Chapitre 2
Le trajet me semble durer qu’une seconde tant je suis aspirée par la contemplation de son visage virile et de ses yeux verts qui se tournent vers moi presque plus souvent que sur la route. Je note cependant le trajet que nous faisons pour rentrer chez moi. Je sais maintenant où il habite : dans le nouveau quartier d’Afrocent. Étrange, c’est assez éloigné du quartier misérable duquel il m’a sauvée. Ce sont les nouveaux riches ou les jeunes de vieilles familles qui cherchent à s’éloigner de leurs parents qui habitent ce côté de la ville. Arrivés devant la villa familiale, j’ai envie de lui dire de redémarrer le moteur et de m’emmener loin d’ici. Je n’aime pas cette villa moderne, impersonnelle, donnant plus l’impression qu’il s’agit un musée et non d’une habitation où vit tout un foyer. J’ouvre la bouche pour le remercier en me retournant vers lui mais je n’ai pas le temps de dire quoi que ce soit car ses lèvres se posent sur les miennes, m’embrassant comme je ne l’ai jamais été. Elles prennent littéralement le contrôle de ma bouche, m’offrant le plus beau, le plus profond et le plus merveilleux baiser de ma vie. Incapable de résister, je lui rends son baiser, mes mains s’accrochant à ses cheveux et à son cou, l’attirant encore plus près de moi. Je me perds en lui et veux le sentir en moi. Je veux cette bouche partout sur mon corps, encore et encore. Je le veux. Lui. Entier. En moi, sur moi, autour de moi à tout jamais. Même si je ne connais toujours pas son nom. Serais-je en train de tomber amoureuse ou est-ce juste un fantasme ?
Des coups à la fenêtre de ma portière me ramènent dans le présent. Essoufflée, je mets tristement fin à notre baiser et me tourne vers Hector, notre jardinier que j’adore, qui nous a interrompus. J’adresse un triste sourire à mon bienfaiteur et ouvre la porte. Hector me dit à quel point il est heureux de me voir saine et sauve en me prenant dans ses bras mais je ne fais pas attention car je n’ai d’yeux que pour le beau mâle qui sort de la voiture pour m’escorter jusqu’à la maison. Tant pis, j’irai m’excuser plus tard. Je pose un pied sous le perron de l’entrée que la porte s’ouvre déjà, laissant apparaitre Mère, Père et Jean-Alexandre. Ce dernier sort, me prend dans ses bras et m’écrase contre lui, possessif, sans faire attention à mon cri de douleur et fusille du regard mon sauveur.
« - Dégage d’ici, enfoiré, souffle-t-il.
- Non. Pas avant de m’être assuré qu’elle soit bien rentrée et en sécurité.
- Elle est en sécurité chez elle, intervient mon père, vexé par ces paroles.
- En sécurité ? Vraiment ? Alors pourquoi ce veau l’écrase-t-il contre lui sans remarquer qu’elle souffre de ce contact ?
- Cela suffit Daniel !, ordonne une voix sévère bien connue depuis l’intérieur de la maison.
- C’est vraiment Daniel ? Votre second fils ?, demande d’une petite voix Mère. Je comprends mieux pourquoi Magdalena est couverte de bandages de la tête aux pieds. »
D’un coup, je comprends et sais qui est mon sauveur : Daniel de Hautlier, ancien prince héritier du royaume et qui a été rétrogradé sous le prétexte que sa vie est une folie remplie d’alcool, de femmes et de drogues, dégradant sa position et celle de la famille royale. Quand je le regarde, je revois le petit garçon que j’ai croisé quelques fois, au temps où Père allait au palais voir la Seconde Reine, souffre-douleur de celle-ci et de son jeune fils. Oui, je le reconnais et je me rappelle les jeux que nous inventions les rares moments où nous pouvions rester tous les deux dans sa chambre ou dans un des salons. Je me souviens de ses gestes minutieux et étonnamment doux pour un gamin de dix ans en colère, jugé instable et incontrôlable mais pas quand il était avec moi. Dans mes souvenirs, il n’était pas un enfant à problème mais bien un jeune garçonnet qui ne sait pas où est sa place et qui souffrait de la violence verbale de ceux qui auraient dû l’aimer plus que tout. Incroyable ! Je me remémore tous ces moments alors qu’ils datent d’il y a presque vingt ans, maintenant. De si bons événements, les seuls d’innocence que nous avions entre les horreurs qu’on nous faisait vivre. Mon cœur se serre et je voudrai à nouveau le tenir contre moi pour effacer toutes les mauvaises pensées qui me reviennent. Du coin de l’œil, je l’observe, je replets de son superbe physique et fantasme sur ce qu’il pourrait me faire et sur ce qu’il me fait ressentir. Tout mon corps tremble, avide de son toucher et de le sentir entre mes cuisses. Cependant, la dispute me distrait de mes fantasmes et me ramène dans l’instant présent.
« - Magdalena, est-ce bien lui qui t’a enlevée et t’a retenue contre ta volonté pendant ces quatre jours ? Ton père et moi étions fous d’inquiétude !
- Quoi ? Il ne m’a rien fait de mal ! Il m’a sauvé la vie !, coupais-je en repoussant l’ignoble prince qui continuait à m’étouffer. Il m’a aidé à me débarrasser d’un gang qui m’avait enlevée alors que je prenais l’air lors de la soirée !
- Alors pourquoi ne t’a-t-il pas ramenée plus tôt ? Cesse de dire des bêtises et rentre, jeune fille. Nous devons avoir une sérieuse conversation avec ta mère. »
Je me tourne vers Daniel mais Jean-Alexandre me tire déjà à l’intérieur de la maison et repousse son frère sur son passage. Je lui mime un « Merci » et ne résiste plus à la poigne du monstre qui me tire. En rentrant, je crois l’apercevoir m’envoyer un baiser mais l’étreinte de ce monstre détesté me fait bien trop mal. Une fois à l’intérieur, je me dégage et fonce vers ma chambre mais Mère se met sur mon chemin et me prend dans ses bras comme si j’étais un petit animal blessé. Mais il n’y a aucun amour dans cette étreinte. Puis elle me pousse gentiment vers le salon où Père, mon frère Lucas, Jean-Alexandre, le Roi et la Seconde Reine patientent. J’en ai assez d’eux. Je veux juste monter dormir mais je sais que ça va être impossible jusqu’à ce que Père ait vidé le sac de reproches qu’il me réserve toujours. J’ai l’habitude de la plupart des remarques : j’aurais dû être un garçon, être plus forte, être plus performante, arrêter de leur attirer des ennuis, accepter l’union qu’ils m’imposent et m’estimer heureuse de celle-ci en citant les noms de toutes celles qui voudraient bien être à ma place, bla bla bla.
Cette fois-ci, cependant, il n’utilise pas les grossièretés habituelles à cause de la présence de la famille royale et ajoute que je n’aurais jamais dû m’échapper. Je tente de me défendre sur ce point en répétant la version de l’histoire que j’ai servie sous le perron : un gang des quartiers misérables m’a enlevée afin d’avoir une importante rançon et que j’ai eu de la chance que Daniel passe dans les environs et qu’il m’ait protégée. Je le vois bouillir. Je sais que quand mon futur fiancé et sa clique seront partis, j’aurai droit à quelques coups de ceinturon. Car aucune personne dans cette pièce n’aime Daniel sauf son père. Un peu. Vu qu’il est le fils de la Première Reine, c’est normalement lui qui devrait être l’Héritier mais la Seconde Reine ne voulait pas que le fils de sa rivale monte sur le trône alors elle l’a diabolisé, le faisant destituer de son titre et le faisant éjecter du palais afin que son fils prenne le rôle de son demi-frère. Je sais que le Roi a été désolé et dévasté par les faits présentés par la Salope et qu’il a été obligé d’agir de cette manière pour protéger son fils mais aussi l’intégrité du royaume. Je comprends mieux pourquoi il vit dans le quartier d’Afrocent : c’est le quartier le plus éloigné du palais royal et donc celui où on s’attendra le moins à le voir et où les médias n’iront pas lui causer de problèmes.
Je les hais. Tous autant qu’ils sont. Ils ne me connaissent pas et veulent me caser avec un homme prêt à tout pour rendre heureux sa mère sans écouter les avis qui me soutiennent et qui ne veulent pas de lui comme Roi. Je n’ai jamais fugué parce que je ne savais pas où je pourrais aller mais maintenant, je sais qu’il y a un endroit où je pourrais être acceptée telle que je suis, sans jugement et protégée des machinations de vieux bourgeois qui cherchent à approcher la perfection hiérarchique pour eux. Pour eux, avoir une fille qui a la possibilité de devenir Reine et de les faire entrer à la Cour est une opportunité inespérée. Je suis fatiguée de cette vie où tous les choix sont pris à ma place. Cependant, à travers la brume que j’ai formée dans mon cerveau afin de ne plus entendre Père divaguer contre moi, je comprends que le mariage a été décidé et que la date avait été fixée seulement quelques minutes avant mon arrivée. Le 1er avril. Voilà la date-butoir à laquelle ma vie deviendra le plus gros cauchemar que je n’ai jamais fait et vécu. Secrètement, j’espère que c’est une blague et que j’aurais réussi à éviter cette union d’ici-là…
Daniel me manque déjà. Je repense à notre baiser. Je l’ai tellement aimé et j’ai tellement envie de le reproduire, encore et encore. Je dois avoir les yeux flous à force de rêvasser car Mère stoppe mon père dans son délire rétrograde et inutilement méchant et me dis d’aller me reposer. Père n’est pas d’accord :
« -Elle a eu quatre jours pour se reposer ! Elle reste avec nous !
- Père, laisse-la aller se reposer, elle va s’évanouir à force de rester debout. Avez-vous vu dans quel état elle est ?, intervient doucement Lucas.
- Je suis presque certain qu’il ne s’agit là que d’une excuse qu’elle a manigancée pour échapper à ce qui l’attend !
- Et qu’est-ce qui l’attend ?, demande le Roi, manifestement mécontent de la menace qui a transpercé les propos de père.
- Juste une petite correction, Majesté, rien de bien grave, rassure le salop.
- Allons, très cher, n’intervenons pas là-dedans, cela ne nous concerne en rien, coupe la Salope quand le Roi veut répliquer.
- Oh que si que tout cela nous concerne ! On parle de ma future belle-fille ici ! Si j’apprends que vous la maltraitez, vous allez passer un sale quart d’heure ! Est-ce bien compris de Villeneuve ?
- P… Parfaitement Votre Majesté, ploie mon père. Il ne lui arrivera jamais rien de grave car quelqu’un veillera sur elle en permanence.
- C’est hors de question !, intercédais-je. Il n’est pas question que vous m’enfermiez encore dans ma chambre ! Si vous ne voulez pas que je fasse quelque chose que vous regretteriez amèrement, vous allez arrêter de décider de ma vie sans me demander mon avis ! Je suis assez grande, mature et adulte que pour vous voir choisir à quoi va ressembler ma vie !
- Quel est ce ton, jeune fille ? Tu parles à ton père et à ton Roi !, répondis Mère, choquée de mes propos.
- Celui que j’utiliserai pour dire « Non » à cette union ignoble ! Je refuse d’épouser ce montre cruel, brutal et plus bête qu’un animal !, accusais-je en pointant du doigt Jean-Alexandre.
- Tu accuses mon fils d’être cruel, brutal et bête ? MON fils ? Fais très attention à toi, jeune fille ou tu finiras en prison avant la fin de la journée !, éructa la Seconde Reine qui se leva pour venir se planter devant moi et me dévisager avec son regard méchant de cochon.
- Je ne l’accuse pas, je ne fais que mettre en évidence les caractéristiques de ce soi-disant Prince. Après tout, c’est ce que plus de la moitié de la population du royaume dit. Tout le monde préfèrerait un autre Prince héritier !, lui répondis-je en la fixant droit dans les yeux.
- Il suffit ! Maintenant ! Ma femme, asseyez-vous et calmez-vous. Jeune fille, tu n’as plus le choix. Tu as eu le temps de refuser cette union pendant des mois et tu n’as rien dit. Il faudra que tu acceptes ta destinée. Tu dois épouser le prince héritier de notre beau royaume.
- Je n’ai rien dit ? Vous moquez-vous de moi, Votre Majesté ? J’ai protesté dès que l’idée de ce mariage a été émise mais personne ne m’a écoutée ! Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, je vais aller me reposer et demander à ce qu’un médecin examine mes blessures car il y a bien des blessures partout sur mon corps et elles me font souffrir. »
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