Monochromatique
de Sarah PEGURIE
L'odeur du béton humide emprisonnait ses narines, tandis que le son de la pluie s'abattait sur le bitume, laissant les gouttes s'éclater brutalement de leurs chutes vertigineuses.
Le ciel était gris, l'air était chaud ou bien était-ce plutôt lui qui ressentait sa température montée. Il releva les yeux pour observer autour de lui.
Des centaines de personnes traversaient les passages piétons, entourées de ces gigantesques immeubles surplombant le ciel. Tout s'accélére, comme les battements de son cœur fragile. Les inconnus se mirent à marcher plus vite, de grandes enjambées pour certains, courir pour les plus vivants, dans cette matinée du premier jour de juin. Regardez-les, ces fourmis, ces moustiques, ces vermines allant dans tous les sens, cela lui fit tourner la tête.
Puis il se demanda, si c'était lui qui était au ralenti, en retard par rapport aux autres, ou bien si c'était eux, dans leurs costumes et mocassins, escarpins lustrés, apprêtés, avec leurs mallettes qui allaient juste bien trop vite, essayant tant bien que mal de passer au travers des gouttes de pluie glaciale qui les ruineraient. Trop pressés, trop stressés, en route sur le chemin pour grandir. Tout était trop rapide aujourd'hui, pour lui en tout cas.
Il ne voulait pas grandir, juste s'amuser, il ne comprenait pas cette idée sociétale du "travail et vis". Non, si vivre devait impliquer de devenir comme tous ces gens, traversant la route au premier coup de sifflet du feu vert, alors ça incitait aussi à devenir diplomate avec son patron, sourire même aux cons, être courtois avec la voisine d'à côté, porter un masque qui s'incrusterait dans notre chair au fil des jours... Putain de conneries.
Il releva son visage vers le ciel et s'arrêta au milieu de ce passage piéton. Les personnes autour de lui défilaient en l'évitant, comme s'il n'existait pas. Il prit une grande bouffée d'air, baissa son parapluie et supplia la pluie de laver son âme perdue.
Il fermait les yeux, profitant pleinement de l'instant et il resta planter là, tandis que les klaxons des voitures et les cris des conducteurs enragés lui hurlaient de bouger.
Il ouvrit ses yeux, prêt à continuer sa route, mais surprise, tout autour de lui etait teinté de niveaux de gris. Gris neutre, gris souris, gris noir, gris clair, gris perle, gris argent, gris acier, gris anthracite... Plus rien n'était coloré, pas même les vêtements des passants, ni les éclairages des boutiques, d'habitude fumantes de couleurs néon. Il tomba à genoux et se mit à rire. Sa vie, déjà bien monotone et ennuyeuse avait ajouté à sa tristesse et solitude une vision monochromatique, le plongeant dans un tourbillon de questions sans réponses.
Était-ce un rêve ? Ça devait l'être.
Une douleur vive percuta sa tempe. Une jeune femme venait de passer à côté de lui et son sac à main avait malencontreusement cogné la tête de ce garçon, encore à genou sur ce sol mouillé.
La femme ne fit pas attention à lui, elle ne l'avait sûrement pas remarqué et elle continua son chemin. Il ne se contenait plus, sa colère et sa haine grandissante pour ce monde débordé désormais. Son rire se fit plus fort, tel un fou venant de s'échapper d'un asile.
Il se relève subitement et s'approche rapidement d'elle. Il pose sa main sur son bras dénudé pour la retourner face à lui. Leurs regards se croisèrent, les éléments si gris, qui arpentaient son entière vision, se recouvrirent de couleurs encore plus lumineuses et saturées.
La femme insista de son regard, se demandant si ce pauvre être avait besoin d'aide. Elle portait un long trench beige, ses cheveux bruns lissés arrivaient juste en dessous de sa poitrine. Le cœur de l'homme pourtant si déchiré, s'apaisa.
Il ne disait rien, il ne savait déjà plus pourquoi il lui tenait le bras. Il contemplait les couleurs autour de lui, portait une autre interprétation de ces gens, si pressés, si stressés, en quête d'une vie. Elle arracha son bras de sa poigne animale et repartit sans se retourner, continuant sa discussion téléphonique. Il pouvait entendre sa voix s'évanouir au fur et à mesure que la distance s'agrandissait.
Il était là, sur ce trottoir, se tenant sous la pluie, sans son parapluie et il s'en foutait. Les couleurs dansaient devant ses yeux, les rires des passants étaient devenus agréables, son rire frénétique se mêlant aux leurs. Les conversations, l'odeur des croissants chaud sortant du four des boulangeries, la musique bien trop forte sortant des écouteurs de certains, le vrombissement des voitures... Depuis quand les rues étaient-elles si attrayantes ?
Et alors qu'il marchait au travers des rues de la ville, il en oublia complètement sa vie, son boulot, sa famille, ses amis. Ces sens prenaient le dessus. Un coup de fil retentit dans sa poche. C'était son foutu patron, un homme odieux, autoritaire, mesquin, moqueur, vengeur et manipulateur, qui détestait les employés en retard.
Devinez maintenant qui était en retard ? Lui.
Qui venait de perdre son boulot ? Encore lui.
Après avoir raccroché sans même avoir tenté de se sauver, les tons monochromes repeignirent le fond de ses iris. Il se résigna à faire demi-tour, rentrer chez lui était devenu sa seule activité de la matinée. Il avança, tête baissée, les cheveux trempés, les vêtements collés à sa peau, bousculant les passants sur son chemin. Arrivé devant chez lui, il remarqua un papier collé contre la porte, un avis d'expulsion, écrit en gras noir sur blanc.
Il déambula toute la journée dans les rues, cherchant à revoir une dernière fois ces couleurs si chatoyantes. Le soleil avait déjà fait son au revoir, il tenta d'appeler un ami. BIP BIP BIP, messagerie téléphonique. Il se sentait pitoyable et la pluie recommençait à s'abattre. Ses larmes se mélangèrent alors aux larmes des nuages. Il ne pensait qu'à une chose : en finir.
Il grimpa les escaliers d'un des gigantesques immeubles devant lui et accéda au toit de celui-ci. L'air était plus froid tout en haut, le vent venait s'engouffrer dans ses cheveux mouillés qui mériteraient un bon coup de ciseau. Il s'approcha lentement près du bord et apprécia pour la première fois aujourd'hui, cette vision monochromatique.
La vue panoramique des édifices était tâchait de petits points gris clair, telles des étoiles parsemant le ciel nocturne. Il grimpa sur le rebord, prêt à se laisser glisser, à laisser tomber sa vie. Il voulait s'endormir, sa fatigue était trop forte, il voulait s'endormir sans rêver. C'est au moment où il leva son pied droit qu'un éclair tonna et il se sentit happé en arrière.
Sa tête faisait un mal de chien, il venait de taper contre le sol du toit. Sentant un poids sur lui, il ouvrit les yeux, une longue chevelure brune s'étalait sur son torse. La femme releva son visage et il la reconnut instantanément. Ce regard marron clair, doux et vivace venait encore une fois de le bousculer.
Lorsqu'il se rendit compte que c'était elle qui lui avait redonner vie dans la rue, et ici, sur ce toit, il se releva brusquement la laissant à terre. Elle se mit à pleurer, l'implorant de ne pas sauter et il pleura avec elle, pensant " Personne n'est tout blanc ou tout noir. Nous sommes tous gris" et selon lui, c'est pire.
Table des matières
En réponse au défi
"Personne n'est tout blanc ou tout noir. Nous sommes tous gris"
Hello !
Je suis récemment tombée sur la citation de @Milia@ et je l'ai trouvé très intéressante.
Je vous propose donc de travailler dessus et d'exprimer votre pensée et opinion concernant cette citation que voilà :
"Personne n'est tout blanc ou tout noir. Nous sommes tous gris"
Amusez-vous et faites nous savoir votre pensée la-dessus.
-> Aucune longueur n'est imposée
Je publierai également un texte sur ma pensée prochainement.
Belle journée,
Daphnée Schl.
Commentaires & Discussions
L'odeur du béton | Chapitre | 4 messages | 7 mois |
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