Toi...Lui...Moi
Le temps a cavalé. Après des mois, précisément six, je me suis retrouvée avec une facilité presque aberrante. On ne dirait que j’ai aimé quelqu’un qui ne m’aimait point. Le temps guérit les blessures, et il a guéri les miennes en un tour de magie, en un tour d’amnésie.
Que dire si ce n’est qu’à présent je suis plutôt surprise en me remémorant mes états d’âme dont tu fus la cause principale, dans un temps qui me parut si loin. Pourtant, ce n’est que six mois plutôt que j’ai succombé aux espoirs fantaisistes de t’avoir près de moi. J’avais sauvagement, dangereusement nourri l’imagination qui te représentait comme ma première histoire, mon premier baiser, ma première perdition, ma première dose d’émotions, ma première fois.
Qui étais-je en ces moments-là pendant lesquels j’avais fermé mon esprit à toute tentative de raisonnement ? Qui étais-je à aimer une personne aussi peu aimable, si peu représentative des valeurs que j’affectionne, des principes que je cultive ? Je n’étais pas moi. Ce que je suis maintenant diffère amplement de cette version-là de moi.
Je me suis réveillée à la face du monde pour mieux sombrer, malheureusement. Après toi, il y a lui. Lui auquel je ne cesse de penser. Lui qui a, néanmoins, le mérite d’être ce que je préfère, ce qui m’attire en temps normal si ce n’est qu’il fut mon professeur, de cela seulement deux mois. Quel outrage de tomber amoureuse des mauvaises personnes ! Car j’estime assez logique le fait qu’il n’y ait pas d’histoire possible, saine, doucereuse, envisageable entre un élève et son enseignant. Quand bien même il put y avoir entre eux un semblant d’attirance réciproque.
Il y des limites à l’imagination. L’imaginer lui m’aimant moi dans une réalité qui ressemble à la notre, dans notre petite société, avec l’approbation de nos familles, est tout bonnement une blague, une raillerie, une pièce de théâtre. Il est des amours auxquels il est impératif de cesser d’y croire.
Et voilà que je tourne en rond, dans le même cadre affectif, commettant les mêmes erreurs avec ce même esprit récalcitrant à la raison, au bon sens, aux droites conduites. Changer de personne, mais ne pas changer de perspective n’y résout rien. Je suis toujours autant malheureuse d’évincer mon cerveau à coup d’imagination débordante, souffrant mon coeur des mêmes joies primitives qui ne voient jamais le jour.
Lui, c’est comme toi. Peut-être un peu plus distingué, plus intelligent, plus complaisant, et surtout plus âgé, beaucoup plus âgé. Mérite-il que je cours pour lui tous les risques ? Dois-je prendre les devants, lui montrer clairement ce que je veux, que je le veux, comme d’ailleurs je l’ai fait avec toi ?
Probablement, il y aurait une autre alternative. Je n’aimerai point accueillir un refus comme le tien.
Ou dois-je vraisemblablement me tenir à carreaux ? Apaiser mes tribulations ? Tuer mes excitations ? L’aimer dans le silence. L’aimer sans prévoyance. La question qui me taraude est celle-ci : que dirai-je de la fille que je suis à présent dans quelques mois, lorsque le temps aurait fait son travail d’amnésie ? Aurai-je encore à arroser cet amour silencieux ou bien froncerai-je les sourcils devant mon peu de convenance, mon peu de retenue ?
Telle est l’ultime interrogation. Si le temps suffit tant à effacer les remous de mon coeur et ses sentiments en quelques bruissements de sa cape, à qui appartiendrais-je ? Aurai-je un jour l’audace, la témérité de prendre en main mon destin, de suivre le coeur qui, quoique fabule et aime démesurément, ne peut se tromper ?
Mais il s’est trompé lourdement lorsqu’il a vibré pour toi, probablement pour lui aussi. Que faire de mes pensées qui virevoltent autour de lui, que faire de mes sentiments qui se déchirent pour lui, que faire de mon désir qui n’aura d’ultime ascension qu’en lui ? Que faire ? Comment agir ? De quelle façon s’y prendre et avec quoi ? Avec le coeur ou la raison ?
Annotations
Versions