La Saint-Valentin
C'est début février, il reste une semaine avant la Saint-Valentin. Cette fête est un immanquable des shojos* : les filles offrent des chocolats au garçon qu'elles aiment. En général, c'est le beau gosse qui est soit complètement inconscient de sa beauté, soit celui qui en joue trop. Avant de partir, je m'imaginais être celle qui cache ses chocolats dans son casier de façon anonyme.
En vrai, il n'y a ni casiers, ni garçon à qui je veux en offrir. Désillusion.
Dans ma classe, on est une quinzaine. C'est très peu. Et sur ces quinze élèves, trois garçons timides, en pleine puberté, nagent dans une marée de filles extraverties (le genre qui répètent les chorégraphies J-Pop pendant les pauses).
Ca fait six mois que je suis arrivée mais je ne les connais pas vraiment. Je pense que je les intimide. C'est pas leur faute, je cumule les bizarreries : je suis environ trois ans plus âgée, je suis étrangère, mon japonais n'est pas excellent quoique je me débrouille plutôt bien maintenant, et je suis une fille... Peut-être ce dernier détail est-il suffisant, ils ne se montrent pas non plus très loquaces avec lesdites filles fan de chorés.
Bref. Je partage certains cours avec d'autres classes, comme celui de Calligraphie. C'est en fait ici que commence cette anecdote.
Il y a deux garçons, le premier s'appelle Shinra. Il est plutôt du genre trapu, le front barré d'une mèche noire. L'autre, j'ai oublié son nom. Il est tout élancé comme un fil de fer avec le crâne rasé. Aucun des deux n'est l'apollon vendu par les shojos.
Il reste donc une semaine avant la Saint-Valentin ("Balentaïne Dèè" pour les intimes) et je mange mon bento en classe avec mes amies. A travers la porte vitrée, je remarque Shinra et Fil de Fer en plein débat. Je vois qu'ils voient que je les ai vus. Ils recommencent à discuter mais cette fois, ça a l'air plus pressant. Presque nerveux.
Ils me jettent un dernier regard... et commencent un janken (un pierre-papier-ciseau). J'ai un mauvais pressentiment.
Ils font soudain glisser la porte et déboulent ensemble dans la classe. Je ne sais pas qui a gagné ou perdu. Le résultat est le même : ils se postent devant mon banc individuel, les bras croisés, les jambes écartées. C'est plutôt intimidant.
Aucun des deux ne parle, ils semblent hésiter. C'est... bizarre ?
Puis, tout à coup, Shinra me demande :
– Tu préfères en anglais ou en japonais ?
En japonais, ça devrait le faire.
Il a l'air soulagé. Il continue :
– Tu connais la Saint-Valentin ?
Euh. Oui.
Ils échangent un regard entendu. Je crois que l'interrogatoire va dans la bonne direction. Puis, il m'annonce avec force :
– On veut du chocolat belge.
Ah. Ben j'en ai pas. Enfin, j'en ai plus. Après six mois, mes réserves, elles sont épuisées !
Un silence s'ensuit. Personne ne sait trop quoi faire.
Finalement, ils repartent sans un mot.
Et moi, je me demande encore ce qui vient de m'arriver.
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