Il était une fois...une rechute
Comment attendre de quelqu'un qu'il m'apprécie alors que je ne m'apprécie que si peu ? Ce n'est ni logique ni faisable. Et je viens de me rendre compte d'à quel point je nourris si peu d'admiration et d'estime pour ma pauvre personne. Cela m'étonne car j'ai tout pour être fière de ce que je suis à présent, de ce que j'ai accompli, de ce que j'ai démontré pour les autres, pour moi. Mais le mal est fait, on m'a jeté un sort maléfique, on m'a montée contre ma propre personne, on me détruit quotidiennement par le biais d'une haine viscérale que je ressens à mon égard. L'antidote ? Je le cherche encore. Mais on dit selon la légende que c'est l'amour de soi qui résout tout.
Je ne sais plus vraiment comment agir. Je me sens perdue la plupart du temps. Peut-être suis-je trop dure avec moi-même ? Nul ne saurait le dire car nul n'ait encore jamais pénétré mes pensées pour savoir de quoi je suis faite, de quel mal je suis en train de souffrir. C'est absurde, dit comme ça. Je souffre de maux alors que la vie à toujours été clémente avec ma personne. Il y a pire que ce que je vis intérieurement sauf que pour moi j'ai atteint le summum. Je n'arrive pas à mettre exactement les mots adéquats sur les blessures qui saignent en moi, mais je crois qu'enfin de compte, un seul mot, un unique pourrait en somme traduire ce désarroi qui me caractérise : pas de confiance.
Je n'ai jamais vraiment eu confiance ni en mes capacités ni en ce que je suis. J'ai l'impression désagréable, hautement insupportable, intensément douloureuse, que quoi que je fasse, les autres sont meilleurs que moi. Je me dénigre toujours. Je ne me suis jamais aimée. Jamais. Pas une seule fois. Ma mère m'aurait dit que je suis cupide, que je convoite toujours plus que je n'ai, ce qui fait par conséquent que j'ai tout le temps de quoi me plaindre comme si je suis atteinte de gloutonnerie de gloire. Je pense surtout que rien ne me plaît chez moi. Pas plus que ce visage inexpressif que l'acné à biné, pas plus que ce cerveau rempli de connaissances que je trimballe comme une arme, comme un trésor, pas plus que ce corps fin que nul n'a touché, que nul n'a désiré, pas plus que ces comportements d'une fille qui se croit drôle et séduisante, pas plus que ce naturel faux qu'elle pense maîtriser.
Où demeure le réel problème de mon manque de confiance, de ce déficit d'amour ? Pourquoi refusais-je de m'aimer, de voir en moi l'unique que je suis ? Je ne sais plus où j'en suis. J'ai perdu confiance depuis longtemps, j'ai laissé quelqu'un y contribuer particulièrement, deux ans de cela ; et à ce jour ça me hante encore, ça me griffe la peau, ça me blesse, en moi saigne une incommensurable blessure que le temps n'a pas réussi encore à fermer. Le processus de guérison a échoué. Je suis timide. Je suis introvertie. Je crains le jugement des gens, les avis qu'ils se font de ma personne. Parfois c'est tellement intense et incontrôlable que ça en devient pénible. J'ai toujours cette idée en moi, projetée par mon subconscient, que je ne suis pas assez bien, pas assez drôle, pas assez belle, que les gens avec qui j'essaie de nouer des relations me trouvent nulle et insignifiante. J'essaie alors d'être drôle, de m'investir dans des discussions qui ne me passionnent nullement alors que la seule chose que j'aurai voulu à ce moment aurait été de me plonger dans un livre. Mais faire cela, être naturelle devant ces personnes-là, allait me coûter cher. On allait encore me mépriser davantage. Je ne pouvais pas prendre le risque. Alors je refoule souvent mon vrai moi. Parfois c'est difficile et je ne m'y suis jamais habituée.
Pourtant, j'ai parlé à mon reflet devant la glace, j'ai exposé mes peurs démesurément absurdes, étalé mes craintes quotidiennes et viscérales, fait une liste de ce qui était beau chez moi et dont je devais être absolument fière, j'ai dressé un portrait séduisant de moi-même pour m'en souvenir lorsque je toucherai une nouvelle fois le fond. Cela ne servait généralement à rien quand mes démons s'en prenaient à moi, je demeurais fragile et soumise à leurs dénigrements. Je me laissais couler, je faisais de moi-même une naufrage alors que les bouées de sauvetages étaient partout autour de moi. Ces rechutes surviennent quand mes soeurs me critiquent violemment, touchent en moi des points sensibles, me miroitent le fait incontestable que je suis têtue et si peu conforme au moule de la société. Cependant, généralement, la cause n'est que le refus, l'abandon, le désintéressement, les insignifiantes attentions, de ceux que j'ai aimés et qui, pas une seule fois, n'ont été tentés par la personne que j'étais. Ça a commencé à quinze ans lorsque le garçon dont j'étais follement amoureuse m'a laissée tomber pour une amie par laquelle j'étais pas mal complexée. Ça continue encore, malheureusement, à dix-huit ans. Des refus suggesifs me brûlent, me font rechuter si bien que remonter la pente est souvent irréalisable. Nul n'est au courant de ce que je subis, de ce qui me blesse. Mes soeurs me diront que c'est idiot d'aimer à dix-huit ans. Mais je ne peux pas m'empêcher. C'est ironique : j'aime tellement les autres alors que si peu moi-même.
C'est par une nuit de fête que j'ai décidé d'écrire ce texte, par pure envie de mettre un mot sur mon ressenti du moment, je me suis habituée à cet échappatoire. Je l'ai vu. Ce garçon qui me plaisait tant et que je ne pourrais jamais avoir, auquel je ne pourrais jamais plaire. Je l'ai vu dans la foule, j'avais comme l'impression que nos regards se sont entrechoqués dans les lumières des feux d'artifice. J'avais cru que c'était lui. Ça l'était. Je ne l'ai su qu'enfin de soirée. J'en fus déprimée. Il savait que j'étais là. Il ne me regardait pas. Il ne me calculait pas. J'étais l'ombre si semblable à celles de ces arbres insignifiants qui se dressait autour de lui. Je n'existais pas pour lui. Probablement avait-il une autre fille en tête. Pourquoi moi d'ailleurs ? J'ai pourtant cru qu'on se plaisait à cette fête-là de mariage. Peut-être regardait-il une autre et moi, stupide que j'étais, j'ai pensé que j'étais la fille qui lui plaisait. Suis-je incapable de faire naître de si beaux sentiments en quelqu'un ? Je l'ai si peu prouvé, en fait jamais. Je ne me rappelle pas avoir vu un garçon tomber réellement pour moi. Il n'y avait que moi qui tombais pour eux, parfois littéralement.
Ça m'a déprimée. Ça a ravivé la blessure de non-confiance, du non-amour. Je me suis vue toute seule parce que je n'étais pas capable d'être une formidable personne dont on était susceptible de tomber amoureux. Il est parti. Pas une seule fois il avait jeté un regard vers moi. Comme un message tacite entre ceux qui se plaisent. Il est parti, emportant avec lui ma bonne humeur, charriant par son départ mes démons qui accouraient vers moi, heureux de faire les besognes pour lesquelles l'enfer les à payés.
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