II

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Le temps passe douloureusement et pèse sur le moral des troupes. Le souverain, retenu momentanément par sa décision, préfère attendre les renforts avant de lancer la moindre contre-attaque. Sur les conseils de ses compagnons, il choisit d’attendre encore quelques instants. Ses yeux fixent la vigie et en se détachant involontairement du bruit ambiant, le souverain prie pour que Ewan revienne au plus tôt. Ses mains se crispent, ses mâchoires se raffermissent et Orphée s’impatiente. L’animal piétine devant la porte, gratte la terre battue jusqu’à découvrir la terre meuble qui se trouve en dessous. Les forces du château, déclinent avec une rapidité croissante.

Lorsqu’à l’horizon, se profilent les silhouettes des soldats de la Vallée des Larmes, la vigie se met à crier comme un damné. Gorneval sent en lui monter une joie incommensurable. Son imagination débridée, transforme la horde de cavaliers en armures sombres, en une vague romantique de justiciers pacificateurs. Alors, quand il entend le galop de ses hommes à l’extérieur de l’enceinte, il s’apprête à ordonner qu’on lui ouvre la grande porte d’entrée. Mais au moment même où sa gorge expulse l’ordre, la porte cède et une vague colossale d’hommes au même visage pétrifié de colère et de haine, déferle sur lui et ses condisciples. Le Roi à tout juste le temps de dégainer avant qu’arrive sur lui le premier guerrier. Sans heaume, il affronte l’ennemi avec une volonté trempée. Les fantassins qui s’agglutinent autour du groupe de cavalier sont rapidement réduits à néant. Leur faible connaissance apparente des tactiques de la guerre laisse à penser que l’armée de Gwendal n’est plus aussi performante que par le passé. Un nouveau groupe d’hommes hésite à pénétrer dans le petit château alors que sur fond de ciel mordoré, les cavaliers de Gorneval se battent avec leurs tripes pour défendre droits et territoire.

Le souverain suivit de ses plus proches sujets, se jette à son tour dans la bataille. L’accompagnant fièrement, Audret, Emilie et Wilfried retrouvent un peu de leur unité perdue. Au milieu de l’abominable charnier, les quatre amis usent d’une entente franche et parfaite. Le cœur du souverain bondit sous ses cotes tuméfiées par la répétition des coups qui s’échouent sur son armure. Mais même la modeste douleur qui lui parcourt le corps ne peut rien face à la joie déferlante qui envahit son esprit. La sensation de retrouver ceux qu’il aimait n’a pas de prix. C’est fort de ce nouvel élan, que le maître des lieux redouble d’adresse et de force pour combattre. Le petit groupe s’inscrit bientôt dans la masse la plus compacte de fantassins qui soient présents sur le champ de bataille. Leur agressivité va croissante mais les renforts de la Vallée des Larmes ont tôt fait de diluer la charge qui incombait au groupe de Gorneval. Se faisant, la supériorité numérique lui revient de fait. Les hommes de traits, dominés par une centaine de cavaliers, s’épuisent rapidement et la retraite devient l’ultime espoir des derniers soldats en état de combattre. Le maître d’armes, décidé à ce que la première victoire de son élève soit un succès éclatant, ne laisse de chance à aucun survivant. Il donne l’ordre de tuer tous les prisonniers et de ne laisser l’occasion à quiconque de pouvoir s’en aller vivant. La rage de ses sujets est telle qu’i il ne subsiste très vite, plus aucun ennemi debout.


Au cœur des volutes d’une brume naissante, les survivants de la petite guerre de la Vallée des Larmes, reprennent leurs esprits. Les visages deviennent moins graves et les regards gagnent en soulagement ce qu’ils perdent en clarté. La terrible chape d’angoisse qui était tombée sur la vallée, disparaît avec les dernières traces de vie dans les corps mutilés des soldats de Gwendal. Gorneval pleure silencieusement les vies de tous ces gens pour qui il n’avait pas d’animosité particulière mais qu’il a fallu qu’il tue pour se défendre. Il se tourne vivement vers Périnis et tente de trouver dans son regard, la réponse qu’il cherche avec tant d’application. Mais le guerrier ne peut aider son fils spirituel. Il renonce à prononcer le moindre mot de réconfort, en espérant que la blessure que laissera ce renoncement, fasse partie de celles qui transformeront son caractère. Il tire sur les rênes de sa monture pour rejoindre le château. Emilie, Wilfried et Guènelon le suivent. Seul Audret reste un instant aux cotés de son ami. Aucun mot ne transpire des épaisses cuirasses des deux compagnons. Le silence remplit bien assez leurs esprits pour qu’ils ne tentent de le chasser. La paix qu’ils tentent d’y trouver ne souffrirait d’aucune vaine parole. Ce qu’ils échangent à la place des mots, remplace amplement tout le réconfort du monde.

Gorneval, en levant le visage vers le ciel, voit les toits de ses appartements partir en fumée. De longues flammes d’un rouge vif, s’élèvent en direction d’un ciel anthracite et gagnent, le long des poivrières, les toits de la salle du trône. Son sang de fait qu’un tour lorsqu’il aperçoit le feu consumer ce qu’il a de plus cher après son amour. Il lance Orphée dans la petite cour du château et glisse le long de ses flancs pour bondir à nouveau entre les parois étroites de la forteresse. Les cris suraigus de Périnis et de Guènelon ne suffiront pas pour ramener leur protégé à la raison ; ce dernier, sent les flammes de l’enfer, lécher les cotes de son armure de combat et embraser les armatures de son bouclier de Roi. Quatre à quatre, il grimpe les escaliers, croisant parfois des sujets criant comme des damnés et fuyant la source de flammes. Mais le Roi ne renonce pas. Plus il monte, plus la chaleur devient intense. La lueur du foyer jette bientôt les ombres de sa vie sur le visage livide du souverain. Derrière lui, Guènelon, parti à sa recherche. Sa voix monte le long des rampes comme un appel désespéré à une raison à laquelle il n’entend plus rien. Une seconde suffit au jeune homme pour comprendre qu’il ne pourra aller plus loin si son protecteur le rejoint. C’est ainsi qu’il se décide à s’engouffrer entre les griffes du démon, déchaînant les éléments contre lui. Ce dernier ouvre une sorte de petite brèche entre les silhouettes tortueuses des flammes jaunes qui se referment derrière lui comme deux langues de feu, jaillissant des entrailles de la terre et enfournent le corps étincelant du jeune prince Ogrin. Guènelon n’arrive qu’après que ce dernier ne se soit totalement dissimulé derrière le rideau de feu. Son regard tente de traverser le mur de lumière mais n’y parvient pas. Tout son être tressaille lorsqu’une partie de la charpente s’écroule à quelques mètres devant lui dans un fracas épouvantable. La retraite de son protégé se fait de plus en plus délicate. La position qu’il tient est elle-même menacée par l’effondrement d’une deuxième partie de la charpente et le preux hésite. Plonger dans le brasier ne lui assurant pas un retour avec le jeune Roi, le chevalier préfère préparer la retraite de ce dernier. Il dégaine son arme et tente de déblayer de sa lame, les quelques débris enflammés qui jonchent le sol. Il parvient à déplacer le plus gros, mais une grosse poutre reste l’obstacle le plus difficile à déplacer. Il paraît rapidement évident que cette pièce de la toiture ne pourra être bougée. L’atmosphère se faisant de plus en plus irrespirable, Guènelon décide d’abandonner sa position en laissant à son Dieu le soin de ramener son protégé à bon port.

Les tourments sonores de ses poumons dans la fumée devenue épaisse du petit vestibule des appartements du Roi, précèdent les éructations saccadées de Gorneval. Ce dernier, fébrilement tente d’arracher aux flammes, les principales parties de son armure et son bouclier. Aveuglé par les fumées, il détache rapidement sa cuirasse bouillonnante ainsi que son heaume, ses épaulières et coudières, brassards, braconnière et sa cote de maille, ainsi que quelques autres accessoires qu’il ne peut identifier tant ils sont chauds. Pris au piège des flammes et menacé par l’effondrement imminent des dernières poutres de la toiture, il prend pourtant le temps de réfléchir. Il se sert d’un grand drap blanc pour porter son armure et use de la plane de son bouclier pour supporter le tout. Les bras chargés exagérément par son trésor, le jeune garçon sort en courant de sa chambre pour se retrouver face-à-face avec cette même poutre que Guènelon n’avait pu déplacer avant lui. Le regard du jeune homme se porte sur l’issue et voit son protecteur s’enfuir face à la présence suffocante de la fumée environnante. Gorneval prend une longue respiration saccadée pour tenter de subir un peu moins violemment les spasmes de ses poumons encrassés et se met dans l’idée de sauter par-dessus la poutre, son armure aux bras. Il prend son élan, mais au moment de bondir, le souverain s’aperçoit de l’impossibilité de soulever l’armure avec lui. Le temps presse et les flammes envahissent avec une ardeur toujours croissante, le modeste vestibule. Entre les volutes de feu émanant de la poutre qui lui barre le passage, le jeune homme lance la besace improvisée chargée de son trésor d’enfant. L’armure se fracasse de l’autre coté de l’obstacle, accompagnée d’un bruit métallique cristallin, qui se fait absorber par les craquements incessants de la charpente de bois qui s’effondre par lambeaux incandescents. Le souverain s’élance aussitôt et traverse le mur de feu avec une puissance phénoménale. Les serres de la nuit qui brille de tout son être au milieu de la pièce tente de retenir le corps puissant du garçon sans y parvenir. Les mèches enflammées qui s’étaient déposées sur son armure légère, s’essoufflent puis s’éteignent en laissant échapper de leur corps noircit, un filet de brume torsadé. Alors, reprenant aussitôt le fil de sa manœuvre, Gorneval se saisit de son paquet et s’enfuit en laissant traîner derrière lui, les traces de son passage.


Arrivé aux pieds des escaliers, le souverain, les poumons irrités lui déchirant la poitrine, tombe à genoux et sa besace chargée ainsi que son bouclier, lui échappent. Il porte les mains à sa gorge, siège d’une douleur insoutenable. Il a du mal à retrouver sa respiration et ses genoux ne peuvent le soutenir plus longtemps. Ses éructations bruyantes alertent sa garde qui accourt aussitôt. Périnis est le premier à trouver le corps recroquevillé de son maître. Le visage écarlate, ce dernier crache tant qu’il peut pour chasser de cette gorge enflammée, les résidus de ce qu’il croit le faire souffrir. Mais la douleur ne s’estompe pas pour autant. Le maître d’armes se saisit du corps tétanisé de Gorneval et l’éloigne de la colonne d’escaliers avec l’aide de Guènelon. Le jeune homme débarrassé des fumées toxiques, parvient à reprendre lentement connaissance. La couleur de son visage devient à nouveau acceptable et Périnis sent une onde de soulagement lui parcourir le corps. Les larmes aux yeux, le jeune Roi sourit timidement. Le maître d’armes qui le tient dans ses bras n’ose pas sourire à son tour mais la joie que lui inspire cette frayeur passée, force les portes de ses lèvres qui se soulèvent pour dessiner un sourire franc et éclatant.

“ Je n’aurais laissé pour rien au monde, les flammes emporter mon armure ”

“ La prudence aurait voulu que vous attendiez la fin de l’incendie ”

“ Les charpentes s’effondrent, qu’aurais-je retrouvé de mon habit de combat au milieu des gravats et des lourdes poutres de bois ? ”

“ Sans doute rien, mais vous avez mis votre vie en danger pour une armure ! Le jeu en valait-il la chandelle ? ”

“ L’armure d’un Roi vaut toutes les peines du monde pour celui qui s’est battu pour imposer son rang ! ”

Périnis regarde les yeux de son protégé qui vient de comprendre que son maître d’arme ne saurait rien répondre à cette dernière injonction. Un nouveau sourire soulève la commissure des lèvres de ce dernier. – Est-il possible que je me sois trompé sur son compte et qu’il puisse devenir un aussi puissant Roi que Dinas ? –

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