Amnésie temporaire
Je me retrouve devant la feuille. Elle est blanche par endroits raréfiés, et noire tout au long. Noire d'encre, d'équations dont je dois impérativement venir à bout. Les nombres, naturels, complexes se mettent à esquisser quelques pas de danse qui, en un rien de temps, se retrouve endiablée. J'ai peur. Je me sens perdue. Je ne sais plus quoi faire. Ma tête bourdonne, susceptible de partir en éclats, alors que je prête subrepticement un regard hagard et apeuré aux autres qui gribouillent, leurs dos formant un angle inquiétant, leurs silhouettes avachies sur les tables. Ils font leurs exercices tout aussi naturellement que s'il s'agissait là d'un sujet de math abordable et aisé. Que m'arrive-t-il alors ? Je reporte mon attention sur la feuille, j'ai l'impression désagréable que mes yeux s'embuent, que ma vue s’embrume, à tel point que je n'arrive que très difficilement à distinguer les questions ; qui de surcroît me sont incompréhensibles comme une langue étrangère. J'ai beau les relire maintes fois, aucune idée lumineuse ne vient au sujet de leurs réponses, à croire que mon cerveau s'est catapulté des années-lumières en arrière, lorsque j'étais encore en primaire et que la seule chose mathématique dont j'étais capable était la soustraction et l'addition. Comment cela est-il possible ? Je me vois la veille révisant un cahier de math rouge, où se mêlaient des lois étranges, des nombres rocambolesques, des fonctions absurdes, cependant que je comprenais, que j'étudiais avec un état d'esprit clairvoyant. Que se passe-t-il à présent, là, dans cette salle d'examen où se sent l'horrible odeur de sueur, de stress et d'appréhension ? Que se passe-t-il ? J'ai envie de crier, de rappeler mes amis à l'aide pour qu'ils me confirment que je suis bel et bien moi, avec mes cheveux bruns ébouriffés, mes lunettes médicales et surtout mes capacités intellectuelles en maths. Néanmoins, ils ne me prêtent pas la moindre attention, mes regards fougueux les frôlent sans qu'ils en ressentent aucune décharge électrique ; ils continuent de déverser leurs savoir-faire aux creux des feuilles d’examen, noircissant à une vitesse ahurissante des pages comme j’aurai dû le faire.
La panique me gagne, me brûle, je pleure, à chaudes larmes, silencieusement, le front posé délibérément sur la table en bois brut, tout mon corps chauffé à blanc qui tremble, qui me pique. Je suis dans un état piteux. Je suis pire qu’un haillon. Je suis plus rien. Nul ne s’en rend compte, ils travaillent eux, usent leurs neurones à coups de pensées intelligentes, se massent les tempes pour mieux réfléchir, dans l’espoir d’avoir une bonne note. Mais ils ne voient nullement ma détresse, ni mes tremblements convulsifs, ni entendent mes reniflements. J’essaie de penser correctement, de savoir où est le problème. Mais la réponse tant désirée demeure accrochée dans l’air ambiant, comme si dans son voyage à me rejoindre, elle s’est retrouvée coincée dans les nombreuses toiles d’araignées qui ornent les encoignures. Fermant les yeux fortement, je respire, prends une indéniable bouffée d’air après avoir ouvert la fenêtre à côté de moi, je respire, le froid s’insinue dans mes poumons, revigore mes sens froissés par la chaleur, adoucit mes tremblements. Un rayon de soleil douceâtre et orangée vient caresser mon visage qui se fend d’une expression singulièrement apaisée et sereine ; passe ses doigts effilés et brûlant entre les brins de mes cheveux, me laisse pousser un soupir de contentement, puis se se saisit de ma nuque sur laquelle il trace quelques mouvements circulaires. Je me sens revivre sous le soleil.
Les idées se bousculent aussitôt dans ma tête, ma main prend naturellement le stylo qui tardait à me voir le toucher, inscrit quelques informations personnelles sur la feuille d’examen totalement vierge. Je vois clairement ce que les maths attendent de moi, ce que les nombres me soufflent comme indices, ce que la dérivée veut m’apporter comme aide. Le stress s’est considérablement diminué. Je renais de mes cendres.
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