Confessions

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Le sang goutte doucement de sa lame et abondamment de la gorge de sa victime. Il a attaqué de front sans laisser le temps de comprendre à celui qui agonise à présent à ses pieds. Sous sa courte barbe blanche souillée de rouge il le voit esquisser un sourire moqueur alors que son regard se fait vitreux et qu'il cesse de respirer.

Aussitôt son dernier souffle rendu le grand miroir présent dans la chambre s'illumine, laissant apparaître à sa surface une version dix ans plus jeune de l'homme qui vient de mourir. À la grande surprise de son assassin, celle-ci semble s'adresser directement à lui.

- Bon, commençons tout de suite par le cliché : si tu me vois ainsi c'est que je suis mort et que tu es très probablement celui ou celle qui m'a tué. Partant de ce postulat laisse-moi te dire une chose : "Va te faire foutre !", sauf si tu m'as euthanasié mais me connaissant ça m'étonnerait. Je ne sais pas comment j'ai fini, ce qui est assez frustrant, mais ça le serait encore plus de laisser l'oeuvre de ma vie tomber dans l'oubli. Alors sois gentil, assieds-toi et ouvre grand tes oreilles ça va pas être triste.

Après un court instant de pause que, contrairement à ce qui avait été prévu, l'assassin n'utilisa pas pour s'assoir l'image reprit la parole.

- On va tout de suite passer mon enfance, elle n'a pas d'intérêt : gamin un peu plus intelligent que la moyenne et des parents d'un ennui et d'une banalité incroyables. J'étais remplis de rêve d'héroisme, d'aventure et de grandeur, je voulais devenir un guerrier de légende, un homme riche et puissant alors j'ai fait en sorte de m'y préparer et quand j'eus suffisament d'années et de fonds j'ai rejoint un petit groupe de baroudeurs qui battaient la campagne en rendant des services musclés contre recompenses dorées. C'était des types biens, un peu rustres mais je l'étais tout autant donc on s'est bien entendus. On faisait des petits boulots pour aider les gens, quelques bêtes sauvages, des bandits, des sorciers en cavale, un ou deux démonistes et le soir je brodais nos "exploits" pour en faire des légendes épiques, ça nous faisait beaucoup rire. Bref on n'était pas des légendes mais on faisait du bon boulot jusqu'au jour où sur une voie royale assez fréquentée un dragon nous est tombé dessus. Personne n'avait plus vu un de ces bestiaux depuis des siècles alors autant dire qu'on était pas plus prêt à ça que les marchands avec qui je tapais la causette la minute d'avant. Tout le monde a essayé de se trouver une cachette dans les fourrés en bordure de route sauf une poignée de gus qui semblait avoir vu déjà bien pire qu'un gros lézard volant. Et là mes habitudes de conteur mélangées au stress de la situation m'a fait raconter aux marchands qui étaient là que "mes hommes allaient s'occuper de la bête", j'en ai fait des caisses pendant que mes compagnons m'observaient sans comprendre ce que je déblatairais. Et apperemment j'ai été bon parce que cette bande de richards en panique a décidé de faire un don pour s'assurer de notre protection. J'ai failli m'évanouir devant la quantité de pognon qu'ils m'ont collée dans les pattes. Ensuite pendant que les véritables héros réglaient le cas du dragon on a filé le plus loin possible histoire de réaliser la fortune qu'on venait de récupérer. Pendant le partage, plus que l'or, ce qui m'obsédait c'était l'impact qu'avaient eu mes paroles : de l'or s'était mis à pleuvoir avec une histoire improvisée sous le coup du stress ! Jusqu'où pourrais-je aller en me préparant ? J'allais devenir un messager, j'allais aider les mortels à redresser le monde pour nous guider vers un avenir meilleur !

L'image dans le miroir s'interrompit un instant laissant ses mots se suspendre dans l'air.

- Honnêtement, j'étais crédible non ? reprit-il rapidement. À force de répéter les mêmes laïus c'est devenu une seconde nature : ce jour-là j'ai plutôt décidé de devenir un magnifique escroc. J'ai planté ma première graine quelques semaines plus tard pendant qu'on jouait les chaperons de luxe pour un groupe de gosses de riches en mal d'émotions fortes. Je leur ai servi une soupe à propos d'une organisation secrète chargée d'éliminer les groupes néfastes les plus dangereux de notre monde. Je demandais une donation et ils ont voulu s'engager ! Après tout pourquoi pas si je pouvais les ponctionner régulièrement ? J'ai continué avec la même recette puis mes "recrues" se sont également mis à recruter et tout s'est accéléré. C'est lorsqu'un de mes fidèles a été pendu pour avoir tué trois personnes qu'il avait jugées être "des menaces pour l'ordre du monde" que j'ai compris que j'avais un truc vraiment puissant entre les mains mais que je devrais le manier avec précaution. Il fallait que je leur donne des consignes claires et nettes et de quoi s'exprimer sinon ça allait me pêter au nez d'une façon ou d'une autre. C'est à ce moment là que les dieux m'ont sourit ou plutôt un truc qui ressemble à un dieu. Un de mes compagnons était, bien malgré lui, en lien avec une entitée extra-planaire puissante, rancunière et peu fréquentable. Ce truc avait repéré mon petit manège et mes motivations peu glorieuses alors elle m'a proposé un marché : mes "Enfants du Chaos", comme j'avais commencé à les appeler, tuaient ses ennemis dans notre monde et en échange il me donnait de quoi les tenir sagement. C'était tout bénef pour moi : mes fidèles avaient une cible et moi un allié puissant ô combien généreux avec ses amis : mes enfants étaient dangereux, grâce à lui ils sont devenus une armée implacable. Ses ennemis ont été décimés sans comprendre qui s'en prenait à eux et les Enfants du Chaos se sont imposés dans le monde souterrain. Pour leurs esprits ensorcelés ma parole était loi, ils tuaient et mourraient pour la "cause" sans réfléchir ou se plaindre, il fallait juste que je limite le recrutement pour que le charme reste efficace. Officielement je suis devenu un marchand avec une entreprise florissante, officieusement j'ai fondé un empire criminel secondé dans ma tâche par près d'un millier de fanatiques dévoués et dopés par un associé pseudo-divin avec qui je m'entends toujours aussi bien. Je n'ai aucune idée de l'étendue de ma fortune mais je suis mort comblé, ça j'en suis sûr. L'argent n'a pas fait mon bonheur mais cette sensation de manipuler l'esprit et la vie de d'autant de gens par mes paroles en revanche oui. C'était pas très moral mais j'ai donné une raison de vivre à tout un tas de gens. Maintenant pour toi, mon assassin qui sait mon plus grand secret, que les Enfants du Chaos qui vivent et meurent pour ce monde ne sont que les jouets d'une vaste escroquerie, mon dernier secret en date. Lorsque j'ai moi-même égorgé son tout dernier adversaire mortel, mon associé divin m'a fait un cadeau : un nouveau coeur. Si celui-ci n'est pas extrait de ma poitrine, quelles que soient mes blessures il me faut cinq minutes pour m'en remettre.

Les derniers mots échappent à l'assassin il ne perçoit que vaguement la douleur et les craquements de son crâne lorsque un chandelier le lui fracasse. Alors qu'il titube il sent sa mâchoire se briser sous un second coup, puis il chancèle et s'écroule.

- Comme quoi on ne change jamais, lâche sa "victime" en levant son arme improvisée pour l'achever, je suis toujours un peu rustre.

FIN

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