existence ordinaire, Nathalie et Vincent avaient erré comme des âmes perdues, sans but ni direction, mais unis par une sensation étrange de manque.
Autour d’eux, il n’y avait plus de peur, ni l'ombre d’une inquiétude. Ils n'avaient rien ressenti de négatif, pourtant quelque chose en eux semblait incomplet. Un vide profond, comme si une part essentielle de leur être leur échappait, un souffle insaisissable qui effleurait leur âme sans jamais les toucher pleinement.
Un écho lointain qui résonnait à travers les âges, mais dont ils ne saisissaient ni la provenance, ni la raison de sa persistance.
Puis, un jour, leurs chemins se croisèrent et ce fut une rencontre ordinaire, presque banale. Mais l’impact de ce moment allait se répercuter bien au-delà de tout ce qu’ils auraient pu imaginer. Lorsqu’ils se fixèrent dans les yeux, quelque chose d’indéfinissable s'était produit.
Pas simplement un coup de foudre, mais une reconnaissance, le souvenir d’un temps révolu. Leurs regards s’étaient entrelacés dans un silence lourd, chargé de promesses non tenues. Ce regard était bien plus qu’une simple rencontre de deux regards, c’était une promesse d’un amour éternel, gravée dans les recoins les plus profonds du temps.
Une douce chaleur s'était diffusée entre eux, une lumière s’était allumée.
Ils s'étaient retrouvés.
Ils avaient attendu ce moment depuis des siècles. Ils se sentaient proches et étrangers à la fois, comme deux voyageurs qui, malgré le temps et l’espace, poursuivent un même destin, dans un monde qui semblait vouloir les engloutir.
Une force inconnue les guidait. Elle traçait pour eux un chemin invisible, un fil ténu qui les reliait à un autre temps et cette force portait les vestiges d’une histoire déjà vécue.
En rassemblant ces fragments égarés, en connectant les points invisibles entre rêves et souvenirs. Nathalie et Vincent avaient commencé à comprendre la vérité qui se dessinait lentement.
Leur rencontre n’était pas le fruit du hasard, mais bien le retour d’une histoire inachevée, un cheminement vers un amour que le destin n’avait pu accomplir auparavant. Ils se rendirent compte que leurs vies passées, présentes et futures étaient liées, entremêlées dans une histoire sans fin, une boucle qui n’avait ni commencement ni fin, marquée par des promesses oubliées et des résolutions inachevées.
Alors, leurs âmes s'étaient retrouvées à travers les âges, tordant et distordant le temps lui-même. Ce n’était pas simplement un amour humain, mais une force intemporelle, une énergie qui avait transcendé les lois de la réalité.
Ces morceaux d’âme, laissés derrière eux à travers les siècles, à Saint Julien d’Arpaon, dans la vallée de Saint Pons, ou en Corse, n’étaient pas des souvenirs ordinaires. Ils étaient des éclats d’amour, des échos de promesses qui avaient traversé les âges, des éclats d’une vérité ancienne qui ne pouvait être ignorée.
Ils étaient invisibles, mais laissaient derrière eux des traces subtiles : un souffle dans l’air, un parfum porté par le vent, une mélodie familière, comme un doux murmure venant du passé.
En retrouvant ces fragments, Nathalie et Vincent avaient recommencé à tisser un chemin de lumière à travers le temps. Chaque pièce qu’ils rassemblaient les rapprochait un peu plus de cette vérité intemporelle.
Leur amour était un pont, un fil lumineux reliant le passé et l’avenir, défiant les lois du temps et de l’espace.
Et à mesure qu’ils se rapprochaient, cet amour se densifiait, devenait plus fort, plus puissant. Ce n’était plus simplement un sentiment, mais une force qui les rendait complets, une âme unifiée après un long voyage à travers les âges.
Leurs vies se fusionnaient dans une danse fluide, et à chaque fragment retrouvé, leur amour devenait plus lumineux, plus vaste, comme une étoile qui brille de tout son éclat.
Dans cette étreinte infinie, ils comprirent que leur rencontre n’était pas un hasard, mais bien une clé pour accomplir ce qui n’avait pas été achevé. Grâce à ce lien profond, ils allaient réunir les morceaux éparpillés de leurs âmes, dans une aventure finale qui les guiderait à travers les méandres du temps, vers la rédemption de leurs cœurs.
À travers leurs existences entrelacées, d'hier, d'aujourd'hui et de demain, ils s'aimèrent avec constance, franchissant les limites de l'éternité et de la réalité, liées par des fragments d'âme imperceptibles qui les guidaient vers un destin commun.
Et leur amour, celui qui avait traversé les siècles, allait trouver son aboutissement dans l’âme de leur enfant.
L’incarnation de ce lien éternel.
Au matin, Nathalie eut un réveil des plus doux, le cœur vibrant d'une émotion tumultueuse. Vincent dormait encore. Son souffle régulier créait une mélodie apaisante, envoûtante. Il semblait si heureux, si calme, si paisible dans la douce lumière du matin.
Mais elle, au fond de son âme, sentait le poids de la vérité qui devait éclore.
Elle ne pouvait détacher ses yeux de cet homme dont elle avait été si amoureuse, et qui, contre toute attente, faisait de nouveau vibrer chaque fibre de son être. La douceur de la nuit précédente résonnait encore en elle, un doux moment de tendresse mêlé d'une peur sourde.
Elle se leva pour préparer un café. Elle espérait que ce geste banal lui donnerait le courage d’affronter l’orage qui menaçait de s’abattre sur leur bonheur fragile.
Dans la cuisine, son esprit vagabondait à travers les souvenirs, retraçant chaque instant qu'ils avaient partagé, chaque éclat de rire, chaque regard complice. Lorsqu'elle revint, le café fumait dans ses mains. Elle déposa la tasse sur la table de nuit avec soin, comme si elle y avait déposé un trésor précieux.
— Vincent... Vincent, murmura-t-elle, sa voix douce mais tremblante.
Il ouvrit les yeux lentement, un sourire apaisé illuminant son visage, tel un rayon de soleil perçant un ciel nuageux.
— Salut, répondit-il, encore ensommeillé, sa voix douce et réconfortante.
— Salut.
Son cœur battait à tout rompre.
- C'est pour toi.
Elle lui tendit le café.
— Merci, Nath.
Il ignorait le tumulte qui tourbillonnait en elle. Elle le regarda. Une hésitation marqua son visage, une tempête de pensées se bousculant dans son esprit. Ce moment, si parfait, était sur le point de basculer.
— Qu'y a-t-il ? demanda Vincent, la voix teintée d'une inquiétude soudaine.
— J’ai besoin de rester seule quelques jours, dit-elle en baissant les yeux. Il faut que je digère tout ça... Véro va venir vivre quelques jours avec moi, pour m’aider à remettre les choses en ordre.
La tristesse passa furtivement dans le regard de Vincent, mais il hocha la tête avec douceur :
— Oui, je comprends.
Ils burent leur café en silence puis Vincent se leva et prit la direction de la salle de bain. Après s'être préparé, il s'approcha de Nathalie qui se tenait debout, devant la baie vitrée de son salon, le regard dans le vague.
— Prends tout le temps qu’il te faut, Nath. J'attendrai que tu m'appelles.
Elle se tourna et déposa un baiser léger sur ses lèvres.
— Merci, Vince..., murmura-t-elle.
Elle l'accompagna sur le seuil de la porte et le regarda s’éloigner puis disparaître dans le couloir de l’immeuble. Les yeux dans le vide, Nathalie sentit une vague de fatigue l’envahir et le doute s'installer dans son esprit.
Véronique arriva chez elle en fin de matinée. Dès qu’elle entra dans son appartement, elle se précipita pour l'enlacer :
— Comment tu vas, ma chérie ? lui demanda-t-elle, en la serrant avec chaleur.
— Je vais bien... Merci, Véro, vraiment, pour tout. Où est-elle ? murmura Nathalie, un peu fébrile.
— Elle est en bas de l'immeuble, elle monte dans un instant. Mais dis-moi... Vincent est reparti ?
— Oui, il est rentré chez lui. J’ai besoin de me poser un peu, tu comprends ? Et il l’a bien accepté.
Véronique hocha la tête, mais son regard se fit malicieux :
— Quand vas-tu lui dire, Nath ?
Nathalie soupira, songeuse :
— Je pense qu’il est prêt. Je lui dirai bientôt...
Un sourire bienveillant se dessina sur les lèvres de Véronique qui la prit dans ses bras en murmurant :
— Ta fille va bientôt arriver.
L'étreinte de son amie fit monter des larmes de joies qui perlèrent à ses paupières, tandis que Vincent, lui, rentrait chez lui, retournant à ses propres habitudes et laissant le silence s’installer dans sa maison qu'il trouvait désormais trop grande. La semaine passa ainsi, chacun reprenant son quotidien, comme un répit nécessaire après les bouleversements récents. Même leurs rêves, d'ordinaire partagés, ne l'étaient plus désormais.
La connexion onirique avait totalement disparu.
Ce matin-là, Nathalie se dirigea vers la fenêtre et laissa son regard se perdre au loin, ses doigts serrant la mince bordure du rideau. Sa respiration était lente, presque suspendue, comme si chaque inspiration demandait un effort immense. Depuis des jours, elle avait repoussé cet instant, se disant que ce n’était pas encore le bon moment, mais elle savait qu’elle ne pouvait plus fuir, ni se cacher derrière des demi-vérités.
Elle ferma les yeux et revit toutes ces années passées sans lui, où elle avait dû se construire seule, pour elle, mais surtout pour Charlotte. Combien de nuits avait-elle veillé, à guetter des signes de ce visage familier dans les traits de leur fille ?
Combien de fois avait-elle imaginé ce moment, s’interrogeant sans cesse sur la réaction de Vincent ?
Une peur sourde s'insinua en elle. Et s’il m’en voulait ? Et s’il ne comprenait pas ? Elle savait qu’il avait le droit d’être en colère, d’être blessé. Après tout, elle avait pris cette décision seule, convaincue à l’époque qu’il valait mieux qu’il ignore tout. Et alors qu'il l'avait laissée sans nouvelle, elle avait, elle aussi, choisi la voie la plus simple...
Ou du moins, c’est ce qu’elle croyait alors.
Mais cette simplicité s’était transformée en un poids lourd, pesant sur sa poitrine, une boule de culpabilité qui semblait ne jamais vouloir s’alléger. Elle laissa son esprit vagabonder à travers les souvenirs, traçant chaque instant qu’ils avaient partagé, chaque éclat de rire, chaque regard complice.
Elle se rappelait chaque sourire, chaque éclat de rire de sa fille, revit leurs discussions nocturnes, leurs silences confortables, comme une promesse que rien ne pouvait briser, cette promesse qu'elle savait sur le point de se fissurer.
Parce qu'avec ses souvenirs, venait toujours le rappel douloureux d'un secret qui prenait racine entre eux.
"Sois courageuse", se dit-elle en inspirant profondément. "Tu lui dois bien ça. Tu lui dois la vérité".
Elle prit ses clés de voiture posées sur le meuble de l'entrée et sortit de son appartement.
Vincent était affairé à ses tâches professionnelles, lorsque la sonnette retentit, résonnant dans la maison vide. Surpris, il déposa son carnet et son stylo, traversa le jardin pour ouvrir le portillon. Nathalie se tenait là, debout dans sa robe bleue. Elle se tortillait comme une adolescente, le regard brillant et hésitant :
— Salut, Vince...
— Salut, Nath. Ça me fait plaisir de te voir. Tu entres ?
— Oui, volontiers.
Vincent s’écarta pour la laisser passer, et la suivit alors qu’elle s’avançait dans le salon.
— C’est joli chez toi... et vraiment impeccable ! s’exclama-t-elle avec un petit rire. Elle paraissait reposée, de bonne humeur mais légèrement nerveuse.
— Un café ?
— Avec plaisir.
Il se dirigea vers la cuisine, mit en marche le percolateur, jetant un coup d’œil vers elle.
— Tu as l’air en forme.
— Oui, j’ai bien récupéré. Merci de m’avoir laissé du temps.
— C’était normal, après tout ce que tu as vécu. Mais c'est vrai que tu n’as pas donné beaucoup de nouvelles, répondit-il en feignant un air peiné.
Elle s’approcha doucement, et déposa un baiser à la commissure de ses lèvres.
— Désolée, Vince, mais j’avais vraiment besoin de cette pause. Je vais bien maintenant.
Vincent lui tendit une tasse, puis s’assit face à elle. Il l’observa un moment, en silence, avant de finalement murmurer :
— Tu as quelque chose à me dire, n’est-ce pas ?
Oui, elle avait quelques chose à lui dire, mais sa voix intérieure chuchotait, et elle douta un instant d'avoir le courage de le faire. Le silence de la pièce était lourd lorsqu’elle se tourna vers Vincent, qui l'observait avec un mélange d'impatience et de tendresse.
Elle ouvrit la bouche, mais aucun mot ne sortit. Ses lèvres se mirent à trembler, et elle détourna le regard, honteuse de sa propre faiblesse. Puis, elle inspira de nouveau, cette fois plus déterminée, et chercha à ancrer son regard cherchant dans le sien.
— Vincent... Sa voix, à peine un souffle, brisa enfin la tension.
— Il y a quelque chose que tu ne sais pas. Quelque chose... d’important.
"Peu importe sa réaction, il a le droit de savoir. Et moi... moi, j’ai besoin de le lui dire".
Vincent, lui, semblait si paisible sous la lumière douce du matin, un contraste frappant avec la tempête qui grondait en elle. Elle aurait voulu figer cet instant, se perdre dans l’illusion d’un bonheur simple. Mais elle savait que la vérité, aussi lourde soit-elle, ne pouvait plus attendre. Ses yeux restaient fixés sur lui, sur cet homme qu'elle avait tant aimé, et qui, contre toute attente, faisait encore vibrer chaque fibre de son être. Leur dernier rêve commun résonnait encore en elle, un doux souvenir empli d'une peur sourde.
Elle sentit ses poings se serrer, ses doigts crispés sur la tasse de café comme si cela pouvait l'empêcher de se précipiter vers ce qu’elle savait devoir dire. Elle posa le café fumant sur le plan de travail en marbre ses mains, puis, sans vraiment y réfléchir, son regard chercha à nouveau celui de Vincent avec une intensité qu'elle ne pouvait masquer.
Les yeux grands ouverts, un sourire apaisé illuminant son visage, comme un rayon de soleil perçant un ciel nuageux, il lui sourit tendrement, comme pour l’encourager :
— Je t’écoute, Nath.
Ce sourire... Il lui réchauffait le cœur, tout en lui faisant mal. Elle hésita une dernière fois, puis lâcha, sans détour :
— Vincent, es-tu amoureux de moi ?
Il la fixa, légèrement surpris, avant de sourire encore plus tendrement en s'approchant d'elle :
— Oui, Nath, je suis fou de toi... Mais tu as l’air troublée, que se passe-t-il ?
Elle se mordit la lèvre, sentant chaque mot peser dans sa poitrine :
— Vince... Il y a quelqu'un dans ma vie, quelqu'un qui compte beaucoup pour moi
Il la regarda comme s’il avait déjà compris :
— C’est donc ça... Je m’en doutais un peu, tu sais, dit-il, toujours le sourire aux lèvres.
Elle prit une grande inspiration, puis murmura, la voix tremblante :
— Ce n'est pas ce que tu crois...
D’un geste lent, elle sortit une photographie de son sac et la lui tendit. Vincent, surpris, prit délicatement le cliché sans comprendre tout de suite où elle voulait en venir.
Il posa les yeux dessus.
Une adolescente souriait à l’objectif, ses longs cheveux ramenés sur le côté, une lueur d’espièglerie dans le regard. Un détail le frappa immédiatement : ces yeux. Son cœur manqua un battement. Ils avaient quelque chose de familier, quelque chose qui réveillait en lui un souvenir diffus. Une ressemblance qui, sans qu’il puisse encore la nommer, s’imposa à lui.
— Je vis avec ma fille, dit-elle doucement.
Vincent cligna des yeux, comme s’il avait mal entendu. Il releva lentement la tête vers Nathalie, cherchant une confirmation, quelque chose qui rendrait cette information plus concrète, plus réelle.
— Ta… fille ?
— Oui. Elle s’appelle Charlotte.
Un silence s’installa. Vincent riva de nouveau son regard sur la photo, son esprit luttant contre l’évidence. Les contours de la vérité se dessinaient lentement, comme un brouillard qui se dissipe. Les mots de Nathalie qui suivirent balayèrent le dernier doute :
— Elle a eu seize ans en avril.
Ses lèvres s’entrouvrirent sans qu’aucun son n’en sorte. L’information s’imprima en lui avec une lenteur cruelle. Seize ans. En avril. Il sentit soudain une vague de chaleur remonter le long de sa colonne vertébrale. Ses doigts se crispèrent légèrement sur la photo. Il murmura, la gorge serrée :
— En avril... ? Mais alors...
Nathalie ferma les yeux un instant, rassemblant son courage, puis elle les rouvrit. Une lueur vacillante dansait dans ses prunelles, mélange de peur et d’espoir. Lorsqu’elle prononça ces mots, ils tombèrent sur lui comme une onde de choc, résonnant dans chaque parcelle de son être :
— Oui, Vince... Charlotte est ta fille.
Le temps sembla s’arrêter.
Les bruits environnants s’effacèrent, ne laissant plus que ce battement sourd dans ses tempes. Un vertige le prit, et il inspira profondément pour ancrer ses pensées. Il tenta d’articuler quelque chose, mais sa voix lui échappa. Dans sa poitrine, son cœur tambourinait, à la fois affolé et émerveillé.
Sa fille.
Il avait une fille.
Un sourire, presque involontaire, étira lentement ses lèvres, tandis que ses doigts caressaient distraitement le bord de la photo. Il répéta dans un souffle, comme pour s’en convaincre lui-même :
— J’ai une fille... J’ai un enfant... À moi...
Dans son esprit, des souvenirs défilaient à toute allure. Des instants qu’il n’avait jamais vécus, des premiers pas qu’il n’avait pas vus, des anniversaires manqués, des éclats de rire qu’il n’avait jamais entendus... Tout ce qu’il avait raté se déployait devant lui avec une brutalité saisissante. Pourtant, au milieu de ces regrets naissants, une certitude s’imposa : il n’était pas trop tard.
Nathalie observa son expression avec attention, cherchant à deviner ses émotions et lorsqu’elle vit cette lueur d’émerveillement dans son regard, elle sentit son cœur se détendre.
Peut-être avaient-ils enfin une chance de bâtir quelque chose.
Ils passèrent l’après-midi ensemble. Vincent avait soif de tout savoir, de chaque détail, de chaque habitude de Charlotte. Il écoutait, buvait les mots de Nathalie comme un homme ayant soif depuis trop longtemps. Son sourire grandissait à chaque anecdote, à chaque fragment de vie qu’il découvrait sur elle. Puis, après un long silence, il osa enfin demander, la voix légèrement tremblante :
— Est-ce que je pourrais la voir ?
Nathalie posa sa main sur la sienne, ses doigts serrant les siens avec douceur. Son sourire se fit éclatant :
— Oui... Bien sûr.
Le trajet vers Aix-en-Provence se fit dans un calme presque solennel. La radio diffusait doucement Beautiful Girl de Sarah McLachlan, sa mélodie mélancolique berçant les pensées de Vincent. Son regard se perdit par la fenêtre, mais il ne vit rien du paysage qui défilait. Il était déjà ailleurs.
Il s’imaginait Charlotte. Sa voix. Son rire. Il tentait de composer son visage en mouvement, d’entendre son intonation lorsqu’elle parlait, de deviner son regard quand elle était heureuse, pensive, ou en colère.
Son cœur battait plus vite à mesure qu’ils approchaient. Lorsqu’ils arrivèrent enfin devant l’appartement, Nathalie lui prit les mains, sentant son trouble :
— Ne t’inquiète pas, tout va bien se passer.
Il hocha la tête en silence, s’accrochant à la douceur de son sourire. Ils avancèrent lentement dans le couloir. Chaque pas résonnait comme une avancée vers l’inconnu, un monde qu’il allait découvrir. Ils atteignirent la porte de la chambre de Charlotte et Vincent sentit son souffle se suspendre.
La porte était entrouverte.
Il frappa doucement.
Une voix claire répondit :
— Oui ?
Il poussa lentement la porte.
Charlotte se tourna vers lui.
Elle avait hérité de la douceur des traits de sa mère, cette finesse délicate qui donnait à son visage une harmonie naturelle. Mais au-delà de cette ressemblance évidente, il y avait en elle quelque chose d’unique. Son regard vif, cette étincelle d’intelligence et de curiosité, lui appartenait en propre. Ses cheveux châtain clair retombaient en vagues souples sur ses épaules, mêlant les reflets dorés de Nathalie aux nuances plus brunes de Vincent.
Elle avait aussi ce sourire... le même que celui de sa mère. À la fois tendre et réservé, mais lorsqu’il s’épanouissait pleinement, une petite fossette apparaissait sur sa joue, signe discret de son bonheur. Pourtant, ce furent ses yeux qui frappèrent le plus Vincent :
Ces prunelles noisette, profondes et changeantes, capturant la lumière comme un sous-bois illuminé par un rayon d’automne... C’étaient les siennes.
— Salut, lança-t-il doucement.
— Salut...
Elle l'observa un instant, ses sourcils légèrement froncés, avant de lâcher, l'air de rien :
— T'es Vincent, le petit copain de ma mère ?
Pris de court, Vincent éclata de rire. L’audace et la spontanéité de la question lui plaisaient :
— Tu ne passes pas par quatre chemins, toi ! Disons que je suis... un ami très proche.
Charlotte haussa un sourcil, peu convaincue :
— Tu la connais depuis longtemps, ma mère ?
Son ton était plus sérieux cette fois. Vincent perçut une véritable curiosité derrière l’apparente désinvolture.
— Depuis très longtemps, oui. Nous étions à peine plus jeunes que toi, à l’époque.
— Et vous vous êtes perdus de vue ?
— La vie nous a séparés, mais... parfois, elle donne une seconde chance.
Charlotte le scruta un instant, puis changea de sujet avec la même aisance :
— Tu fais quoi comme métier ?
— J’accompagne de jeunes footballeurs prometteurs. Et toi, qu’est-ce que tu veux faire plus tard ?
— Médecine, répondit-elle sans hésiter.
Vincent haussa un sourcil, impressionné par tant de certitude :
— À ton âge, savoir exactement ce qu’on veut, c’est rare.
— C’est ce que j’ai toujours voulu, répliqua-t-elle simplement, avec une assurance qui lui rappela étrangement quelqu’un...
Il la regarda avec un mélange de tendresse et de fierté. Devant lui se tenait sa fille. Encore une inconnue, et pourtant... il sentait déjà cette force en elle, cette détermination qui lui était familière.
Il eut une pensée pour Emilie.
Il sut immédiatement que leur lien ne se tisserait pas en un jour. Mais il savait aussi qu’il serait prêt à faire tout ce qu’il fallait pour y parvenir.
—Tu as eu seize ans, c'est ça ?
— Oui, en avril. Et toi ?
— J'aurai trente-six ans le mois prochain.
Nathalie apparut à l’encadrement de la porte, rayonnante :
— Ça vous dirait un ciné, ce soir ?
— Super idée, maman !
— Et... pizzas ? ajouta-t-elle, malicieuse.
— Chèvre-miel ! s’exclamèrent Charlotte et Vincent en même temps, un éclat complice dans le regard. Nathalie éclata de rire. Vincent lança un regard amusé à sa fille :
— C’est aussi ma préférée ! dit-il en lui adressant un clin d’œil avant de se tourner vers Nathalie. Je vais aller les chercher, je connais une excellente pizzeria.
Il quitta la chambre et fut rejoint par Nathalie dans le hall. ll lui murmura :
— Elle est géniale... J’ai peur de ne pas être à la hauteur.
Il semblait hésitant, mais Nathalie passa une main dans ses cheveux en souriant avant de lui répondre. Ses yeux débordaient de tendresse :
— Sois juste toi-même, Vincent. Elle saura voir qui tu es vraiment.
Il hocha la tête, reconnaissant. Son regard, empli de douceur, se posa sur elle :
— Toi aussi, tu es géniale...
Elle répondit en effleurant ses lèvres d’un baiser léger :
— Merci, Vince. Allez, file, on t’attend.
Elle referma la porte derrière lui et rejoignit Charlotte dans sa chambre, où la jeune fille terminait ses devoirs. Nathalie entra, un éclat tendre au fond des yeux
— Alors... Comment tu l’as trouvé ? demanda-t-elle, avec une pointe d’appréhension.
Charlotte se balança légèrement sur sa chaise, un sourire en coin :
— Il a l’air cool... Il m’a dit qu’il était ton petit ami.
Nathalie arqua un sourcil, faussement surprise :
— Ah bon ? Il te l’a dit, ou c’est toi qui lui as posé la question ?
Charlotte éclata de rire :
— Un peu des deux, admit-elle. Mais oui, Maman, il est cool. Tu peux sortir avec lui, tu as la permission de minuit.
Nathalie secoua la tête en riant :
— Ça, c’est la meilleure !
Puis Charlotte la fixa plus sérieusement. Son sourire se fit plus doux, presque introspectif :
— Tu sais, Maman ? Il a un truc spécial... Un truc que j’aime bien.
Nathalie haussa un sourcil, intriguée :
— Ah oui ? Et c’est quoi, ce "truc" ?
Charlotte soutint son regard, et son sourire s’élargit :
— Il a les mêmes yeux que moi.
Nathalie sentit son cœur se serrer. Une vague d’émotion lui noua la gorge. Elle inspira lentement, avant de s’approcher et de caresser doucement la joue de sa fille du revers de la main :
— Ma chérie...
Elle marqua une pause, puis murmura avec une infinie douceur :
— Viens t’asseoir près de moi quelques minutes. Il y a une histoire que j’aimerais te raconter...
Une histoire que tu n’aurais jamais pu imaginer.
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