L'homme s'était arrêté sur le bord du chemin. Assis sous un chene, il ramassait certains des glands tombés au sol, puis les échangeait soigneusement contre les cailloux dont sa bourse était emplie. L'un après l'autre il les soupesait au creux de sa main, il les levait dans le soleil, pesait mûrement sa décision. Lorsque l'un des glandss ne lui convenait pas, il prenait un pas d'élan, la jetait au loin et revenait en ramasser un nouveau.

Il s'arrêta soudain, distrait par des cris dans le lointain. Venant dans sa direction, une petite troupe marchait sur la route. De petites créatures à la peau grise et aux vêtements criards, courant en tous sens autour d'une silhouette plus haute marchant d'un pas altier. Des gobelins armés de bâtons et de poignards. Une tribu en maraude. Mais l'homme ne craignait pas d'être attaqué. Ne lui avait on pas déjà tout pris ?

La silhouette au milieu des gobelins portait une armure noire et un casque dont l'une des cornes était tordue. Les gobelins l'entouraient comme un chef. "Place et respect au Seigneur Noir. Respect au Seigneur Noir. Il vous tue, il vous bouffe, il ne s'en aperçoit même pas". Les gobelins couraient en tous sens autour de lui. Le Seigneur Noir ne semblait même pas s'en apercevoir.

Ne ralentissant pas lorsque son escorte s'arrêtait, n'accélérant pas lorsqu'elle venait à le dépasser. Une marche impériale.

Alors qu'ils se rapprochaient, l'homme nota que les gobelins portaient des tissus de bonne qualité, et que leurs armes n'étaient pas ébréchées. C'était une troupe bien riche. Trop riche pour se composer de brigands ordinaires. Celui qu'ils appelaient le Seigneur Noir, par contre, avait du connaître des jours meilleurs. Son armure était bosselée, son casque mangé de rouille comme s'ils avaient séjourné l'un et l'autre dans quelque endroit oublié.

Lorsqu'ils virent l'homme sous le chêne, les gobelins se mirent à agiter leurs armes au dessus de leur têtes. Deux d'entre eux se mirent même à courir, en poussant des criaillements de guerre. L'homme hésita un instant à leur jeter un gland. Sa puissance magique les aurait étalé, éparpillant leurs moignons dans l'herbe, sous le soleil. Mais l'homme avait eu trop de mal à réunir ses glands pour les gaspiller sans nécessité.

Les deux gobelins le traînèrent vers le Seigneur Noir en l'insultant . De près, sa carrure était assez impressionnante, et il portait une épée magique. Il s'arrêta en voyant le prisonnier qu'on menait devant lui. "Qui es tu ?" L'homme ne se laissa pas démonter. Ce n'était pas une armure qui allait l'impressionner après tout ce qu'il avait vu.

"Ne vous fiez pas à mon apparence, vous qui marchez sur les routes de mon royaume. Car je suis le seigneur de ces terres. Chassé par maléfice et traîtrise de mon palais. Je ramasse présentement les glands qui me permettront de le reconquérir. "

Le Seigneur Noir eut une inflexion de la voix, l'équivalent d'un haussement de sourcil. "Des glands pour conquérir un royaume ?"

"Evidemment, il en faudra beaucoup. Mais la recette est sûre. Je la tiens de mon ami, le druide des marais occidentaux que j'avais couvert de bienfaits au temps de ma puissance. Il n'a rien oublié et me suivra dans ma marche victorieuse vers le trône."

Les gobelins commençaient à s'impatienter. Ca se voyait à la manière dont ils piquetaient l'homme de leurs couteaux "On le tue ? On le tue ?"

"Silence !" La voix du Seigneur Noir gronda si fort qu'il en fit trembler la terre. "Il vient avec nous. Nous l'aiderons à reconquérir son trône. Et lorsqu'il sera roi, il nous servira."

Le Seigneur Noir se pencha vers le futur roi. "N'est ce pas ?"

L'homme opine vivement du chef. "Ah ca c'est sûr."