Chapitre 11 : "Abyssombre en Marche !" - partie deux

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  • Si on apprenait que je dorlote mes esclaves. . . je serais la risée de la cour.
  • Vraiment ? m’étonné-je. On se moquerait de vous parce que vous avez amélioré la production des cristaux eyras qui sont nécessaires au développement du Royaume Submergé ? N’est-ce pas votre responsabilité de garantir la bonne marche des mines et des usines de traitement ?

J'ai décidément bien du mal à comprendre la société et la mentalité des vampires. Ils sont si complexes ! Le regard scrutateur de Forlwey n'arrange rien. Il augmente mon malaise.

  • Vous. . . n’avez pas tort, admet-il finalement, me redonnant espoir.
  • Si vos esclaves sont mieux formés, mieux protégés et mieux traités, je peux vous garantir qu’ils seront bien plus productifs. Et vos affaires ne s'en porteront que mieux, lui assuré-je avec un sourire confiant.
  • Admettons. . . je dis bien admettons que j’accepte d’implanter votre stratégie. . . Combien cela me coûterait ?

Je referme le rouleau pour lui en donner un autre. Il le déroule, parcourant rapidement des yeux les calculs que j'ai effectués dessus. En remarquant que son irritation ne fait qu'augmenter, je décide de lui épargner la peine de tout lire :

  • D’après mes calculs, en comptant les rénovations à effectuer et la mise en place de notre nouvelle politique de travail. . . Il faudrait investir environ trois millions d’inferis.
  • Trois millions d’inferis ? ! s’écrie-t-il. Mais c'est une fortu. . .
  • Inutile de jouer la comédie.

Je sais bien que son outrance est feinte pour m’imposer un prétexte afin de jeter mon projet aux oubliettes. Je me doutais qu'il réagirait de la sorte. Aussi, j'ai tout prévu :

  • Ce n'est même pas la moitié de ce que vous gagnez en un an. . . ou ne serait-ce qu’une fraction de votre fortune ! Même la parure que vous m’avez offert à nos fiançailles vaut dix fois cette somme ! Laïus me l’a confirmé !

Il serre les dents, vexé et frustré que j'ai déjoué son plan. Je poursuis mon explication en adoucissant ma voix, car je veux avant tout le convaincre d’accepter volontairement ce programme :

  • Bien sûr, l’investissement est conséquent à court terme. . . De plus, les effets de ces réformes ne commenceront vraiment à se faire sentir qu’au bout de deux ans. Mais je vous assure qu’ensuite, non seulement votre productivité grimpera en flèche, mais vos revenus suivront également. La seule chose qui baissera, ce seront vos dépenses.

Un long silence s'installe entre nous. Je soutiens sans sciller le regard écarlate du comte d’Abyssombre, qui semble réfléchir.

  • Vous savez vous montrer convaincante, reconnaît-il en posant le rouleau sur son lit. Toutefois, je ne peux m'empêcher de me demander si votre. . . tolérance envers les esclaves n'a pas un peu trop influencé vos réformes. Vous devez comprendre que mon domaine n’est pas une œuvre de charité. Au Royaume Submergé, un esclave qui n’est pas utile. . . n’a aucune valeur, si ce n’est pour amuser ses maîtres avec une mort divertissante. Alors si vous vous attendez à ce que je décide de gâter mes esclaves uniquement pour vous faire plaisir. . .

Son regard rouge est plongé dans le mien. C'est en le soutenant que je réponds :

  • Que ce soit bien clair : je hais et ne cautionnerai jamais l'esclavage ou la cruauté. Ce que j'ai vu dans vos mines. . .

Les images du sang et son odeur métallique affluent dans ma mémoire. Je revois la pâleur et la détresse des mineurs. Je repousse tant bien que mal la nausée qui me vient et continue :

  • C’est une vision d’horreur qui me hantera encore longtemps. Si je le pouvais, je libérerais sur le champ tous vos esclaves. . . mais je sais très bien que c’est impossible. Alors si je veux un tant soit peu alléger leur souffrance. . . j’ai besoin de vous. Et je sais pertinemment que vous ne m’aiderez que si vous y trouvez votre compte.

J'avance de quelques pas et ramasse délicatement le rouleau posé sur le lit. Je le serre contre moi, puis me tourne vers Forlwey en plaidant d'une voix douce :

  • J'ai passé toute la journée et presque toute la nuit à travailler sur ce programme. . . J’ai autant pris en compte les besoins des esclaves afin d’améliorer leur sort, que vos intérêts personnels pour vous convaincre de m’autoriser à le mettre en place. Ce plan. . . est bon, je vous le garantis. Alors je vous en prie. . . faites-moi confiance.

Je lâche ces derniers mots d'une voix suppliante, en mettant toute mon émotion dans le regard que je lui adresse. Je lui ai exposé tous les arguments que j'avais pour le convaincre, mais il a décelé mes véritables intentions et pourrait bien refuser mon programme par pur mépris envers ses esclaves. Alors, en désespoir de cause et pour mettre toutes les chances de mon côté, je tente d'éveiller la bonté et la compassion, qui, j’en suis persuadée, sommeillent au plus profond de son coeur. Mon attitude semble le déstabiliser, car il me fixe avec étonnement et un certain embarras. Je perçois même un léger frisson le long de son corps. Son regard écarlate quitte le mien pour descendre sur le rouleau que je tiens fermement serré contre moi. Ses mains viennent entourer les miennes avec une délicatesse qui me fait frémir. Sa peau est étonnamment douce et chaude. Je sens les battements de mon cœur s'affoler.

  • Vous êtes une fleur surprenante, princesse Aïna, murmure-t-il en effleurant doucement mon poignet.

Ma respiration se coupe d'elle-même. Cette soudaine proximité, cette surprenante douceur. . . Que lui arrive-t-il ? J'ai beau sonder son regard, je n'arrive pas à comprendre. Je n'ai jamais réussi à comprendre Forlwey, au final. . . Pourtant, plus le temps passe et plus je suis curieuse à son sujet. Il est bien plus complexe que je ne le pensais et je sens qu'il a encore bien des choses à me dévoiler. . .

  • Et vous, comte Forlwey ?

J'ai du mal à contenir les tremblements de ma voix.

  • Quel genre de fleur êtes-vous ?

Son regard se perd dans le lointain avant de se baisser. Il me regarde toujours, mais pas dans les yeux. Quelque chose d'autre sur mon visage semble avoir attiré son attention. Il se penche lentement sur moi. Les battements de mon cœur redoublent d'intensité. J'appréhende ce qu'il a l'intention de faire. Il s'écarte soudainement et ce n'est qu'alors que je retrouve mon souffle. Nous nous observons en silence pendant quelques secondes.

  • J'approuve votre plan, finit-il par dire. Il me paraît tout à fait pertinent.
  • M. . . Merci ! m’exclamé-je avec enthousiasme.

Je repousse les cheveux qui tombent sur mon visage en poursuivant :

  • Je vous assure que vous ne le regretterez pas !
  • Je l'espère, grommelle-t-il.

Il reprend ensuite d'une voix calme :

  • D’ailleurs à ce propos, Laïus m’a demandé si je pouvais assister à une réunion qu’il comptait organiser avec les principaux responsables de mon domaine. Je vais lui dire que vous me représenterez. Vous aurez ainsi l’occasion de leur expliquer votre projet en détails. . . Si cela vous convient bien sûr.

Mon sourire s'élargit.

  • J'en serais ravie, lui assuré-je.

Il esquisse un sourire de satisfaction. J'en déduis qu'il est content, peut-être même fier, de ma bonne volonté. Je suis ravie de constater que notre marché fonctionne encore mieux que prévu. Forlwey confirme mes pensées en proposant :

  • Que diriez-vous de trinquer ensemble ? Afin de fêter notre. . . partenariat ?

L'idée de trinquer avec lui me semble étrange, mais. . . Je crains de gâcher tous nos efforts en refusant, sans compter que c'est peut-être l'occasion de partager un bon moment et d'en savoir plus sur lui. J'accepte donc :

  • Je suppose que ça ne peut pas faire de mal.

Le comte d’Abyssombre se dirige aussitôt vers un grand meuble d’angle pour en sortir deux verres et une bouteille de vin. Il me surprend en remplissant les verres de lui-même. C'est la première fois que je le vois faire. Il m'en tend ensuite un. Je le prends et le remercie d'un geste de la tête.La douce odeur qui se dégage de mon verre me rassure : ce n'est pas un alcool fort. Tant mieux, car je tiens mal ces breuvages. Je n'en bois que rarement, lors des grandes occasions et ne dépasse jamais trois verres.

  • Vous n'avez pas peur que je vous empoisonne ? me demande Forlwey avec un sourire narquois.
  • Aucun risque, répondé-je sur le même ton. Vous ne m'avez pas sauvée la dernière fois pour me tuer maintenant.
  • C'est vrai.

Il lève son verre :

  • Aux esclaves. . . et à notre prospérité !

Je lui lance un regard surpris. Est-ce qu'il tient encore moins bien l'alcool que moi ? C'est impossible : je l’ai vu boire plusieurs verres à plusieurs reprises et il est resté parfaitement sobre à chaque fois. Comment expliquer qu'il boive à la santé des esclaves qu'il méprise tant ? Est-ce juste pour me faire plaisir ? Non plus : il a clairement dit que ce n'était pas son intention. Forlwey est décidément de plus en plus intriguant. . . Je cogne délicatement mon verre contre le sien en répétant :

  • Aux esclaves et à notre prospérité !

Nous buvons la première gorgée ensemble. Il me faut plusieurs secondes pour oser lui faire part du doute qui me hante depuis tout à l'heure :

  • Vous. . . Vous n'avez jamais su gérer un domaine, n'est-ce pas ?

C'est le moment où il a complimenté les schémas représentant l'évolution de ses pertes qui m'a mis la puce à l'oreille. Il me lance un regard ébahi, puis éclate de rire :

  • Mais qu'est-ce que vous racontez ? Bien sûr que je sais gérer mes affaires : après tout, c'est moi qui vient de vous engager, non ?

Je me mords les joues pour me retenir de rire, mais ne peux pas m'empêcher de sourire. Nous sursautons en entendant la porte s'ouvrir à la volée. La baronne de Véresbaba fait son entrée. Son ami grommelle :

  • Il faudrait vraiment que tu apprennes à frapper avant d'entrer dans mes appartements, Élisabelle. . .
  • J’apprendrais à me faire discrète quand tu penseras sérieusement à mes filleuls ! cingle-t-elle.

Elle s’immobilise soudain.

  • Oh. . . j'ai interrompu quelque chose ? demande-t-elle d'une voix bien plus douce en souriant.

Je suis son regard. Elle fixe nos verres de vin. Je pose ensuite les yeux sur Forlwey, confuse. Hormis une discussion qui commençait à devenir plaisante, elle n'a rien interrompu.

  • Nous parlions juste de la gestion du domaine, lui expliqué-je.

Un détail dans sa tirade retient mon attention :

  • Tu as des filleuls, Élisabelle ?

Je suis étonnée qu'elle ne m'ait encore jamais parlé d’eux. Ils doivent être tout à fait adorables !

  • Pas enco. . .
  • Que veux-tu, par Némésis ? ! la coupe vivement Forlwey, me faisait sursauter.

La jolie rousse, nullement déstabilisée par sa soudaine irritation, continue de nous fixer avec un intriguant sourire en coin.

  • J'avais justement à vous parler, tous les deux, finit-elle par répondre. Le bal de Sa Majesté est dans trois mois. . .
  • Qu'est-ce qu’un bal ? demandé-je, surprise.
  • Je t'expliquerai plus tard, ma fille. Je pense donc qu'il est grand temps pour Aïna d'apprendre à danser. . .
  • Oh, mais je sais danser ! m’exclamé-je avec enthousiasme. Sur Gaia, nous dansons souvent pour fêter les mariages ou le passage des saisons !
  • Pas ce genre de danses, ma fille. . . ! Le bal a ses propres coutumes et danses traditionnelles. Il te faudra bien sûr un cavalier, me dit-elle avec un ton malicieux.

Ce n'est cependant pas moi qu'elle regarde. Elle observe Forlwey d’un air sournois et il ne m'en faut pas plus pour comprendre. Je lui lance aussitôt un regard empli d'appréhension et de gêne. Je n’ose même pas nous imaginer danser ensemble, surtout en sachant que certaines danses réservées aux couples peuvent être extrêmement. . . intimes. Le sourire amusé du vampire s'efface quand il remarque qu'on le fixe.

  • Pourquoi est-ce que vous me regardez comme ça ? lâche-t-il avec agacement.

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