Une longue nuit
La nuit est tombée sur la cellule du prince Jan sans que cela ne change rien à l’obscurité moite déjà en place. Le temps passe, rythmé par une musique composée de sons étouffés et lointains. Le prisonnier est assis sur sa paillasse. Autour de lui flotte une odeur d’urine et de moisi à laquelle il commence, malgré lui, à s’habituer. Cela n’empêche d’ailleurs plus son estomac de gronder. La faim le rattrape et son ventre émet maintenant des gargouillements sonores à intervalles réguliers, participant à la musique des cachots. Il regarde d’un œil vide le mur qui lui fait face. Après avoir beaucoup crié, il s’est couché, en espérant se réveiller autre part. Cela n’a pas fonctionné. Il a donc crié de plus belle, sans plus de succès, jusqu’à ce que sa voix se casse. Maintenant, il fixe le mur d’en face, d’un œil vide.
Maintenant, il commence à se souvenir de ce qui s’est passé avec plus de précision. Lui et son écuyer chevauchaient dans la banlieue campagnarde de Pontargue, un coin plutôt sûr du royaume. Arrivé dans la forêt située à quelques kilomètres de la ville, ils ont été attaqués par des bandits en maraude. La technique habituelle, terriblement efficace : un arbre en travers de la route et un groupe d’hommes armés de lances et de bâtons sur les côtés. Impossible de s’échapper. Un coup de massue l’a fait tomber de cheval. Un autre l’a envoyé dans les vapeurs de l’inconscience. Jan repense à tout ça et masse son crâne. Une bosse est apparue, déformant son crâne princier.
Combien de temps est-il resté évanoui ? Il n’en sait rien. Il moisit dans ce cachot depuis de longues heures et rien ne peut lui en apprendre davantage sur le sort que ses ravisseurs lui réservent. Il ne sait pas où est son écuyer, mais imagine le pire à son sujet. De temps en temps, un cri surgit et il a parfois l’impression de reconnaitre sa voix, au loin. Mais ça pourrait être le hurlement de n’importe qui. Après tout, le prince n’a jamais entendu son compagnon de voyage crier comme ça. Il n’a d’ailleurs jamais entendu personne crier comme ça. Il n’imagine pas quel genre torture peut déformer une voix à ce point. Il n’y a presque plus rien d’humain en elle, éclatée entre les sanglots et la douleur pure, qui exploserait en vagues sonores.
Après des heures et des heures de cris, de lamentations et de faim dans l’obscurité, Jan se demande s’il n’est pas simplement en train de cauchemarder. Après tout, il existe de part le monde des magiciens experts en illusion capables de jouer avec les esprits. Le cerveau humain, tout complexe qu’il soit, reste malléable et tendre entre des mains expertes. Il est possible d’y instiller la folie de mille façons, parfois sans que la cible ne se rende compte de quoi que ce soit. Le prince se prend à penser qu’il n’est que la victime d’une hallucination et qu’il se réveillera sous peu. Malgré tout, il ne parvient pas à se convaincre de cela : impossible qu’une illusion arrive à transcrire cette légère odeur de peur qu’il sent, mêlée aux parfums de moisissure et d’humidité. Tout ici est trop irréel pour être faux. Seule la réalité peut être à ce point détaillée dans l’horreur.
Une heure passe encore avant qu’un bruit différent des autres ne fasse relever la tête à Jan. Une clef tourne dans la serrure de la porte à l’autre bout de sa cellule. Le bruit métallique est accompagné de celui de la conversation entre deux hommes, pour l’instant inintelligibles. Nul doute que cela signe la fin de cette situation absurde. Ces braves gens vont sûrement comprendre leur erreur et répondre aux questions que Jan se pose sans cesse depuis tant de temps.
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