1.
Il était six heures du matin lorsque le commissaire Bergèse arriva sur les lieux du drame. Il avait été appelé en pleine nuit par le procureur de la République. Une affaire délicate : le suicide d’un « gros poisson » de la finance. L’enquête allait donc requérir un certain doigté et une observation minutieuse des précautions d’usage en ce genre de circonstance. Pour éviter les éclaboussures…
C’est au cœur même de ses appartements privés, au premier étage de son hôtel particulier de la rue de Longchamp, que le « gros poisson » s’était tiré une balle dans la tête avec un vieux mais rutilant Colt de collection - comme s’il avait voulu s’autoriser une ultime coquetterie - avant de s’effondrer sur son bureau « Empire » dans une mare de sang.
On n’avait encore touché à rien. Seul le photographe de la police judicaire avait commencé à mitrailler la scène. Pour le reste, on avait attendu l’arrivée du « grand chef ».
Lorsqu’il pénétra dans la pièce, le commissaire Bergèse eut un étrange pressentiment. Etait-ce la marqueterie du bureau maculée de cervelle ? Etait-ce la poudre du revolver ? Etait-ce le panier en osier du chien de la maison ? Il exhalait d’on ne sait où une odeur indéfinissable. Une odeur de culpabilité…
Sur le coin gauche du bureau, que rien d’autre n’encombrait d’une présence importune à l’œil de l’esthète maniaque que le maître des lieux avait la réputation d’avoir été – car à cette heure il n’était plus rien qu’un tas de chair inerte et sanguinolent -, une lettre manuscrite était posée en évidence comme pour être désignée par le simple fait de son incongruité. Ses feuillets étaient parfaitement disposés les uns sur les autres et pas une goutte de sang ne l’avait souillée. Ce détail l’intrigua et le commissaire se demanda si, en se suicidant, l’homme n’avait pas délibérément orienté son arme dans le sens le plus propice au ménagement de son intégrité.
Alors, il enfila une paire de gants d’examen et, après s’être assuré que le photographe avait pris suffisamment de clichés de la scène, il ramassa la lettre du bout des doigts et en commença la lecture…
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