Chapitre 1
Je me baisse et évite de justesse une balle qui frôle le sommet de mon crâne. J'ai perdu mon poignard et je n'ai plus rien, si ce n'est mon poing, pour me défendre. Un Boombo s'avance vers moi, son fusil pointé sur mon cœur.
Réfléchis, bon sang, réfléchis ! Je n'ai plus qu'un dernier espoir : la feinte. Ces créatures sont programmées pour tuer tout ennemi, mais ils ne sont pas dotés d'une intelligence remarquable.
Au cœur de la ville, une énorme détonation retentit. Des projectiles fusent en tous sens et des cris de terreur de plus en plus nombreux se mêlent au brouhaha général.
Profitant du moment d'inattention de mon adversaire, je glisse sur le sol humide et dévie son arme vers le ciel au moment où celui-ci appuie sur la détente. Dans un bruit sonore, une balle vole droit dans les nuages avant de retomber bien plus loin. J'arrache le pistolet de ses sales pattes avec agilité et lui tire dessus sans une once d’hésitation. Il s'écroule au sol avant même de comprendre ce qui lui est arrivé.
Je fouille les poches de mon assaillant en espérant trouver de quoi manger ou, tout au plus, un peu d'argent. Sans résultat. Les dirigeants ne sont pas assez stupides pour donner des objets de valeur à leurs larbins. Je n'ai jamais trouvé quoi que ce soit dans leurs vêtements.
Les Boombos portent toujours des combinaisons noires moulantes et un masque sur le visage. Ce ne sont que de simples androïdes, mais ils demeurent tout de même très dangereux sans armes pour les contrer. Ce n'est pas la première fois que j'ai affaire à eux, et ce ne sera sûrement pas la dernière non plus.
Je me suis égratignée les cuisses sur le goudron. Ma plaie est légèrement saignante mais pas très douloureuse. Il pleut de plus en plus et je suis déjà trempée. Je suis juste en dehors de la ville, qui n'est pas du tout protégée. Aucun garde, aucun guerrier, personne. Un désert de cailloux s'éloigne à perte de vue.
Dois-je entrer dans la commune pour aider les citadins en détresse ? Une petite voix me crie de me précipiter et d'aller à leur rescousse, mais une autre, celle de la raison, affirme qu'il vaut mieux m'enfuir, pour sauver ma peau. Je sais que c'est égoïste mais ne pourrai rien faire, seule face à tous ces monstres.
Je me dépêche de me relever et prends mes jambes à mon cou. Je cours, encore et encore, pendant ce qui me semble être une éternité. Le ciel commence à s’assombrir. Je suffoque, je n'en peux plus. Je m'effondre au sol et me retourne sur le dos.
Un jour, je leur ferai payer le fardeau qui repose sur mes épaules. Il n'y a plus beaucoup de villages sereins désormais. Ma tâche s'avère bien plus ardue que je ne l'aurais pensée.
Après de longues minutes, reposée, ma respiration se fait plus régulière et je me relève douloureusement. Mes muscles souffrent le martyre. J'observe le paysage se dessiner face à moi. Non loin se trouve une petite clairière dont l'herbe fraîche ferait un lit plus ou moins confortable. Les derniers rayons du soleil transpercent le feuillage des grands pins majestueux dressés autour de moi.
Je pose mon sac à dos par terre avant de l'ouvrir. Il ne me reste plus un sou, plus une miette, plus une goutte d'eau. Il faut absolument que je trouve de quoi me ravitailler, et vite. Je sors la grande carte des Cités en essayant de me repérer. Après maintes réflexions, j'en déduis que je me trouve dans celle d'Eulésia. À vingt kilomètres de la frontière nord se situe une petite ville –Linia– dans laquelle je devrais pouvoir trouver de quoi manger gratuitement. La faim me tiraille l'estomac, je n'ai rien avalé de la journée et il me faut encore attendre le lendemain pour soulager mon estomac.
Il fait déjà nuit et je suis épuisée. Je m'allonge, glisse mon sac sous ma tête en guise d'oreiller et ferme les yeux en espérant m'endormir rapidement.
*
Lorsque j’émerge du sommeil, il fait encore nuit noire. Qu’est-ce qui a bien pu me réveiller ? Je ne me réveille jamais en pleine nuit. J’entends quelques bruissements derrière moi. Je me retourne en sursaut. Il doit s’agir d’insectes ou d’animaux nocturnes, rien de plus.
Mais un souvenir refait surface dans mes pensées. Non, il n’y a pas de quoi s’inquiéter, c’est impossible… n'est-ce pas ?
Certaines créatures, appelées les Roham, vivent de nuit et ne mangent que très rarement, car beaucoup des animaux dont ils se nourrissent sont en voie de disparition. À cause de ces stupides Boombos. Il y a eu trois attaques de Roham contre des humains dernièrement, et chacun d’entre ces hommes ont été retrouvés gisant dans une forêt. Mais ces bêtes ne vivent pas dans les cités centrales et demeurent en général au Sud-est du grand royaume. Et si les Roham se déplaçaient sur le territoire par manque de nourriture ? Un sentiment de terreur s’empare de moi. Après tout, cette hypothèse peut très bien s'avérer juste.
J’enfile mon sac sur le dos, le revolver dérobé un peu plus tôt dans la main. J’avance à tâtons, tentant tant bien que mal de me diriger vers l’arbre le plus proche. Je grimpe maladroitement dans les basses branches avant de monter le plus haut possible. En dessous de moi, j’entends des bruits de pas sur les quelques brindilles qui jonchent le sol. J’entre-aperçois un petit animal doté d’une épaisse fourrure, le museau allongé ainsi qu’une longue queue touffue. Un Crapis ?! Que fait-il là ? Mais c’est l’animal le plus inoffensif de tous ! Que je suis bête, pensé-je, confondre un Roham avec un Crapis… !
Je redescends de mon perchoir le plus vite possible, avant de m’avancer lentement vers l’animal, qui se laisse approcher sans broncher. Je glisse une main dans son doux pelage blanc. Il est tout maigrichon et il doit mourir de faim lui aussi. Il me mordille doucement le bout des doigts et pose le bout de son museau dans le creux de ma main.
-Viens par-là, chuchoté-je en le prenant dans mes bras.
Je décide de le mettre dans mon sac à dos, ne laissant que sa petite tête dépasser. Les premiers rayons du soleil commencent à poindre au loin. La fatigue a fini par me laisser un instant de répit.
Je me mets en route, marchant à une allure raisonnable. Les arbres et l’humidité laissent place à une étendue de champs, les mauvaises herbes constituant la grande majorité de la végétation. Un paysage magique s’offre à moi. Le soleil représente à mes yeux tout ce qu’il y a de plus grand, de plus majestueux.
Je sors ma boussole, vérifiant que je me dirige bien vers le nord, où se trouve la petite ville dans laquelle je souhaite me rendre. Je suis bien sur la bonne route. En espérant que les Boombo ne l’aient pas encore atteinte…
*
J’aperçois enfin les contours de Linia se dessiner à l’horizon. Je me sens terriblement mal. Mon ventre crie si fort famine que je ne parviens pas à diriger mes pensée vers autre chose. Je vais bientôt m’évanouir si mon estomac n’est pas satisfait. C’est mon cerveau qui me fait croire cela, il ne va rien m’arriver, il ne va rien m’arriver… Mes jambes ne m’obéissent que vaguement et je me rends compte que je me détourne de mon objectif par moments. Tout ceci a au moins un point positif : je suis sûre que l’on me donnera à manger si je tombe dans les pommes devant une auberge.
Malgré tout, je continue à avancer sans penser à ma douleur. Le petit crapis n’a pas bronché une seule fois depuis le début du voyage. Il faut dire qu’il est installé confortablement, dans mon sac.
La ville se rapproche de plus en plus de moi tandis que mes muscles m'abandonnent les uns après les autres, en dépit de ma détermination. Le paysage devient flou, comme un mirage. Je ne suis plus qu’à une centaine de mètres de cette fameuse ville. Seuls quelques passants arpentent les alentours de la petite commune.
Mes jambes se dérobent sous moi sans que je ne puisse rien faire pour les en empêcher. J'aperçois un homme se tourner vers moi, puis c’est le trou noir.
*
Des voix résonnent autour de moi sans que je ne parvienne à comprendre le sens de leurs paroles. Je tente d’ouvrir mes yeux mais les referme immédiatement, aveuglée par la lumière qui m’entoure.
-Elle est réveillée je crois, dit une voix d’homme.
-Vite, allez chercher de l’eau et de quoi manger pour cette pauvre enfant ! ajoute une vieille femme à l’adresse de sa servante. (Elle s’approche de mon lit et s’adresse à moi d’une voix délicate) Tu m’entends ?
Je hoche très légèrement la tête, trop fatiguée pour sortir le moindre son.
-Tu m’as l’air encore épuisée. Il faut absolument que tu t’engraisses, regarde-moi ça, tu as la peau sur les os ! continue-t-elle la mine sévère. Cassi arrive bientôt avec un plateau remplis de bonnes choses.
J’esquisse un pâle sourire avant de me forcer à ouvrir les yeux. Comme je l’avais prédit, c’est une vieille femme qui se trouve au-dessus de moi. Ses cheveux gris sont camouflés par un petit foulard, de grands yeux bleus m’observent et un mince sourire se dessine sur son visage.
Soudain, une pensée me fait paniquer et je retrouve l’usage de la parole.
-Où est mon sac ?! Et l'animal ?
Au moment où je prononce ces mots, une petite boule de poils me saute dessus.
-Ah ! Tu es là mon petit, m’exclamé-je en le gratouillant derrière les oreilles.
-Ne t’inquiète pas pour ton sac, nous n’y avons touché que pour en sortir ton animal. Tiens, il est là, me répond la dame en me tendant mon butin.
-Merci beaucoup, dis-je en lui souriant gentiment. Et, monsieur ? Qui êtes-vous ?
-Alwen. Je vous ai vu tomber dans les pommes aux abords de la ville, je vous ai donc transportée ici. Quel est votre nom ?
-Elia. Merci à vous. Enchantée de faire votre connaissance.
Il m’observe de ses yeux d’un gris-bleu glacial. Il a des cheveux châtains plutôt courts, un peu de barbe tout autour de la bouche, il est musclé, robuste avec un léger accent inidentifiable.
-De même, me répond-il.
Une jeune femme de taille moyenne entre dans la chambre, un plateau rempli de bonnes choses dans les bras. Voir tous ces petits pains, ce bol de chocolat chaud, ce jus de bomboille, et d’autres choses encore suffit à me mettre l’eau à la bouche. Mes yeux pétillent en voyant cette délicieuse nourriture.
-Bonjour ! me salut-elle.
-Bonjour, lui réponds-je, merci beaucoup de votre hospitalité.
-Mais je t‘en prie, c’est tout à fait normal, regarde-toi, tu es toute maigre ! Tu peux me tutoyer, je m’appelle Maria.
Où est donc cette Cassie donc m’a parlé la dame ? Mes lèvres s’étirent en un léger sourire.
-Merci beaucoup Maria.
La jeune servante dépose le plateau sur mes genoux et prend congé.
J'attrape le premier petit pain que je trouve et le fourre d’un seul coup dans ma bouche. Quel délice ! Les aliments s’engouffrent les uns après les autres dans mon estomac aussi rapidement que l’éclair.
-Tu devrais manger moins vite, tu vas t’étouffer, rit la vieille dame.
Comme pour confirmer ses dires, je me mets à tousser pour éjecter les miettes qui viennent de se coincer dans ma gorge.
-Je te l’avais dit ! renchérit-elle en me tendant une serviette.
Tout à coup, l’alarme communale retentit dans les rues, stridente. Tous les visages deviennent blêmes.
-TOUS AUX ABRIS !
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