Chapitre 13 : Bruno

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Maman.

Lorsque j’étais petit, tu me répétais souvent ce mantra : « Il faut aller de l’avant ». Pour toi, les erreurs et les regrets du passé appartenaient au passé, cela ne servait à rien de les ressasser. Étonnamment, je crois que c’était le seul point sur lequel Papa et toi étiez d’accord. Je n’ai jamais oublié cette phrase. J’essaye de l’appliquer régulièrement dans la vie de tous les jours, mais c’est plus facile à dire qu’à faire, surtout quand l’un de mes principaux regrets concerne la personne qui m’a prodigué ce conseil, c’est-à-dire toi, Maman. J’aurais tellement aimé avoir eu plus de temps avec toi lorsque tu étais encore de ce monde, ne serait-ce que te donner un dernier baiser. Hélas, le conducteur ivre responsable de ta mort, en plus d’avoir fauché ta vie, m’a privé de tes derniers instants. Depuis, un vide s’est creusé en moi, un vide que rien ni personne ne peut remplir. Je ne suis pas très doué pour les conseils, contrairement à toi, mais si je devais en donner un, ce serait celui-ci : Profitez le plus possible de vos proches, vous ne savez jamais quand un malheur risque de frapper à votre porte. Ne les tenez jamais pour acquis et, sur tout, prenez-les dans vos bras et dites-leur que vous les aimez, on ne sait jamais de quoi demain sera fait.

C’est ce que je me répète tous les dimanches, lorsque je viens déposer des fleurs sur ta tombe. Ce que je fais actuellement. Seul. Au début, j’avais l’habitude d’y aller avec Papa, mais à la fin de la première année qui a suivi ta mort, il a cessé de venir. Il jugeait cela futile car ce n’était pas ça qui te ferait revenir à la vie et que ça me faisait plus de mal qu’autre chose. Je n’étais pas d’accord avec lui, pour une fois, mais j’ai pensé qu’il avait sans doute de bonnes raisons pour dire cela, donc je me suis tu. Depuis, je me rends tous les dimanches au cimetière où tu as été enterrée, à 11 heures, parce que c’était ton heure préférée (une de tes nombreuses excentricités qui me manque).

Maman.

Ou plutôt… ma mère ?

Comment dois-je t’appeler ? Pour beaucoup de gens, appeler sa mère « maman » est perçu de manière négative et enfantine car soi-disant lié à un manque de maturité. J’ai toujours trouvé cela stupide. Depuis quand est-ce puéril de faire preuve d’affection envers sa mère ? Ado, certains de mes camarades se moquaient de moi lorsque tu venais me chercher au collège et que je te saluais d’un baiser. Je n’ai jamais compris cette attitude. Je n’ai jamais eu honte de toi, Maman, pas une seule fois. Je n’ai jamais pu et je ne l’ai jamais voulu. Pas même pour imiter les autres. Même si cela m’a valu de nombreuses brimades. La plupart des ados de mon âge parlaient mal à leurs mères ou faisaient semblant de ne pas les reconnaître quand celles-ci venaient les chercher. Moi, au contraire, je n’attendais qu’une chose : te voir sortir de ta voiture garée sur le parking du gymnase. Lorsque tu es morte, une partie de mon âme s’est envolée avec toi. Pour toujours.

Maman, je ne sais pas si tu m’entends, de là où tu es, mais si c’est le cas, fais-moi un signe. Juste un seul. Pour que je sache que tu es là, avec moi. Ça fait déjà dix ans que tu nous as quittés, Papa et moi, mais la colère, la tristesse et l’amertume que j’ai ressenties à l’annonce de ta mort sont toujours présentes. Je n’arrive toujours pas à croire que tu ne sois plus là. J’avais à peine douze ans quand tout cela est arrivé. Tu n’avais pas le droit de partir et de me laisser. J’avais besoin de toi, j’ai besoin de toi. Je ne savais pas ce que c’était que la mort, à cette époque, et, à vrai dire, dix ans plus tard, je ne comprends toujours pas ce que cela signifie. J’ai vingt-deux ans, j’ai un boulot, je suis censé être adulte, mais j’ai encore l’impression d’être le petit garçon de six ans dont tu soignais les genoux écorchés à la suite d’une chute de vélo. Chose que je ne raconterais jamais à Papa, il ne comprendrait pas. Mais je sais que toi tu m’écouterais et que tu ne me jugerais pas. Qu’est-ce que je donnerais cher pour que je puisse de nouveau te serrer dans mes bras… Mais comme Papa a l’habitude de dire : on n’a pas toujours ce qu’on veut dans la vie.

Maman, tu te souviens quand j’avais trois ans et que je m’apprêtais à rentrer à l’école pour la première fois ? J’étais angoissé, je ne savais pas ce qui m’attendait. Je n’avais pas envie d’y aller, la seule chose que je voulais, c’était rester auprès de toi, mais tu as su me convaincre et me rassurer, et on a fini par partir ensemble, main dans la main. Tu étais la seule à m’accompagner. Papa a refusé de venir, il disait que ça ne servait à rien d’en rajouter et que c’était juste un jour comme un autre. D’ailleurs, il m’a même dit la veille de ne pas me mettre à pleurer et de me comporter comme un grand, sinon gare à moi. J’ai suivi son conseil du mieux que j’ai pu mais, dès que j’ai vu l’école, avec son bâtiment imposant et les nombreux enfants qui s’agitaient dans la cour, ça a été plus fort que moi et j’ai fondu en larmes. Mais tu ne m’as pas grondé. Au contraire, tu m’as serré dans tes bras et tu m’as donné ton pendentif en forme de cœur, celui que tu portes pour les grandes occasions. Tu m’as dit que si jamais j’étais triste et que tu me manquais trop, je n’avais qu’à le serrer fort dans ma main et comme ça, une partie de toi serait avec moi, en classe. J’ai hoché la tête et j’ai enfin accepté de lâcher ta main et de rentrer dans l’enceinte de l’école. Au bout d’une heure ou deux, j’ai fait comme tu m’as dit, et ça a marché : j’ai senti ta présence, tout près de moi, et ça m’a rassuré. Le reste de la journée s’est passé sans encombre, et ce grâce à toi.

Maman, quand je suis rentré en sixième, tu ne m’as pas accompagné parce que tu étais malade. Je ne t’en ai pas voulu, ne t’inquiète pas. Même quand tu n’étais pas là, une partie de toi était toujours présente à mes côtés. En plus, je n’étais pas seul : Papa avait accepté de m’accompagner, cette fois-ci. Il disait que l’entrée au collège était une grande étape, que ça devenait sérieux, et qu’il voulait s’assurer que tout se passe bien. J’étais content qu’il s’investisse autant mais, pendant qu’il parlait avec mon professeur principal des cours et de mon emploi du temps, j’aurais aimé que tu sois là, avec nous. Tu m’aurais réconforté et tu m’aurais fait comprendre que ce n’était pas la fin du monde. Tu aurais trouvé les mots justes, j’en suis sûr. Comme toujours.

Maman, j’aurais tellement voulu que tu sois là, à mes côtés, durant toutes les autres étapes de ma vie. Tu es partie tellement tôt, je n’ai pas pu te présenter à ma première copine, que j’ai eue à quinze ans, ni aux autres qui ont suivi… dont Élise. Tu n’imagines pas à quel point ça me fait mal de te parler d’elle, d’évoquer son nom, après tout ce qu’elle m’a fait, mais je sais que tu ne l’aurais pas aimée. Papa disait que c’était une garce sans scrupules, et je suis sûr que tu te serais rangée de son côté, même si, évidemment, tu m’aurais fait part de ton opinion d’une façon moins grossière. Je n’ai peut-être pas fait médecin, avocat ou une autre carrière prestigieuse, mais je sais que quoique j’aurais choisi, tu serais fière de moi et tu m’aurais encouragé. Si j’ai décidé de devenir rédacteur, c’est en partie grâce à toi, Maman, grâce aux histoires que tu me lisais avant d’aller me coucher quand j’étais petit. Je te dois tout. Ne l’oublie pas. Jamais.

Maman, j’ai rencontré il y a quelque temps une fille, Sarah. Je ne te raconterai pas comment parce que ce n’est pas le genre de chose qu’un fils devrait dire à sa mère. Elle a un sacré caractère (et le mot est faible), mais si tu étais encore là, je suis sûr que tu l’aurais appréciée. Tu ne serais sans doute pas fière de moi en apprenant mes intentions à son égard, et à juste titre, je le comprendrais parfaitement. Je ne sais même pas si je devrais t’en parler, à vrai dire, mais je ne peux rien te cacher. Tu fais toujours partie de ma vie, même si tu n’es plus là, il est donc normal que je te tienne au courant de tous les événements qui s’y passent.

Je ne t’oublierai jamais, Maman. Tu peux compter là-dessus. Tu es la lumière qui a guidé ma vie, et il est hors de question qu’elle s’éteigne de sitôt.

Je t’en fais la promesse.

Je te le jure.

Je t’aime.

De tout mon cœur.

De toute mon âme.

Jamais.

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