Chapitre 6: Troubles
Quelques temps plus tard, Bragg finissait par me convaincre...
Ce ne fut pas facile, mais je décidais d’accepter la proposition de Thraän. Il était temps de montrer aux hommes de quoi les femmes de ce royaume étaient capables.
Le rendez-vous est fixé. Je rejoins le camp d’entraînement où sont entraînés les futurs soldats de l’armée de Nosfuria.
Ils sont des dizaines et dizaines, tous aussi jeunes les uns que les autres. J’ai l’impression d’être face à des enfants. Je les observe au loin tout en rejoignant le groupe de Thraän et les autres seigneurs.
Je les salue.
— Merci d’être venu ! me dit le Général.
J’esquisse un petit sourire.
— Je t’ai dit que j’allais y réfléchir et c’est chose faite, mais j’ai une question…
— Je t’écoute !
— Et si ton merveilleux plan ne marchait pas comme prévu ?
— Que veux-tu dire ?
— Allons Thraän… tu sais très bien que les femmes ont toujours été les dernières roues du carrosse de ce royaume… et si ma présence aujourd’hui ne changeait en rien les choses ?
— Alors au moins, nous aurons essayé… me dit-il sûr de lui.
Je ne suis vraiment pas convaincue par son discours mais puisque je n’ai rien à perdre dans cette histoire pourquoi ne pas tenter le coup ?
— Hum…très bien ! Et maintenant ?
— Suis moi !
Nous abordons le premier rang. A notre passage, les recrues de Thraän se mettent au garde à vous. Mais très vite les mauvaises manières ont repris le dessus…
Alors que nous arrivons à l’autre bout de la file, une voix retentit dans le groupe, suivie de quelques éclats de rire : « Héhé ! Regardez les gars, nous avons une admiratrice aujourd’hui ! »
Thraän et moi, nous nous arrêtons et nous nous observons quelques secondes. Je lui souris car je me doutais bien que ce genre de chose pouvait se produire. Je l’avais prévenu.
Mais le Général n’en reste pas là. Il fait marche arrière et part en direction des voix.
— Lequel d’entre vous a dit ça ?
Thraän a à peine ouvert la bouche que les autres garçons dénoncent aussitôt leur camarade en reculant d’un pas. Pas très solidaires dis-donc…
Un jeune homme se retrouve seul face à son mentor. Il est assez robuste et plutôt grand. Il est roux avec des cheveux frisés, la peau très claire et il possède quelques tâches de rousseurs sur le visage.
— C’est bien toi qui as dit ça ?
— Euh…Oui mon Général ! dit-il d’une voix tremblante tout en en bégayant.
— Sais-tu qui est cette femme ?
— Non Général !
— Évidemment que non…dit-il tout en souriant avec une pointe de sarcasme.
Puis il reprend cet air sévère : « Si tu es ici devant moi, c’est grâce à cette femme, jeune ingrat ! Si elle n’avait pas sauvé ce royaume de l’Empereur Swole autrefois, toi et vous autres vous ne seriez sûrement pas devant moi aujourd’hui ! C’est cette femme qui, par son courage, nous a tous libérés alors témoigne-lui un peu plus de respect ou je peux d'ores et déjà affirmer que ta place n’est clairement pas dans cette armée ! »
J’apprécie ce que Thraän est en train de faire, mais après tout, je peux me débrouiller.
— Hum…hum…Allons Général, ne soyez pas aussi sévère avec lui, après tout il a raison, qu’est-ce qu’une femme pourrait bien faire dans un endroit réservé exclusivement aux hommes ?
Je m’approche d’eux.
— Nous réglerons ça plus tard ! lui fait savoir Thraän avant de s’éloigner et de repartir à l’endroit où nous nous sommes stoppés.
Au passage, il me chuchote : « Règle-lui son compte ! » et je lui réponds joyeusement : « Avec joie ! »
Je me positionne face au garçon.
— Comment t’appelles-tu ?
— Stanis, Madame !
— Très bien Stanis... Alors selon toi, tu penses qu’ici je ne suis pas à ma place, c’est bien cela ?
— Pardonnez-moi, mais c’est exact !
— Et puis-je savoir quelle est la raison qui te fait dire ça ?
— Ce n’est pas la place d’une femme, Madame ! Je ne savais pas qui vous étiez, mais selon moi, une femme n’a pas la force ni le courage d’un homme.
Je souris mais je bouillonne intérieurement. Je lui ferais bien avaler son insigne de recrue !
— Très bien, je peux comprendre ta position, mais alors si je suis si inférieure à toi, pourquoi ne pas m’affronter ?! Si je perds, tu m’auras prouvé que ce que tu dis est vrai… mais si je gagne, tu me devras le respect et tu devras considérer autrement les femmes de ce royaume…
Les autres recrues semblent très surprises par ma demande. Je les entends chuchoter à travers les rangs.
— Je ne peux pas, Madame, je risquerai de vous blesser !
J’éclate de rire. Thraän rit également.
Ce gamin est vraiment borné.
— Ne pas honorer un combat est un signe de lâcheté. Ce n’est pas ce que je vous ai enseigné et ce n’est pas digne d’un noktarï ! lance le Général situé à quelques mètres.
Soudain, je décide de lancer les hostilités.
Alors que je m’apprête à rejoindre Thraän, je me retourne brusquement vers lui et je lui donne un coup de poing en plein visage.
Stanis s’écroule à terre et hurle de douleur.
— Règle Numéro 1, ne jamais douter de ton adversaire ! Tu ne sais pas de quoi est capable celui qui t’affronte, dis-je tout en tournant autour de lui.
Je l’entends marmonner des choses.
Il peine à se remettre de ses émotions. Il se met à genou tout en se tenant le visage.
— Mais ça va pas ??? Vous m’avez cassé le nez !! dit-il en se tordant de douleur.
— Relève-toi ! je lui demande tout en lui faisant signe. Allez, relève-toi !
Il finit par se relever et se décide à m’affronter enfin.
— Très bien ! Vous voulez jouer à ça, je suis votre homme !
Je souris.
Il court vers moi à toute allure et tente de me maîtriser, mais il n’a même pas eu le temps de m’effleurer que je l’ai déjà éjecté au sol en lui donnant un coup de pied dans l’abdomen.
Je le regarde gigoter comme un petit vers, puis d’un mouvement rapide, je replace correctement ma cape avant de poursuivre.
— Règle numéro 2, si tu laisses la colère t’envahir lorsque tu combats alors ton esprit ne seras pas en harmonie avec tes mouvements. La concentration doit rester ton alliée tout au long du duel !
Il se roule à terre et me maudit de toutes ses forces. Mais il a tellement de colère en lui qu’il se relève et me défie.
— C’est ça ! tu sais ce que j’en fais de tes conseils, vieille folle ? s’écrie-t-il tout en s’avançant vers moi.
Je décide de le fatiguer un peu et je le laisse m’atteindre tout en esquivant ses coups. Mais au moment où il décide de me porter un coup fatal, je fonce à mon tour vers lui, je m’agenouille tout en glissant sur la terre et je le fais passer par-dessus mon épaule.
Je me relève rapidement et je repars lui régler son compte une bonne fois pour toute.
Je dégaine un de mes petits couteaux et je me place au-dessus de lui. Je tiens fermement la lame au niveau de sa jugulaire, histoire de le faire paniquer un peu.
Il se débat, mais je n’ai aucun problème pour le maintenir.
— Règle numéro 3... en fait, il n'y a pas de règle numéro 3... dis-je d'un air moqueur.
Ma manœuvre fonctionne plutôt bien puisque celui-ci est déjà en train de me supplier.
— Ok…s’il vous plaît ! je retire ce que j’ai dit ! Je m’excuse.
Je souris.
— Voilà qui est mieux !
Je me relève et rengaine le couteau. Je reste fair-play et je l’aide tout de même à se relever.
Une fois debout, j’observe le reste du groupe devant moi et je lâche avec fierté : « D’autres volontaires ? »
Certains d’entre eux reculent d’un pas. Je crois qu’après cela, j’ai un peu refroidi leur motivation.
Mais à mon grand étonnement, d’autres s’agenouillent devant moi.
Je ne sais pas quoi dire en réalité. Le plan de Thraän serait-il en train de porter ses fruits ?
Je pars rejoindre Thraän qui semble plutôt enthousiaste.
— Quand je t’ai dit de lui régler son compte, je ne pensais pas exactement à ça…
— Tu m’as dit de lui régler son compte, c’est ce que j’ai fait ! je réponds avec une pointe de sarcasme.
Thraän me félicite. Selon lui, nous avons fait quelques progrès.
Nous partons rejoindre les autres. Carwaty vante mes mérites, mais il me sermonne tout de même car selon lui, je n’ai pas été assez sévère avec ce garçon.
Nous discutons encore un peu, mais très vite, les garçons doivent m’abandonner et regagner leurs postes.
Je m’apprête donc à rejoindre le centre de la cité quand Timy qui m’avait vu affronter son camarade vient me rejoindre.
Depuis nos retrouvailles, nous avons décidé de passer du temps ensemble et comme d’habitude, nous discutons de tout et rien dès que nous en avons l'occasion.
Mais alors que nous nous apprêtons à quitter le camp d’entraînement, un jeune homme avec un énorme sac en toile sur le dos vient nous rejoindre.
Il est plutôt mignon, brun, les cheveux courts, très grand. Il est vêtu de blanc et sa chemise à moitié déboutonnée laisse apparaître son impressionnante musculature.
Dès le début, je ressentais une certaine froideur en lui et je ne m’étais pas trompée à son sujet.
Il pose cet énorme sac sur le sol.
— Timy, j’ai apporté les armes que le Seigneur Thraän m’a commandé.
— Parfait ! je lui ferais la commission, mon ami. Pendant que tu es là, je souhaiterai te présenter quelqu’un…
— Je sais qui elle est ! dit-il avec cette pointe d’amertume.
Timy reprend d’une voix gênée : « Ah ! très bien alors, dame Anna, voici Adam ! »
Thraän m’avait confié qu’il habitait sur Skellulia. Je ne m’attendais pas à le voir de sitôt.
Il me dévisage avec ce regard rempli de colère.
— Vous ne vous souvenez pas de moi, n’est-ce pas ? me dit-il d’un air dédaigneux.
— Malheureusement, non… je lui réponds avec une certaine déception dans la voix.
— Je m’en doutais ! En même temps, après nous avoir lâchement abandonné et après tout ce temps…
J’en reste sans voix. Je ne sais pas quoi lui répondre et je suis incapable de me justifier car je n’ai aucun souvenir de ces garçons.
Timy semble outré par ses propos.
— Adam, mon ami ! Qu’est-ce qui te prend ? Je te rappelle que si nous sommes en vie, c’est grâce à elle alors soit un peu plus reconnaissant !
— C’est là où tu te trompes Timy ! Je ne dois rien à cette femme ! Tu étais trop jeune et tu ne te souviens pas de ce qui s’est passé mais moi si ! J’étais le plus grand et je me rappelle de tout ! Cette femme a dit qu’elle veillerait sur nous, mais elle nous a tous menti !
— Je suis désolée, je ne voulais pas…Je… dis-je en balbutiant.
— Cela suffit Adam ! Tu sais très bien que ce n’était pas de sa faute ! Le seigneur Thraän nous a tout raconté alors pourquoi tu t’acharnes sur elle ?
— Il peut dire ce qu’il veut, mais moi, je sais ce que j’ai vu…
Il reprend le sac sur ses épaules : « Tu diras au seigneur Thraän que je lui apporterais le reste bientôt ! Maintenant, vous m’excuserez mais j’ai encore du travail qui m’attends !»
Il salue Timy et se dirige plus loin vers les râteliers tout en m’ignorant.
Je ne m’attendais pas à de telles retrouvailles. Adam m’en veut clairement. Comment lui prouver que je ne suis pas celle qu’il croit ?
Je dois bien avouer que ce qu’il vient de me dire m’a rapidement cassé le moral et je culpabilise pour des choses dont je ne me souviens même pas !
Nous poursuivons notre petite promenade.
Timy sent bien que quelque chose ne va pas, alors il me propose d’aller s’assoir dans un des jardins de la cité.
— Pardonnez-lui dame Anna. D’habitude, il n’est pas comme ça…
— …
— Je pense qu’il vous appréciait tout autant que nous, mais le fait de ne plus vous revoir a sans doute brisé quelque chose en lui.
— Si seulement j’avais le moindre souvenir…
— Ne vous reprochez rien ! Le seigneur Thraän nous a dit ce que vous aviez enduré. Adam le sait lui aussi, mais il est si borné qu’il refuse d’entendre la vérité. Je suis certain que son caprice lui passera, dit-il d’un air amusé.
— J’espère que tu dis vrai…
Nous discutions encore un peu.
Timy me confiait que lorsqu’il était petit, il m’appréciait énormément. Il me racontait son enfance ainsi que celles des autres.
Lorsque nous fument séparés, Thraän avaient décidé de confier les quatre enfants à des personnes en qui il avait une entière confiance.
Timy et Jérémie avaient atterri dans des familles très bourgeoises. Leurs pères faisaient tous deux parties de l’armée de Nosfuria.
Zac fut élevé dans le quartier où l'on s’intéresse aux sciences et aux nouvelles technologies. Ses parents adoptifs étaient des gens très brillants. Pas étonnant que le petit ait finit assistant du dokri’yova.
Quant à Adam, il avait été confié au maître forgeron et son adorable femme. Cet homme très puissant lui apprenait son métier. Et depuis ils travaillaient ensemble.
Timy m’assurait qu’ils eurent tous les quatre une enfance heureuse et qu’ils n’avaient manqué de rien. Ils gardaient le contact et depuis ils étaient restés de très bons amis.
Je pars rejoindre Kirah qui m’attend de l’autre côté de la ville.
Nous avons décidé de nous préparer pour la soirée qui aura lieu prochainement.
Évidemment, pour l’occasion, j’ai accompagné Kirah dans l’une des boutiques de Vésoviah afin d’y faire quelques emplettes. Mais comme d’habitude, je peux dire que celle-ci n’y a pas été de main morte.
Nous étions censées repartir avec une tenue chacune mais au lieu de ça Kirah se laissait tenter par d’autres modèles…
Exceptionnellement, pour cette soirée, j’ai laissé de côté mon attirail de guerrière et j’ai laissé Kirah s’occuper de tout !
« Pourquoi je sens que je vais encore le regretter ? »
J’ai l’impression que ma relation avec Bragg est en train de se ternir. Depuis quelques jours, il est plutôt distant et je ne sais pas comment aborder le sujet.
Kirah pense que je dois faire des efforts pour reconquérir son cœur.
Elle m’a assuré qu’il préférait les femmes raffinées, ce qui n’est pas tout à fait faux. Alors en faisant preuve d’un peu plus de féminité, je me dis que je pourrais peut-être raviver la flamme…
La robe que je vais porter est vraiment magnifique. Il s’agit d’une longue robe noire très évasée vers le bas et entièrement fabriquée dans une matière s’apparentant à de la dentelle.
Sur le bustier, des petites pierres sont incrustées et sous la robe, on peut distinguer ce voile doré. Elle possède des manches longues, et cette coupe très resserrée à la taille laisse apparaître mes courbes.
Les chaussures sont tout aussi belles. Elles sont noires et les talons doivent avoisiner les quinze centimètres.
La coiffure est assez originale. Une demi-queue avec des boucles par-ci et par-là accompagnées de quelques pierres pour être assortie à la robe. Les accessoires sont également de la partie.
Kirah n’a rien laissé au hasard. Avec ça, je ne risque pas de passer inaperçue !
ó
Quelques jours plus tard, j’assistais à cette fameuse soirée.
Kirah préfère que nous arrivions en retard. Elle aime toujours se faire désirer.
Nous rejoignons l’Echénox directement par la villa.
J’ai un peu de mal à marcher avec ces chaussures. Elles sont si hautes. Et même si cette robe est splendide, je ne suis pas à l’aise.
Comme d’habitude Kirah me réprimande.
— Ne regarde pas à terre ! Garde la tête haute et tiens-toi droite !
— Est-ce que tu m’as bien regardé ? dis-je en grimaçant.
Elle sourit puis soupire.
— Je sais ce que tu vas encore me dire… tout ça, c’est derrière toi… tu ne fais plus partie de ce monde… et bla-bla-bla… mais Anna, dis-toi que lorsque tu franchiras les portes du palais, tous les regards seront braqués sur toi ! Alors fais ce que je te dis si tu ne veux pas avoir l’air ridicule ! Tu ne voudrais pas que Bragg se moque de toi, n’est-ce pas ?
— …
« Grrrr !! je déteste quand elle fait ça ! »
Je ne lui réponds pas mais je sais qu’elle a raison.
Carlisle a tenu à organiser cette soirée pour nous féliciter les filles et moi. Il est important que je fasse bonne impression selon Kirah.
Nous pénétrons dans l’enceinte et nous arrivons devant les portes.
Nous entrons sous le regard des convives.
Je serais bien tentée de faire demi-tour tellement je suis mal-à-l’aise.
J’aperçois Bragg. Il me sourit et semble sous le charme. Thraän également.
Nous descendons l’interminable escalier pour rejoindre les autres.
J’ai si peur de me vautrer, mais je n’y pense pas. Je n’ai pas droit à l’erreur.
Arrivées en bas, nous saluons quelques invités au passage puis nous partons saluer le Gouverneur.
— Cela faisait une éternité que je ne t’avais pas vu vêtue de la sorte…me dit-il d’un air enthousiaste.
— Vous n’allez pas vous y mettre vous-aussi ?
— Je suis ravie que tu sois venue, rajoute-t-il.
— Ça n’a pas été facile de la convaincre vous savez, mais cette tête de mule a fini par accepter ! lance Kirah.
Carlisle sourit.
— Tu sais ce que la tête de mule va te dire si…
Soudain, j’entends la voix de Thraän juste derrière moi.
— Kirah… Anna… dit-il tout en nous saluant.
Nous discutons un peu mais à chaque fois que je jette un œil autre part, je sens son regard se poser sur moi. J’ai l’impression qu’il m’observe avec ce petit regard qui laisse penser bien des choses…
Les autres seigneurs nous ont rejoint.
Mais alors que nous abordons un autre sujet, j’entends cette voix fluette juste derrière moi.
Vésoviah est en compagnie de tous ces gens vêtus d’une façon peu ordinaire.
Il salue les garçons ensuite il s’approche de Kirah et baise sa main. Il fait la même chose avec moi.
Je suis tout de suite très gênée.
— Vous êtes splendide ma chère… cette création vous va à ravir, me dit-il en souriant.
L’homme nous fait la conversation puis avant de partir il s’adresse à nouveau à moi.
— Puis-je vous demander quelque chose ?
— Tant que vous ne lui demandez pas de défiler pour vous, tout va bien ! lance Kirah d’un air moqueur.
Ils se mettent à rire mais moi pas !
Kirah m’avait également raconté cet épisode où j’avais eu la brillante idée de défiler pour le créateur, juste avant de perdre la mémoire. Je ne me souviens pas de ce moment très gênant et heureusement. Il est évidemment HORS DE QUESTION que cela se reproduise !
— Euh… je vous écoute…
— Voudriez-vous venir essayer quelques-unes de mes nouvelles créations à l’atelier ?
— Euh…
— Ça ne sera pas long, vous en avez ma parole !
J’hésite. Mais celui-ci n’a pas l’air d’être patient.
— Écoutez, je…
— Je prends ça pour un oui ! dit-il en toute gaieté.
Les autres se mettent à rire.
L’homme nous salue puis il fait demi-tour d’un air joyeux.
J’en reste bouche-bée. Je n’ai même pas eu le temps de lui donner ma réponse. Quel culot !
— Est-ce qu’on peut m’expliquer ce qui vient de se passer ?! je demande confuse.
— Encore une fois, je crois que ce cher Vésoviah est tombé sous ton charme… lance Kirah.
— …
Je ne sais pas quoi répondre. Les garçons rigolent mais cela ne m’amuse pas.
— Très bien, puisque je suis la seule à ne pas trouver ça drôle, je vais vous abandonner quelques instants.
— Oh ! c’est bon ! ça nous a juste rappelé quelques souvenirs, me répond Kirah.
J’esquisse un petit sourire déguisé.
— Des souvenirs… dis-je, frustrée.
Je sais que je viens de jeter un froid, mais je m’en fiche éperdument car s’ils étaient à ma place, je pense qu’ils auraient ressenti la même chose que moi.
Je pars en direction du buffet. Je prends une de ces coupes et je rejoins les Tanelyah. Dès les premiers instants, les filles qui ont sûrement un peu forcé sur la bouteille, me changent les idées.
Elles ciblent les invités un par un et font quelques critiques.
Dina nous raconte sa vie amoureuse et quant à Fabiola, elle vante les mérites de son cher et tendre Wi-Krick.
Nous conversons encore un peu puis Carlisle prend la parole.
Dans son discours, il parle de progrès, de réconciliation et de révolution.
Il me remercie d’avoir pris ces jeunes femmes sous mon aile et ils les félicitent pour le travail accompli.
Je suis assez fière du résultat car en l’espace de quelques temps, j’ai réussi à prouver que nous en étions capables ! Mais le travail n’est pas terminé…
Après son discours, la fête peut commencer. Mais malgré les nombreux divertissements dont la prestation des Tanelyah, je ne me sens pas à ma place. Je pars m’aérer l’esprit quelques instants.
Je quitte la salle et je rejoins l’un des balcons.
Soudain, alors qu’il m’a pratiquement évité pendant toute la soirée, j’entends la voix de Bragg derrière moi.
— Tu es vraiment magnifique…
Je me retourne.
— Merci, dis-je en souriant.
— Est-ce que tout se passe bien ?
— Euh… oui.
— Alors pourquoi rester seule ?
— Je voulais juste prendre l’air, mais je te rassure tout va bien !
Il sourit à son tour et vient me rejoindre. Il s’accoude à la balustrade et fixe le ciel.
— Le ciel est magnifique, n’est-ce pas ?
— Bragg, tu ne vas pas te lancer dans un de tes cours d’astronomie, n'est-ce pas ? dis-je avec humour.
Il rigole.
Je m’approche et je me place à ses côtés. J’observe le ciel également : « J’ai l’impression que tu veux me dire quelque chose mais tu n’oses pas, alors vas-y, je t’écoute… »
Il soupire et se redresse.
— Anna… ça n’aurait pas dû se passer comme ça…
— De quoi tu parles ?
— J’ai essayé de passer à autre chose, j’ai essayé de ne plus y penser… mais je n’y arrive pas ! Je ne peux pas continuer et faire semblant…
— Et qu’est-ce que je suis censée comprendre ?
Il se tourne vers moi et me fixe dans les yeux.
— Anna… Toi et moi, ça ne peut pas durer. Il vaut mieux qu’on en reste là ! Je ne pensais pas que j’aurais pu dire ça un jour, mais c’est fini entre nous !
Même si je m’y attendais déjà, je suis sous le choc.
Je préfère garder le silence. Et j’ai tellement envie de pleurer à ce moment-là, mais je garde un peu de fierté tant qu'il m'en reste.
Mais mes yeux finissent par me trahir et s’emplissent d’eau.
Je détourne rapidement le regard.
En voyant Anna dans cet état, Bragg culpabilise. Et il s’en veut terriblement de devoir lui faire subir cela.
Les larmes s’écoulent sur mon visage. Je les essuie.
— Tu m’as demandé d’aller parler à Thraän et je l’ai fait ! J’ai fait tout ce que tu m’as demandé. J’ai été patiente et maintenant, tu me jette comme si tout ce qui s’était passé entre nous ne représentait rien pour toi !
— Anna… ne dit pas ça, ce n’est pas ce que tu crois…
— Alors qu’est-ce que je suis censée penser de tout ça ? Je pensais que c’était sérieux entre nous et que tu m’aimais !
— C’est toujours le cas !
— Alors pourquoi ? Tu as honte de moi parce que je ne ressemble pas à toutes ces femmes. Tu voudrais que je sois l’une d’elles, c’est ça ?
— Ne dis pas n’importe quoi ! Tu n’as rien à voir avec toutes ces femmes et tu sais très bien que si nous sommes ensemble c’est bien pour ça !
— Alors quoi ? Tu fais tout ça juste pour ne pas briser ta précieuse amitié avec Thraän ?!
— …
Il ne répond pas mais je sais exactement que c’est la raison qui l’a amené à faire ce choix.
Il poursuit : Anna, je suis vraiment désolé… j’espère que tu me pardonneras.
Je me tourne vers lui et les larmes aux yeux, je mets un terme à notre discussion.
— Et moi je suis désolée de t’avoir fait perdre ton temps ! Tu as fait ton choix alors je crois qu’il n’y a plus rien à dire…excuse-moi…
Je le laisse là et je me dirige vers la sortie à toute vitesse.
Après ce que je viens d’entendre, je n’ai qu’une envie, c’est de rentrer et me morfondre dans mon lit !
Bragg éprouvait de réels sentiments pour la jeune femme et malgré cette passion, il avait dû faire ce choix à contre -cœur.
Mais sa décision était mûrement réfléchie car quelques jours plutôt, alors qu’il partait rendre une petite visite au Gouverneur, il assistait à une discussion mouvementée entre le Général et son mentor.
—Et pour Anna ?
— Que voulez-vous dire Monseigneur ?
— Allons mon garçon, tes yeux te trahissent ! J’ai vu comment tu l’observais…tu l’aime toujours, il serait temps d’arrêter de te voiler la face !
Thraän sourit mais semble tout aussi mal-à-l’aise.
— Je ne vois pas ce que ma vie sentimentale vient faire dans cette conversation !
— Tu es venu me rendre une petite visite et comme d’habitude, nous discutons de tout et de rien, comme un père pourrait le faire avec son fils. Alors j’en profite pour te donner mon avis ! Tu sais très bien que je considère Anna comme ma propre fille et votre relation m’attriste. Ce n’est pas ce que j’avais imaginé pour vous deux…
— Carlisle, j’apprécie ce que vous faites, mais je vous rappelle qu’Anna a pris sa décision ! Elle est avec Bragg maintenant et Joline fait désormais partie de ma vie !
— Tu sais que je considère Bragg comme un fils également, mais ils ne sont pas faits pour être ensemble ! Toi et Anna vous avez vécu des choses ensemble ! Si elle n’avait pas perdu la mémoire, penses-tu sincèrement qu’elle se serait amourachée de Bragg ? Il a juste été là au moment où elle en avait besoin. Mais lorsque ses souvenirs referont surface, que se passera-t-il ensuite ?
— Carlisle, avec tout le respect que je vous dois, je ne veux pas parler de ça avec vous ! Anna et moi, c’est terminé ! Il va falloir vous y faire !
Bragg fût très peiné par ces paroles, mais il ne pouvait pas en vouloir à Carlisle car il pensait exactement la même chose.
Il décida de quitter l’endroit mais Thraän qui venait de quitter le Gouverneur le surpris derrière la porte qui était encore entrouverte.
— Bragg ? dit-t-il d’un air gêné, persuadé que celui-ci avait assisté la conversation.
— Bonjour Thraän ! Quelle coïncidence ! Je venais voir le Gouverneur.
— Nous avons terminé !
Les deux hommes se saluaient, mais Bragg fit demi-tour. Et depuis, il décidait de garder le silence sur ce qu’il venait d’entendre.
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