Chapitre 10 : leçons de thé et de diplomatie - partie une

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Un frisson agréable parcourt mon corps lorsque je le plonge dans l'eau chaude de la baignoire. J’entends Judith et les autres femmes de chambre s’affairer de l’autre côté de la porte pour préparer mes vêtements, mais mes pensées reviennent au moment où le comte et moi sommes rentrés des mines.

  • Vous voilà enfin de retour ! s’exclame Élisabelle en entendant la double-porte d'entrée s’ouvrir.

Elle se fige en me découvrant couverte de sang et de poussière, le manteau déchiré de son ami m'enveloppant, tandis que ce dernier, presque aussi sale que moi, me porte dans ses bras en arborant une expression sombre.

  • Par Némésis ! Que vous est-il arrivé ? Est-ce que tout va bien, ma fille ? s'enquiert-elle avec inquiétude en passant son mouchoir finement brodé sur ma joue.
  • Oui, la rassuré-je en posant ma main sur la sienne, révélant inconsciemment la blessure que je me suis infligée quelques heures plus tôt.
  • Qui t’a fait ça ? me demande-t-elle d'une voix un peu plus angoissée en lançant un regard suspicieux au Comte Sanglant.
  • C'est moi, la détrompé-je aussitôt. Je me suis volontairement blessée afin de. . .

Je me tais soudainement en glissant un regard prudent en direction de mon porteur, craignant que rappeler le fait que j'avais nourri les mineurs avec mon propre sang ne le mette à nouveau hors de lui. Ce détail n'échappe pas à la baronne de Véresbaba, qui m'aide à descendre de ses bras en me disant d'une voix douce :

  • Viens avec moi. Je vais te raccompagner à tes appartements. Tes femmes de chambre vont te donner un bon bain et t'apporter une collation. Tu dormiras une fois que tu te seras restaurée, tu dois être épuisée. . . N'oublie juste pas de soigner cette vilaine griffure. . .

Je rouvre les yeux et les pose sur mon poignet. La blessure a cicatrisé avec le temps. Je la couvre de ma main. Ma marque s’active aussitôt, réchauffant mon corps et illuminant l'eau du bain. Quand je découvre mon poignet, il ne reste plus aucune trace du don de sang que j'ai fait aux esclaves. Je prends une profonde inspiration et me laisse glisser, immergeant mon corps entier dans l'eau chaude. Celle-ci est déjà troublée par la saleté et le sang recouvrant ma peau et mes cheveux, prenant une couleur gris-rosâtre. Je relâche lentement ma respiration, laissant des dizaines de bulles remonter à la surface. Je me sens si lasse. . . J'ai envie de dormir, de ne plus penser à rien. Pourtant, il faut bien que je trouve une façon d'aider les esclaves sans attiser la fureur de leur maître.

*

Je suis réveillée par la douce voix de Judith :

  • Madame ! Madame la comtesse !

Je m’étire longuement, puis me redresse dans mon lit en me frottant les yeux.

  • Bonsoir, Judith, lui dis-je d'une voix quelque peu endormie.
  • Euh. . . Il fait jour depuis plusieurs heures. . . répond-elle avec embarras.
  • Comment ? ! J'ai dormi plus d'une journée ? m’étonné-je.

Il est vrai que j'étais si épuisée par l’intense utilisation de mes pouvoirs que je me suis endormie aussitôt mon repas avalé, mais. . .

  • Je m’attendais à être réveillée pour le dîner. . . Étais-je si profondément endormie que je n'ai pas répondu à vos appels ?
  • Euh. . . À vrai dire, nous ne sommes pas venues vous réveiller pour le dîner. Nous n'avions pas le cœur à vous déranger durant votre sommeil et comme Monseigneur ne vous attendait pas pour manger. . .
  • C'est-à-dire ? lui demandé-je en levant un sourcil perplexe.
  • Il vous interdit de quitter vos appartements jusqu'à nouvel ordre, m’avoue-t-elle d'une petite voix en baissant la tête.

Je l'ai tant énervé qu'il ne peut plus supporter ma présence. . . Tant mieux. Je n'ai pas plus envie de le voir.

  • En revanche, Madame Élisabelle a annoncé qu'elle viendrait prendre le thé avec vous, poursuit-elle en relevant la tête.

Cette nouvelle suffit à me faire sourire. Je sors du lit pour permettre aux femmes de chambre de troquer ma chemise de nuit contre une robe bleu clair s’ouvrant sur une jupe blanche ornée de broderies argentées. Mes cheveux ondulés, simplement ornés par deux rubans turquoise, tombent librement dans mon dos.

En entrant dans le boudoir, je trouve des servantes en train de disposer un service à thé en porcelaine sur la table. Ce n'est qu'alors que je réalise pleinement combien mon sommeil a été long.

Je suis en train de parcourir les titres des livres mis à ma disposition, constatant par la même occasion que la plupart portent sur l’histoire de la civilisation vampire, lorsque la porte s’ouvre sur la baronne de Véresbaba, vêtue d'une splendide robe violette aux broderies représentant des fleurs blanches. Les deux chignons, retenus par des épingles dorées, que forment ses cheveux la rajeunissent. Elle m’aborde avec un sourire bienveillant :

  • Bonjour, ma fille ! Comment te sens-tu ? Tes femmes de chambre m'ont dit que tu avais dormi une bonne partie de la journée, aussi. . .
  • Oui, c'est vrai, mais ça m'a fait du bien.
  • Parfait, car ta prochaine leçon t'attend. Dis-moi, ajoute-t-elle en tirant un fauteuil pour s’asseoir, as-tu déjà pris le thé ?
  • Oui, un nombre incalculable de fois.
  • Ce n'est pas le fait que tu ais déjà bu du thé qui me préoccupe, mais la façon dont tu le bois. Les cérémonies du thé sont codifiées, dans la bonne société vampire.
  • Oh. . . Je ne me souviens pas qu’on m'ait enseigné une façon spéciale de boire le thé. . .
  • Cela ne fait rien. Je suis là pour t’apprendre. Commence par mettre les feuilles de thé dans la théière.

Je m'empare d'une cuillère au hasard, mais suis interrompue par le claquement de langue de la baronne :

  • Non, Aïna. Tu ne peux pas utiliser n’importe quelle cuillère. Prends la caddy spoon, celle en forme de coquillage.

Je m'empare de l'ustensile en or et approche ma main d'un des récipients.

  • Ce n'est pas la boîte de thé, mais le sucrier. La boîte est par ici.
  • Oh, désolée. . .

Elle me répond par un doux sourire indulgent et ajoute :

  • Trois cuillères de thé, seulement. Il faut toujours mettre une cuillère par tasse, en plus d'une pour la théière.

J’acquiesce et suis son instruction.

  • Bien. Verse l'eau chaude dessus, maintenant.

Je saisis la bouilloire et emplis la théière, puis replace le couvercle. Quatre minutes plus tard, je tends à Élisabelle sa tasse sur sa soucoupe. Je sais qu'il ne faut jamais laisser infuser plus de quatre minutes le thé, sous peine de libérer sa toxicité.

  • Ne donne jamais à quelqu'un sa tasse sans glisser un mouchoir sous sa soucoupe, me corrige-t-elle en désignant du menton le petit tas de tissus soigneusement pliés.

Je me rectifie en me mordant la lèvre inférieure. Je suis vraiment en train d’accumuler les erreurs. . .

J'ai à peine le temps de reposer les mains sur la théière qu'elle me dit :

  • Commence par le lait, Aïna, afin de ne pas abîmer la tasse. Elle est faite dans une porcelaine délicate et fragile, tu sais.
  • Oh, je suis désolée, m’excusé-je en saisissant un récipient empli du fameux liquide blanc.

Une fois sa tasse remplie, je lui demande :

  • Dois-je mettre du sucre dedans ?
  • Oui, s'il te plaît. Non, pas avec ta main. Sers-toi de cette petite pince.
  • Oh, pardon. . .

Je lui tends ensuite une cuillère pour qu'elle puisse mélanger et m’occupe de ma propre tasse. Je n'ajoute du lait que pour ne pas l’abîmer, car j'avais l'habitude de boire le thé nature, sur Gaïa. Ce n'est qu'une fois que je finis de me servir que la baronne de Véresbaba commence à boire.

  • Je suis désolée, lui dis-je d'une voix honteuse. J'ai vraiment été catastrophique. . .
  • Oh, tu m'as agréablement surprise en arrêtant toi-même l'infusion au bon moment, me rassure-t-elle.
  • C'est normal, nous avons une bonne connaissance des plantes, sur Gaïa. Ça n'a donc rien d’exceptionnel. . .
  • Écoute-moi, Aïna : il est normal que tu fasses des erreurs. Tu ne connais pas encore bien notre société et nos coutumes. Tu les découvres petit à petit et je suis ici pour t'apprendre à les assimiler.
  • Merci pour ta patience, lui adressé-je avec un sourire en prenant une gorgée de thé.
  • Le petit doigt de la main qui tient l’anse doit être levé, me corrige-t-elle à nouveau avec un sourire amusé, mais je t'en prie. Je vois que tu commences à faire preuve de bonne volonté. Cela me fait plaisir.

En entendant l’expression “bonne volonté”, je repense à celle dont a fait preuve le comte d’Abyssombre, la veille. J'ai toujours du mal à croire que le même homme qui m’a violentée le soir de notre prétendu mariage a sauvé tous ces esclaves et moi avec eux, de l'effondrement de la galerie. La voix soucieuse d’Élisabelle me tire de mes pensées :

  • Aïna ? Est-ce que tout va bien, ma fille ?
  • Oh, oui, c'est juste que. . .
  • Dis-moi tout, m’encourage-t-elle en m'offrant un sourire bienveillant.

Je le lui rends, puis lui explique :

  • Je ne sais plus quoi penser de Forlwey. . . J'étais persuadée qu'il n'était qu'un monstre sans coeur, mais ce qu'il a fait, hier matin, en nous sauvant tous des pierres qui menaçaient de nous écraser, m'a prouvé qu'il était capable de bien agir par lui-même.
  • Je t'avais bien dit que ton époux n'était pas dénué de coeur. C'est son éducation qui l'a rendu aussi. . . peu commode. . .
  • Comment ça ?
  • C'est vrai que je t'avais promis de te raconter comment nous étions devenus amis, me dit-elle avec un petit sourire, et pendant que nous boirons le thé, en plus. Je pense qu'il est grand temps de te raconter notre histoire. . .

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