1 - Ignoble soirée

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Je tire ma révérence : je risque bel et bien de finir seul. Je me vois mal séduire qui que ce soit à cette soirée alors que tous mes amis s’amusent à demander des numéros. Comment font-ils, bon sang ?

L’obscurité nous prendrait dans ses bras si les projecteurs ne nous martelaient pas de coups aveuglants. En plus, il fait chaud, la musique est nulle, les gens et leur sueur me collent à la peau. Pourquoi rester dans ce genre de conditions ?

Mais me voilà. Me voilà immobile au milieu d’une soirée ignoble. Quelle idée de faire 1m93 ? Tout le monde me dévisage d'en bas ou, du moins, je pense que tout le monde me dévisage. La masse informe des gens et de leurs bières me dévisage.

Idée de génie : je me décale vers la cuisine en espérant y trouver quelqu’un qui a aussi besoin d’air, quelqu’une qui a aussi besoin d'affection. Une idée pas si géniale puisque j’y trouve une contre-soirée où, cette fois, on me dévisage vraiment.

Dans le tas, il y a Inès, une fille à qui j’ai déjà procuré tellement de plaisir. Avec elle, nous avons signé comme un silencieux contrat de gêne : je ne l’ai pas rappelée et elle ne l’a pas fait non plus. Nos croisements de regards se font de plus en plus rares et les lettres qu’on s’échangeait, les mots qu’on se donnait volontiers n’ont laissé place qu’aux silences, aux non-dits à contrecœur.

Elle est là, toujours aussi brune, avec sa taille bien marquée par son jean, ses lunettes rondes. Une autre et deux garçons discutent avec elle, tous adossés au bar. Évidemment, un silence de mort s’est installé avec eux et me rit au nez tandis que je bricole une raison pour ma venue.

Je suis sorti de la cuisine avec une bière de plus ainsi que de la dignité en moins et, sans même m’en rendre compte, je bouscule quelqu’un.

« Tu pourrais faire attention, quand même ! »

J’ai paniqué en entendant une voix si cristalline m’engueuler. Pendant un instant, j’étais comme sur un petit nuage.

« Pardon mais si tu faisais quelques centimètres de plus, peut-être que je t’aurais vue sur mon chemin… »

Touché. Normalement, elle ne peut rien répondre à ça.

« PERSONNE N’A LE DROIT DE PARLER DE MA TAILLE !

- Si tu veux te bagarrer, la terrasse est dispo ! Là-bas, au moins, je pourrai voir ton tout petit visage ! »

Je souris comme un con, tout fier d’avoir lâché une punchline sous la pression. Mais voilà qu’elle m’entraîne vraiment par le bras vers la terrasse. C’est drôle comme sensation. Je me suis plaint toute la soirée que les gens me collent en transpirant mais, avec sa main, c’est comme électrique. J’aimerais qu’elle ne me lâche jamais.

Elle me lâche après un moment qui m’a semblé trop long… ou trop court ? Alors, je peux enfin la regarder.

Elle a les cheveux couleur paille et les yeux azur avec une tonne de reliefs tout autour de ses pupilles. Sa robe à fleurs épouse chaque partie de son corps mais peut-être que je m’égare.

« Arrête de me dévisager. C’est toi qui m’as bousculée, je te rappelle.

-Crois-moi, c’était plutôt de la contemplation.

-Qu’est-c’que tu racontes ?

-Ta robe te va bien. Ta mine énervée, un peu moins. »

Elle remet sa mèche gauche derrière son oreille et tente de me cacher son sourire.

« Tu voulais qu’on se bagarre, à la base, non ?

-Bah, je suis là. Mais, avant, je pense qu’il est préférable de se présenter l’un à l’autre !

-Je te suis sur Instagram… On a littéralement créé un groupe avec tout le monde pour la soirée, tu te rappelles ?

-Pardon, mais c’est toi aussi…

-Moi ?

-Tu me perturbes ! D’habitude, quand je bouscule quelqu’un, il me toise et continue sa route.

-On va faire encore mieux que ça : on va se bagarrer ! »

Je pense qu’elle a bien remarqué mon air insatisfait. Après un temps, elle ajoute :

« Bon. Moi, c’est Andréa. Et toi ? »

Ce ‘et toi ?’ était brûlant de condescendance. En même temps, je la comprends un peu.

« Enchanté ! Je suis celui qui va te battre d’une traite. On commence par jouer à deux vérités, un mensonge ? »

Alors, les parties ont commencé à s’enchaîner. J’ai appris qu’Andréa est fan d’équitation, qu’elle aime les mots croisés mais pas les fléchés, qu’elle préfère les croissants aux pains au chocolat, et qu’elle refusera toute sa vie qu’un homme lui offre des fleurs.

« En même temps, on sait très bien ce que vous avez derrière la tête, quand vous nous tendez un bouquet ! Inutile de jouer les innocents.

-C’est à ton tour. »

Elle fait la moue puisque je n’ai pas mordu à l’hameçon mais reprend le jeu avec le sourire aux lèvres. Je ne comprends rien du tout mais je préfère quand ses yeux pétillent.

« J’aime le handball. Je déteste les insectes. Et j’ai déjà couché avec une fille.

-Ah oui tu… Tu…

-Tu ?

-Tu n’hésites pas à…

-Bon, quel est le mensonge ?

-Je pense que tu n’as jamais couché avec une fille. »

Elle sourit. Qu’est-ce qu’il y avait de si drôle dans ma réponse ? Elle se lève, marque un temps, puis retourne à l’intérieur. Je la suis du regard à travers la baie vitrée qui sépare la salle de l’extérieur.

Andréa arrive près d’une fille, me fait un clin d’œil au loin, et commence à discuter avec.

Assez rapidement, elle pose sa main sur le bras de sa nouvelle amie, lui caresse le poignet entre deux phrases…

Tout va très vite dans ma tête. C’est littéralement impossible que je sois vraiment témoin de ça. J’ai dû boire un peu trop, un peu trop vite. Ah, mais oui, je n’ai rien mangé de la journée ! C’est normal.

Elles s’échangent des regards emplis d’intensité. Je vois presque la tension qu’elles se partagent. Avec la musique, elles sont obligées de se parler tout près de l’oreille et… à chaque fois qu’Andréa doit dire quelque chose, je la vois se rapprocher un peu plus de son corps.

Heureusement, je suis seul sur le canapé de la terrasse. Personne ne sent mon cœur battre si vite, personne ne voit ma queue tambouriner contre ma braguette.

Alors, elles se mettent à chanter ensemble sur la musique. Comme par hasard, elles semblent toutes deux amoureuses de cette chanson de Beyoncé.

♪ You won’t break my soul

You won’t break my soul

You won’t break my soul

You won’t break my- ♪

Pause. La musique s’est comme arrêtée dans ma tête.

Elles se sont embrassées, là. Andréa a ses deux bras autour du cou d’une fille, leurs lèvres s’enlacent et se quittent à répétition.

Presque à chaque fois qu’elles s’arrêtent, il leur suffit d’un regard pour en avoir encore envie. J’ai faim, j’ai soif, j’ai froid, j’ai envie d’elles, non, j’ai envie d’elle.

Qu’est-ce que je fais ? Je reste ici, je les rejoins ?

Non. C’est sûrement un jeu de sa part pour me frustrer. Elle tient à ce que je reste ici, que j’assiste à cette scène sans broncher, que je me contente d’observer sans pouvoir me caresser, sans pouvoir la toucher.

Mon sang n’alimente plus vraiment mon cerveau. J’ai tellement mal à l’entrejambe, tellement envie de me soulager… Cette soirée risque de finir plutôt bien, en fait.

Je n’arrive pas à regarder autre part. En même temps, je n’essaie pas vraiment. J’entrevois la langue d’Andréa qui effleure les lèvres de sa partenaire à chaque fois qu’elles réduisent la distance qui les sépare. Les mains de l’autre descendent de plus en plus bas sur son dos, et alors que ses doigts atteignaient presque les fesses d’Andréa, la musique s’arrête.

Elles restent un temps dans leur position, échangent quelques mots et un sourire, puis ma nouvelle amie me revient.

« C’est drôle ! Je peux jurer que jamais je n’avais entendu parler des pantalons à bosse. C’est hyper bizarre d’en placer une juste en-dessous de la ceinture, nan ?

-C’est qu’elle se croit drôle, en plus ! Mon petit Hulk aime bien l’air frais de la terrasse, voilà tout.

-Ton petit Hulk ?! »

Qu’est-ce qu’elle est belle quand elle rit. Ses fossettes se creusent un peu plus, ses yeux disparaissent presque derrière ses longs cils, et elle a cette manière de rire vers le haut en gardant les dents collées, dévoilant un peu plus la peau de son cou.

« Je déduis que t’as déjà couché avec une fille, du coup.

-Ahah, tu as tout faux ! Tu aurais dû rester sur ta première réponse…

-Bon bah finalem-

-Et non ! C’est trop tard ! Ni repris, ni échangé. »

J’aime comme on se taquine. Je crois que cette fille me plaît bien.

« En réalité, je n’ai jamais eu d’expérience avec une fille. Je crois que… c’est juste que j’aime me mettre des défis, des objectifs.

-Une femme qui a de l’ambition, ça peut me plaire.

-L’ambition est la consolation de ceux qui n’ont hérité de rien. Moi, j’ai le caractère de ma mère : je suis une aventurière qui se lassera toujours du confort. Impossible pour moi de rester deux secondes en place si je me sens trop bien où je suis.

-Heureux d’apprendre que ce moment t’est inconfortable…

-T’es con.

-Nan, je dirais plutôt que je suis attiré. On parle peu de ce que tu viens de faire avec cette meuf !

-J’en avais envie, elle aussi. On a même échangé nos Insta à la fin !

-Ah ouais ? Tu comptes discuter avec elle et voir où ça mène ?

-Mon dieu. Je t’ai déstabilisé à ce point ? Je te rappelle que j’avais déjà les Insta de tous les invités, idiot. »

Un instant, j’ai eu envie d’être sur la défensive. Mais je crois qu’elle mérite un peu mieux que ça.

« J’ai beaucoup aimé voir ce spectacle. Tu as l’air d’embrasser comme une déesse et tu sembles vraiment savoir te servir de tes mains. Quand t’as passé tes bras sur ses épaules !

-Ouais, c’est un peu mon talent après vingt ans d’expérience.

-Je suis sérieux… Quand tu m’as fait un clin d’œil, avant de commencer à l’embrasser, j’ai perdu pied. Je pense que tu me plais beaucoup. C’est un vrai plaisir de t’avoir bousculée.

-Bah super… J’aurais quand même préféré autre chose qu’une bousculade. »

Elle refait son tic ; elle a remis sa mèche blonde derrière son oreille. Cette fois, elle ne cache même plus son sourire. Il se marie à la moue qu’elle fait pour m’attirer. Bien joué à elle : ça marche.

Je m’assois un peu plus près d’elle, juste à sa gauche. Alors, je lui tapote l’épaule en lui disant que ça ira, que tout le monde ne peut pas être aussi méchant que moi.

Elle me frappe le bras.

Le ciel de Lyon laissait apparaître quelques étoiles. Nous les avons regardées ensemble quelques minutes. Aucun mot ne s’échappait de nos lèvres. Cet instant m’a paru si court, je pense que je ne l’oublierai jamais.

Je la regarde un moment, remets sa mèche à sa place, et appose un baiser sur sa joue. Elle est chaude, tendre et ferme à la fois, et devient écarlate alors que je m’en éloigne. Elle a tourné vers les miens ses yeux bleus, les a fermés, et est venue à ma bouche.

Mes lèvres se lovent entre les siennes. Nos nez échangent de position comme s’ils s’étaient mis à danser ensemble. Ma main lui caresse la tempe, la sienne m’attrape le cou. Je ne me demande même plus si ma moustache est un problème, si mes lèvres sont trop sèches, si mes mains sont trop moites. Ce moment est naturel : nos respirations sont les chants des oiseaux et nos cœurs les chefs d’orchestre.

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