Chapitre 25
Je viens de perdre les eaux. Il se redresse, nous amène au bord du matelas et m’aide à me rhabiller. Il change son pantalon pendant que j’appelle les médecins. Ceux-ci arrivent rapidement et nous regardent un peu bizarrement à la vue du lit défait et de la tâche où on peut deviner un trou sec qui correspond à la forme des hanches de Daniel. Oups. Tant pis. Une contraction plus forte que celles que j’avais déjà eues. Elle me coupe le souffle par son intensité. Une chaise roulante arrive et nous partons vers la pièce médicalisée du palais.
Installée sur la table d’accouchement, le gynécologue m’annonce une relativement mauvaise nouvelle : le bébé est déjà trop avancé que pour faire une péridurale. Je vais devoir accoucher sans antidouleurs. Je ne suis pas très rassurée, surtout que le col n’est pas encore totalement ouvert. Mais bébé ne veut pas attendre et je le sens pousser pour sortir. Les contractions malheureusement n’accélèrent pas et ont même tendance à ralentir. Au bout de trois heures, je suis fatiguée, irritée et je casse les pieds de Daniel à force de jurer et de râler pour faire sortir mon petit diable. La douleur me coupe en deux, me déchire et me fait crier. Les contractions reprennent de plus belle, de plus en plus rapprochées et de plus en plus fortes. Le docteur Gyman revient et m’inspecte. Il sort sa main, souriant. Je suis assez dilatée et on va pouvoir sortir le bébé. Ça me rassure mais les convulsions ralentissent à nouveau. Noooon ! Sans contraction, ça va être plus difficile de le pousser en-dehors. Les médecins ne veulent pas forcer les choses et décident de les laisser revenir naturellement malgré nos insistances à Daniel et moi pour le faire venir plus vite.
Je perds patience, j’en ai marre ! Ça fait des heures que j’attends et que rien ne se passe ! Daniel essaye de me calmer et de me garder allongée mais je suis tellement remontée que je me lève quand même. Je tourne en rond et je sens le bébé pousser vers le bas. Je me sens me dilater pour laisser passer sa tête. J’ai mal, vraiment vraiment mal. Je rappelle les médecins qui paniquent en me voyant debout. Ils essayent de me forcer à m’allonger pourtant ils n’y parviennent pas. Je me sens mieux ainsi, je sens le nourrisson arriver et descendre et c’est tout ce que je veux après six heures de travail. Il arrive enfin ! La douleur me plie en deux. Je me penche et je me concentre sur ma respiration. Daniel pète une case, me porte sur la table juste au moment où la tête arrive. Il prend son temps pour arriver et à moitié couchée, j’ai l’impression que ça ralenti. Une contraction m’aide mais elle est n’est pas assez puissante. J’ai mal, ça ne va pas assez vite et je voudrais que ça soit déjà terminé. Je sens chaque putain de millimètre qui passe. Je pousse aussi fort que possible, à chaque contraction malgré ça, il me faut vingt minutes pour faire sortir la tête. Les épaules sont une vraie torture et me prennent plus d’une demi-heure. Depuis quand un accouchement dure aussi longtemps ?
Enfin, les parties les plus difficiles sont dépassées. Le gynécologue tire doucement mon enfant hors de moi et, enroulé dans une serviette chaude, me le pose sur ma poitrine. Ou plutôt LA pose. Il propose à l’heureux papa de couper le cordon ombilical qui s’évanouit à ce moment-là. Je le regarde tomber au ralenti et éclate de rire, même si je compatis à sa pauvre tête qui a frappé le sol de plein fouet. Le docteur Gyman le ranime avant de lui proposer à nouveau de faire la coupe. Il secoue la tête pour refuser, se lève difficilement et regarde notre enfant, éberlué. Je ris et je pleure en même temps de voir son expression, de soulagement de la souffrance et de bonheur que représente l’événement. Notre petite fille braille dans mes bras. Une aide-soignante me la prend et je panique. Non ! Personne ne me prendra ma petite perle ! La Salope n’arrivera pas à me l’arracher ! Je veux crier mon désespoir mais Daniel me calme en me montrant du doigt qu’elles ne vont pas bien loin et pas bien longtemps, juste le temps de s’assurer que tout va bien, de la mesurer et de la peser avant de l’habiller et de me la rendre. Je suis aux anges une fois qu’elle est de retour à sa place, protégée par son papa et sa maman. Mon époux m’embrasse sur le front puis sur les lèvres en me remerciant de lui avoir fait un si beau cadeau d’anniversaire, même si celui-ci n’est que dans une semaine, date à laquelle elle aurait dû venir au monde.
Nous regagnons notre chambre, je prends une douche rapide et m’habille avant que Mère ne débarque pour savourer son bonheur d’être grand-mère. En me lavant, je me rends compte que nous n’avons même pas réfléchi à un prénom. Mais il n’y en a pas besoin. Elle s’appellera Julie, comme sa grand-mère paternelle. Quand je donne mon idée à Daniel, ses yeux s’embuent et il me prend dans ses bras. « C’est la deuxième meilleure nouvelle de cette journée ! », me dit-il en m’écrasant contre son torse. Je l’embrasse et lui rends son étreinte. Nous nous tournons ensuite vers le berceau où notre petite Julie dort à point fermé, collé l’un à l’autre et pensant à notre félicité.
La porte s’ouvre violement. Mère entre en criant, ce qui réveille notre bébé qui se met à pleurer de peur. Je la prends dans mes bras, cherchant à la réconforter puis me retourne vers ma mère et la fusille du regard. Elle s’arrête net, hésite puis s’approche doucement. Elle regarde l’enfant et se met à pleurer. Lucas entre à son tour et ferme la porte délicatement avant de s’approcher de nous. Je lui tends la petite fille à lui et non à Mère, ce qui la choque profondément. Elle s’énerve contre moi mais je justifie mon geste en proposant à mon frère de devenir son parrain. Les larmes lui montent aux yeux et il accepte avec joie. Daniel me regarde un peu bizarrement mais sourit, comme si c’était une évidence depuis l’instant où Julie est venue au monde. Celle-ci passe dans les bras de sa Mamy qui bave littéralement dessus. Elle fait un rapide comparatif entre elle et moi à ma naissance, vantant notre beauté et notre ressemblance. La seule différence qu’elle remarque est dans son tout petit bout de nez qui ressemble à celui de son père. Elle comme lui voudraient rester plus longtemps mais il est déjà tard et ils préfèrent rentrer à la maison et nous laisser nous reposer avant la très longue journée qui nous attend demain.
La nuit fut courte. Julie n’a dormi que deux fois trois petites heures et j’ai dormi encore moins qu’elle, passant mon temps à la regarder, au chaud dans l’étreinte de mon chéri. Lui par contre a fait une longue et bonne nuit. J’ai allaité pour la première fois, entre les deux sessions de sommeil de mon bébé. Quand vient l’heure de se lever, elle sourit et gigote en me voyant. Me reconnait-elle déjà ? Je lui souris en la prenant dans mes bras. Daniel se réveille quand je me rassieds sur le lit pour lui donner à manger. Elle me regarde de ses grands yeux bleu foncé et se met à téter avec insistance. Mon mari me prend contre lui et la regarde faire en souriant à son tour. Jusqu’à ce qu’elle ait fini, nous restons ainsi collés l’un à l’autre, souriant comme des idiots. Une fois rassasiée, elle se rendors et nous en profitons pour nous habiller. Nous demandons à ce que la presse soit réunie dans une heure afin d’annoncer la bonne nouvelle. Celle-ci accourt en moins de trente minutes, s’attendant à ce que nous allons dire. Julie bien coincée dans mes bras, nous descendons vers la salle du trône. Les flashs nous aveuglent et les voix sont trop nombreuses. Mon nourrisson se réveille et pleure, protestant contre tant de bruit. Le Roi utilise pour la première fois depuis longtemps sa grosse voix pour réclamer le silence qui s’abat directement dans la salle. La petite fille se tait aussi et regarde son papa avec de grands yeux étonnés. Je ris à la vue de son expression surprise. Je prends la main de mon mari et la serre doucement.
« - Mes amis, désolé de devoir vous imposer ainsi le silence mais vous l’avez réveillée alors qu’elle était si paisible.
- Votre Majesté ? Puis-je vous demander si la Reine a bel et bien accouché, comme le prétend la rumeur ?
- C’est exact. J’ai accouché hier soir d’une petite fille. Nous l’avons prénommée Julie, en hommage à sa grand-mère paternelle. Elle va merveilleusement bien.
- Et vous, Votre Majesté, comment allez-vous ? Il n’y a eu aucune complication, j’espère ?
- Le travail a été laborieux, comme tout mise au monde mais ça va, je n’ai pas beaucoup dormi mais le jeu en vaut la chandelle. Nous sommes très heureux.
- Toutes nos félicitations, Vos Majestés. Nous espérons que tout se passera bien pour vous trois. Et si vous avez besoin d’un coup de main, faites-nous signe, dit un journaliste en riant. »
Nous éclatons tous de rire, le remercions même si tout le monde sait que ça ne servira à rien vu la quantité de domestiques qui sont là pour nous aider. Puis nous remontons vers notre chambre. Je suis fatiguée et la petite recommence à pleurnicher. Son papa la prend dans ses bras et elle s’apaise directement. Je rouspète un peu, elle a déjà ses préférences et ce n’est pas pour moi. Rigolant, Daniel me prend dans son autre bras et me pose sur son épaule. J’éclate de rire aussi et je me cogne la tête au chambranle. Il redevient sérieux et panique un peu. Il pose Julie sur le lit et inspecte mon crâne sous toutes les coutures, cherchant une trace de coup mais ne trouve rien. Je le tranquillise en le rassurant, je ne sens déjà plus rien. Laissée seule, Julie se remet à pleurer pour attirer l’attention et se faire cajoler. Ça va être une longue journée…
Les semaines passent, Julie va bien, grandit mais dort peu et demande à manger deux à trois fois par nuit. Je ressemble à un zombie en manque de cerveau mais je ne veux pas déranger Mère, ni Lucas ni Daniel avec ça alors je retourne dans ma vieille chambre pour le laisser dormir un peu plus que moi. Il m’en veut un peu mais comprend ma décision. Les gouvernantes m’aident un maximum mais je ne les laisse pas faire grand-chose en plus que leurs occupations habituelles, soit m’apporter à manger quand je ne descends pas avec les autres, s’occuper de ma garde-robe et organiser le nettoyage et le rangement des appartements. À Noël, nous nous rendons tous les trois dans le centre-ville pour lancer les illuminations. La foule est nombreuse pour la première sortie de Julie qui n’aime pas trop le boucan créé par tous ces gens. Dans mes bras comme dans ceux de Daniel, elle n’arrête pas de pleurer. Je lui donne un peu de lait que j’ai tiré le matin même et que j’ai gardé au chaud dans le chauffe-biberon que Julien a gardé dans la voiture et elle s’apaise, enfin. Les expressions attendries apparaissent sur les visages des personnes présentes qui nous regardent plus que les lumières qui nous entourent. La fête démarre mais nous ne nous attardons pas, voulant profiter de notre réveillon ensemble, tranquillement installés dans notre chambre.
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