Insolence d'esprit
Je regrette mon insolence qui n’avait blessé que moi, je regrette de m’être laissé aller à
écrire ce que je n’aurais pas dû, à imaginer ce que je ne vivrais jamais, ni de ma vie, ni de
ma mort. Je regrette cet instant de perdition qui m’avait inspiré une nouvelle d’amour et de
désir, ridigée en pensant ardemment à un garçon dont tomber amoureux est une fatalité, une
plaie sanglante. Je regrette cet été où j’ai cru, de ma conscience innocente, qu’une fille telle
que moi se trouverait héroïne d’un conte, désiré d’un faux bad boy qui ne me calcule même
pas. Je regrette mon insolence, une telle impolitesse envers mes principes, car m’aimer est
impossible : je suis indésirable.
Je le savais, j’en avais l’expérience, j’étais et je suis une fille invisible qui n’attire ni par la
beauté du visage, ni par celle de l’âme. Je suis cantonnée derrière ma citadelle de pierre,
comme cette princesse d’autant que le dragon, rugissant et bouillonnant de rage, protégeait ;
seulement nul ne tenait la moindte résolution pour me sauver. Je n’étais le fantasme de
personne. Pourquoi avais-je imaginé autant de scènes ridicules pour nous deux ? Pourquoi
m’étais-je permis de nourrir pour lui une admiration qui n’avait pas lieu d’être ? Il n’est pas
celui dont je dois tomber amoureuse contre toute attente, sans consulter ma raison, une
décision irréversible pourtant, je pensais à lui, tellement que j’ai fini par l’aimer, je crois. Je
ne sais plus, car qu’on aime, on ressent la douleur de l’abandon, de l’inexistence et ce sont
les sentiments qui me paralysent actuellement. Mais il ne m’a pas abandonnée étant donné
que il ne m’a même pas donné un semblant d’amour. Je suis invisble pour lui.
C’est, je me rends compte, la suite de ma routine concernant l’amour que je n’ai jamais
trouvé : je suis habituée depuis longtemps à aimer sans être aimée, à aimer pour être en fin
de compte rejetée car on trouve toujours meilleure que moi. Meilleure que moi, quelle
expression douloureuse qui est regorgée d’un amas de souvenirs abominables ! Meilleure
que moi est certainement l’expression qui me définit. Je déteste ces sensations, ces
pensées obscures, je voudrais bien avoir la joie de vivre, exister seulement pour l’élite de la
vie, la fleur des sentiments, mais la vérité me rattrape chaque fois que je me regarde dans la
glace, et vois ainsi ce que mon entourage doit supporter. Visage rubicond, joues gonflées
par une acnée rosâtre, dégoutante, nez proeminent, large et yeux fagotés de lunettes, le
seul atout que je possède étant malheureusement dissimulé. Comment ai-je pu songer,
aussi incrédule et ridicule, qu’il pourrait porter sur moi son regard de miel qui léchait avec
gourmandise les beautés ? Comment ai-je été aussi insolente envers lui, à l’imaginer
m’aimer, moi ?
Ce n’est pas seulement une question de beauté, de visage qui n’est point sublime, mais
aussi d’une âme que je trouve terne, sans éclat aucun si ce n’est celui d’un rire qui n’est
même pas séduisant. Ma personnalité dans son ensemble me déplait, mon caractère que je
ne cerne même pas me répugne ; je suis peureuse, craintive, oisillon que la gravité
engloutira seulement, tournoyant dans les airs vertigineux, comme je le fais, hagarde. Je n’ai
rien dont je puis compenser ma laideur car mon âme est démesurement laide. Pourtant,
rebelle que je suis, idiote que je suis, j’ai laissé libre court à mon imagination de le rêver, de
lui bâtir une histoire fantasque à mes côtés, à l’insu de laquelle on tomberait amoureux, on
s’aimerait le temps d’une année, le temps de ma première perdition insensée mais tellement
désirable. On s’aimerait car j’ai le mérite de vivre une histoire d’amour, peut-être une amourette de
jeunesse sans importance, cependant quelque chose dont je pourrais emplir le vide béat de ma
routine grise et nébuleuse.
Je me suis trompée, je me suis fourvoyée, mes espoirs se sont résolvées en déceptions
cuisantes qui, se succédant les unes après les autres, ont débordé ma bouche de mots. Je
regrette de l’avoir regardé autant de fois, de lui avoir soufflé silencieusement qu’il me
plaisait, que mon désir de lui était incommensurable. J’étais insolente d’avoir agi de cette
façon, d’avoir suivi des conseils de séduction qui, de toute manière, n’étaient réservées
qu’aux filles ayant déjà une bonne base, voire une beauté époustouflante. Je ne faisais pas
partie d’elles, je ne l’ai point séduit, j’ai seulement gonflé son égo. Il sait que j’en pince pour
lui, c’est inévitable. Je regrette d’être tombée aussi bas pour un garçon qui ne le mérite pas.
Je regrette d’avoir écrit une nouvelle qui portait sa personne comme personnage principale,
et d’avoir attisé par conséquent un désir de lui, infirme au début puis grossi indéniablement
par des espoirs, de multiples histoires puis finalement de foutus sentiments. Je regrette
d’avoir été insolente envers moi-même car lorsqu’on n’est pas beau, on ne désire point les
beautés.
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