Le poète du crépuscule

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Mon sourire, une faille dans le masque de l’humanité, est le prélude d’une confession intime, écrite dans le sang de ceux qui ont croisé mon chemin.

Dans l’obscurité de ma chambre, sous le faible éclat de la lune, repose mon instrument le plus précieux – un couteau à la lame fine et acérée, forgé dans un métal sombre comme la nuit. C’est mon pinceau, mon outil de création, avec lequel je compose mes œuvres les plus intimes. Chaque soir, je le prends en main, caressant doucement son manche, sentant son poids et son potentiel. C’est une extension de moi-même, un interprète silencieux de mes désirs les plus sombres.

Je marche dans les rues désertes, le couteau dissimulé sous mon manteau, comme un secret sombre que seul je connais. Les ombres semblent danser autour de moi, anticipant le spectacle à venir. Mes pensées vagabondent vers ma prochaine création, mon cœur battant au rythme de la chasse. Le frisson de la sélection, l’anticipation de la rencontre, chaque moment est une note dans la symphonie de la nuit que je suis sur le point de diriger.

Le moment est enfin arrivé. Face à ma toile humaine, je révèle mon couteau, brillant sous la lumière vacillante d’un réverbère lointain. “Voici l’instrument de ta libération,” je murmure, tandis que la peur se transforme en réalisation dans les yeux de ma victime. Avec une précision chirurgicale, je commence mon travail, traçant les contours d’une destinée éphémère sur la peau, chaque coupure une strophe, chaque goutte de sang une métaphore de la vie qui s’échappe.

Au commencement, il n’y a pas de cri, pas de bruit, seulement le murmure de mon existence qui effleure le monde. Chaque matin, je renais, affamé d’une faim que rien de terrestre ne peut apaiser. Mon plaisir, une ombre qui se glisse dans les interstices de la morale, grandit dans la contemplation du mal.

Après, seul dans le silence, je contemple mon œuvre achevée. Le couteau, maintenant lourd de l’histoire qu’il a aidé à raconter, repose à côté de moi. Je le nettoie avec soin, retirant toute trace de notre danse macabre, le préparant pour notre prochain duo. Ce rituel de purification est aussi une méditation, une réflexion sur la beauté capturée dans l’instant final, la vérité révélée par la lame.

Je me promène parmi vous, un loup déguisé en agneau, mon regard un abîme où se noient la lumière et l’espérance. La folie, mon amante fidèle, danse avec moi au bord du précipice, guidant ma main alors que je dessine des arabesques de douleur sur la toile de leur peau. Mon rire, un éclat dans la nuit, est le seul témoin de notre union sacrilège.

Il y a une musique dans leurs cris, une symphonie que seul je peux apprécier. Chaque frisson de terreur qui parcourt leur corps est une caresse pour mon âme asséchée. Je me délecte de leur peur, un vin rare que je savoure goutte à goutte, un nectar qui me rappelle que je suis vivant.

Dans le miroir, mon visage se reflète, un masque de normalité sous lequel se cache le gouffre de mon être. À chaque regard que je croise, je vois leur incompréhension, leur incapacité à percevoir la vérité que je dissimule. Ils ne voient que le masque, jamais le monstre qui se tient juste derrière.

Dans l’interstice où le jour cède sa place à la nuit, je trouve ma scène. Là, sous le ciel changeant, je récite les vers d’une tragédie éternelle, mon âme écho aux murmures du crépuscule. “Cherche-tu la beauté dans la noirceur, ou la noirceur dans la beauté ?” me questionne l’écho d’une conscience oubliée.

Moi : “Je cherche la lumière dans l’ombre de l’âme humaine. Vois-tu, l’horizon s’embraser ? C’est là que réside la vérité, dans l’éphémère beauté d’un monde en fuite.”

Mon écho : “Et quelle vérité cherches-tu dans ce déclin ?”

Moi : “La pureté de l’instant, la joie cruelle de la création. Chaque fin que je compose est un hommage à l’impermanence.”

L’écho : “Et ceux qui deviennent malgré eux les protagonistes de tes vers, que leur apportes-tu ?”

Moi, avec un sourire teinté de mélancolie : “Une immortalité dans le néant. Un dernier rôle dans une pièce où la lumière et l’ombre dansent en un ballet de fin.”

Je m’avance, silhouette floue dans le crépuscule, portant en moi la nuit et ses secrets. Mes pas, guidés par une musique que seul je peux entendre, sont une poésie muette, une ode au crépuscule de l’existence.

L’écho : “Mais ne crains-tu jamais le vide ? La solitude de l’artiste devant sa toile inachevée ?”

Moi, les yeux perdus dans l’obscurité naissante : “Le vide est mon maître, la solitude, ma muse. De leur abîme, je puise l’inspiration, sculptant dans l’âme humaine des odes au désespoir.”

Et alors que la nuit enveloppe le monde, je me retrouve face à une nouvelle toile, un cœur palpitant d’angoisse et d’espoir. “N’aie crainte,” je susurre, “ton épilogue sera une étoile dans le firmament de mes créations.”

La victime (une voix tremblante) : “Qui es-tu ?”

Moi, en lui plantant le couteau dans le cœur: “Un poète, mon cher. Le poète du crépuscule, qui dans l’ombre de ton dernier souffle, trouve la lumière.”

Je quitte la toile peinte écarlate de mon poème crépusculaire.

L’écho, un soupir dans l’air : “Et ceux que tu choisis, voient-ils le poète ou le prédateur ?”

Moi, la main caressant le vide : “Ils voient ce qu’ils désirent, jusqu’à ce que mes mots les enveloppent, révélant la vérité dissimulée sous des couches d’illusion. Je suis le dernier conteur qu’ils entendent, leurs âmes suspendues à mes lèvres.”

L’écho, sa présence s’amenuisant comme la lumière du jour : “Et dans ce dernier souffle, que cherches-tu à leur enseigner ?”

Moi, un murmure presque amoureux : “Que la beauté réside dans l’éphémère, dans l’art de la fin. Chaque adieu est une strophe, chaque silence une ponctuation dans le poème de l’existence.”

L’écho, désormais lointain : “Et quand viendra ton crépuscule, poète, qui écrira ton épilogue ?”

Moi, seul avec la nuit qui s’avance : “Mon épilogue appartient aux étoiles, témoins silencieux de mes confessions nocturnes. Et quand mon heure viendra, je l’accueillerai comme une vieille amie. Car n’ai-je pas vécu chaque instant dans l’anticipation de ce dernier acte ?”

Et dans le silence qui suit, seul le battement de mon cœur répond, rythme syncopé d’une existence consacrée à la beauté trouvée dans l’obscurité. Je suis la peur incarnée, le dernier visage que vous voyez avant de plonger dans l’abîme où se mêlent art, mort, et poésie. Je suis le poète du crépuscule, maître de l’invisible, s’avançant dans la nuit, mon âme un parchemin sur lequel est inscrit le testament d’une humanité énigmatique.

Dans le froid glacial de l’aube, alors que le monde s’éveille à la lumière, je disparais, ne laissant derrière moi que le souvenir de mon passage, une ombre parmi les ombres, éternellement insatiable, éternellement libre.

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