Traqueur
L’artefact vibrait entre mes paumes. Je ressentais l’énergie ancienne qui l’animait me traverser, emplir la cabine et se propager sur tout le navire. Assise face à moi, Aline restait à mes côtés, immobile. Seule sa lente respiration me parvenait dans le silence. Les yeux clos, mes sens s’étendirent. Sa présence m’apparut comme une lueur dans l’obscurité, comme un point de fixation auquel me rattacher pour revenir.
Mon esprit traversa la porte, survola la dunette, puis le pont de notre vaisseau. La nuit recouvrait le monde de ses ténèbres. Le quart en activité carguait les voiles et maintenait le cap vers l’Est, vers les terres lointaines qui nous attendaient. Le vent forcissait et la tempête formait à l’horizon comme un mur sombre, prêt à nous avaler. Mais l’équipage était expérimenté, et les protections de la quartier-maître ne craignaient nullement la fureur des éléments.
Je failli me perdre dans la contemplation de ce tableau, puis propulsais mon esprit des lieux en avant, traversant le chaos qui nous attendait. Lames, éclairs blancs. La nuit semblait sans fin. Le ciel d’encre se mêlait aux eaux noires et déchaînées de l’océan.
Enfin, mon essence survola la côte, brune et escarpée, puis une baie qui s’élargissait à l’intérieur des terres. Un gigantesque halo vert et pourpre englobait une île tout entière, hérissée de tours et de bâtisses aux couleurs rouge et or, plus hautes les unes que les autres.
Mon esprit s’engouffra dans une des flèches culminantes de cette forteresse. Une salle éclairée d’immenses lustres en cristal, aux sols recouverts de tapis et aux murs de tableaux, illustrant des batailles de magiciens contre les forces démoniaques. D’imposantes bibliothèques aux livres épais montaient jusqu’au plafond. Mon attention se tourna vers la seule personne présente dans la pièce. Une femme à son bureau, qui me regardait.
Un peu plus de la trentaine, elle avait le visage pâle, presque cireux. Ses yeux noirs braqués sur moi étaient comme des puits sombres. L’aura qui l’entourait pulsait lentement. Elle se leva, et l’intensité de son regard sur moi me pétrifia. Personne n’était censé me voir. Ses oreilles en pointe qui dépassaient de sa longue chevelure noire se rabattirent. Elle brandit une main vers moi, comme pour me saisir par la gorge. Sa main sur ma peau était glacée. Je ne pouvais plus détacher mon regard de ses orbites sombres. Des filaments invisibles s’agrippèrent à mon essence comme pour la déchirer, étendirent encore et encore leur emprise sur mon enveloppe.
Je fis un bond en arrière, m’élançai à travers les colonnes de marbre qui me séparaient de la terrasse, et replongeai dans la nuit, m’assurant de mettre le plus de distance entre moi, l’île et elle.
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