Révolution Permanente
« Avec une fourchette aussi brillante, on peut facilement se croire riche.
— Si vous estimez la valeur de votre patrimoine à l’éclat de vos couverts, il n’est pas étonnant que vos entreprises sombrent à la moindre intempérie économique. »
Rires. Plusieurs femmes et hommes bien habillés mangent des mets à l’aspect succulent autour d’une table. Œufs d’estragon, foie gras, huîtres accompagnées d’un champagne bien frais, grands crus de bonne cuvées, sandwich graisseux de restauration rapide, un véritable carnaval de plats aux odeurs exquises se dresse face à la tablée. Et, bien entendu, cette dernière en profite allègrement :
« Dites donc Madame de Chantraine, nous vous entendons assez eu au sujet de vos dernières acquisitions.
— Oh, ce n’est que bien peu de chose voyez-vous. J’ai racheté deux anciens manoirs avec leurs domaines viticoles respectifs en Bourgogne. Cela permettra de relancer l’activité tout en me faisant une certaine notoriété chez les vignerons.
— Et vous êtes allées voir ces propriétés si durement acquises ?
— Bien sûr que non ! Et puis quoi encore ! Bientôt vous allez me demander si j’ai mis ma tête dans les grappes de raisins ou si j’ai écrasé les grains avec mes pieds. »
Le repas se termina sur un café commun. Tout le monde se décida ensuite à partir. Ils se levèrent, laissant la vaisselle salie sur la table, et prirent leurs manteaux en se dirigeant vers la porte de sortie. Celle-ci s’ouvrit à leur passage, mais pas de la manière attendue. En effet, une milice, armée jusqu’aux dents, entre dans la pièce et menace tout le beau monde :
« Mais quelle est donc cette diablerie.
— Tu la fermes et tu te fous sur le sol.
— Ce n’est pas des manières.
— Les vôtres non plus, alors vous allez au sol maintenant. »
Les convives s’allongent sans plus de protestations. Certains des intrus portent des banderoles sur lesquels sont inscrites : « Révolution Permanente ».
« Qu’est-ce que la révolution permanente ?
— C’est quand tes cheveux ne font que se rebiffer. »
Quelques personnes pouffèrent à cette remarque.
« Silence ! »
Un coup de fusil partit dans le plafond pour faire comprendre la menace.
« Bien. Nous nous sommes invités pour reprendre ce qui revient de droit au peuple. Donc toutes les propriétés inutiles que vous gardez pour votre propre plaisir vous allez les rendre gentiment. Chacun d’entre vous va signer un papier de cession. Vous garderez seulement une maison et une entreprise. Des questions ? »
— Si on refuse ? »
Nouveau coup de fusil.
« D’accord, c’est clair.
— C’est une prise d’otage !
— Exactement ! Mais ce ne sera que remboursement de toutes les personnes que vous avez affamées en prenant en otages nos biens. Alors, maintenant que nous avons les moyens de vous faire chanter, vous la fermez et vous signez ce papier, sales rats. »
Les otages s’exécutèrent, non sans rechignement. Les maîtres chanteurs se détendirent une fois que tout le monde eut signé.
« Merci de votre implication. Vous avez fait un grand geste en rendant au peuple ce qui appartient au peuple. N’essayez pas de convaincre la justice, car la justice, c’est nous ».
La milice repartit au pas, sans crainte de rébellion. Elle avait obtenu ce qu’elle souhaitait. Seuls les convives semblaient remontés.
« Tout de même, nous n’étions pas si riches !
— Il y a des problèmes bien plus urgents dans le monde !
— Nous fournissions du travail à tous !
— Si nous, gens de bonnes foi, étions responsables de tous ces maux sociaux, alors autant penser qu’un rat vaut un chat ! »
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