Si Ayasha était sourde

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Mal installée sur une chaise qui aurait pu gagner un concours de l'objet le moins ergonomique au monde Ayasha se tenait droite. Sur la table, une cage abritait un griffon miniature agité, créature qui, malgré sa petite taille, incarnait un puits sans fond de complications. Pour les détectives humains, c'était un animal exotique dangereux, pour elle, il s’agissait d’une raison de maudire sa meilleure amie : Camille. Une sorcière qui aurait pu être l'une des meilleures si elle n'avait pas la capacité de concentration d'une mouche dans une étable.

Se mordant la lèvre pour ne pas soupirer, ou insulter cette maudite sorcière, Ayasha ramena son attention sur ce qui l'entourait. En l'occurence, une salle d'interrogatoire à l'ancienne. Oui, vraiment, celles des vieux films des années 70, avec une ampoule nue qui pendouillait, vacillante, et visiblement oublié comment faire de la lumière correctement. De toute évidence, ils avaient pas encore reçu le catalogue Ikea section Salle d'interrogatoire depuis un demi siècle et n'avaient pas remis la pièce au goût du jour.

En face d'elle, le commissaire Dupré feuilletait un dossier assez volumineux pour faire pâlir d'envie une encyclopédie. Si Ayasha pouvait entendre, elle aurait sûrement été irritée par le bruit de ces pages. Mais elle, sourde de naissance, trouvait une ironie croustillante dans le fait que même vampire, elle n'échappait pas à certains handicaps humains.

Ce qu'elle perdait en sons, elle le gagnait en nuances visuelles. Elle pouvait voir son allure vieillotte et négligée, avec sa veste d'un vert kaki délavé qui jurait sur une chemise à carreaux violets et sa chevelure grisonnante ébourrifée lui donnait l'allure d'un vieux hibou. Quant aux odeurs, oh les odeurs ! La senteur poussiéreuse de vieux dossiers qu'il semblait compiler avec zèle, vieux cuir, papier jauni, et cette légère senteur de moisi... merveilleux !

Qu'est ce qu'elle aurait aimé avoir des super-pouvoirs comme dans les films. Mais la réalité était bien plus prosaïque. Pas de métamorphose en chauve-souris, pas de super-force ni de super-vitesse, et certainement pas de charme hypnotique. À part une longévité ennuyeusement longue et un régime alimentaire qui excluait toute forme d'aliment solide, être un vampire n'avait rien de la super classe vendue par la littérature et le cinéma.

Son regard ambré se posa sur l'horloge murale. Ses associées prenaient leur temps, et sans son téléphone, confisqué, elle ne pouvait leur rappeler la gravité de la situation. Elle observa Dupré, son expression aussi ennuyeuse que son style vestimentaire, et sourit intérieurement. Au moins, être sourde signifiait qu'elle échappait aux banalités de la conversation — peut-être un super-pouvoir en soi, finalement.

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