Le lapin blanc

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« Son regard se figea, son sang se glaça, elle devint livide devant ce spectacle… Elle sentait que cette scène la hantera jusqu’à la fin de sa vie… Devant elle, il y avait... »

Alice n’aimait pas les histoires effrayantes. A ses yeux, c’était jouer à se faire peur pour rien. Hormis pour jouer, bien sûr ! Quand bien même ce serait amusant de ressentir l’affolement, la panique, l’effroi, et ces autres choses de ce genre. Elle reposa le livre sur son étagère. La vie était déjà suffisamment effrayante comme ça.

Elle sortit de la bibliothèque et se mit à marcher dans la rue tranquille et calme comme un l’eau d’un étang, avec seulement les êtres de son écosystème qui passaient et faisaient du bruit. Cela faisait plusieurs semaines qu’elle venait à cette bibliothèque car son psy lui avait conseiller de lire et de décrocher de la réalité de temps à autres. Alors elle lisait. Un peu. Ça lui permettait de se changer les idées.

« Il peut y avoir des séquelles. Il faut en faire part à un médecin si jamais quelque chose n’est pas normal. »

Tout-à-coup, comme mue par réflexe, sa tête pivota sur la gauche. Sur le trottoir d’à côté, il n’y avait personne, juste un un arbre. Mais derrière l’arbre, une ombre venait de se cacher. Un frisson de peur remonta le long de l’échine de la jeune fille.

Depuis quelques semaines – depuis cette nuit, Alice se sentait espionnée. Au début, c’était simplement une légère impression, qui peu à peu grandissait et s’amplifiait. Mais depuis quelques temps, la jeune fille voyait une ombre. Une ombre qui se cachait toujours non loin de là où elle passait, qui la surveillait, mais dont elle n’avait jamais aperçu le visage.

« Si jamais quelque chose n’est pas normal. »

Elle accéléra le pas. La panique agissait sur son organisme, et elle était à deux doigts de courir. Mais elle avait peur que l’ombre se mette à la pourchasser si jamais elle s’enfuyait. Elle n’osait pas regarder derrière elle, même si sa curiosité l’y avait plusieurs poussée, sans succès.

Enfin, elle atteignit son jardin. Fébrilement, elle ouvrit le portail avec son trousseau de clés et sitôt la porte franchie, elle la fit claquer précipitamment. Elle essaya de calmer sa respiration, et au bout d’une dizaine de secondes, osa regarder parmi les interstices. Il n’y avait personne.

Quelque peu rassurée, Alice se dirigea vers la maison. C’était là une habitude maintenant, une habitude qui lui faisait de plus en plus peur, mais cela restait une habitude.

« La vie est vraiment effrayante, parfois ». « Des pensées positives ; il faut toujours avoir des pensées positives » lui répétait son psy.

« Penser à la vie avant de penser à la mort. Tu veux vivre, n’est-ce pas Alice ? » « Oui » avait elle répondu. Et le pire, c’est que c’était vrai. Sa tentative de suicide n’avait été qu’un acte désespéré dans un moment noir. Mais maintenant, ça allait mieux. Maintenant, il fallait voir le monde en blanc.

« Tu veux vivre, n’est-ce pas Alice ? »

Le lendemain, une nouvelle journée commençait, et la routine du matin, un vieux mécanisme qui ne savait que fonctionner, s’enclenchait. Lever, petit-déjeuner, salle de bain, au revoir, dehors. Comme à chaque fois qu’elle franchissait le portail, elle regardait si elle était espionnée, scrutait les angles morts et tachait de deviner d’où quelqu’un pourrait surgir. Comme tous les matins, la voie semblait libre.

Prenant une inspiration, elle se jeta à l’eau et s’élança dans la rue. Tendue, elle marcha d’un pas pressée vers le lycée. Elle était à une vingtaine de mètres des grilles salvatrices quand elle sentit son regard posé sur elle, scrutateur. A nouveau, l’angoisse revînt et elle entra dans l’établissement le cœur tambourinant dans sa poitrine.

« Si jamais quelque chose n’est pas normal. »

Les heures se succédaient, les cours allaient et venaient. Alice alternait entre écoute du prof et regards par la fenêtre. Seuls ses parents et les médecins savaient pour sa tentative de suicide, et c’était mieux comme ça.

« Si on était arrivé plus tard, tu n’aurais jamais survécu. Heureusement qu’on est arrivé à temps ! »

Soudain, elle se sentit son regard à nouveau. Avec effroi, elle releva la tête et tourna la tête de tous côtés. Il ne pouvait pas être dans la salle, c’était impossible… Elle se tourna vers la fenêtre. Et là, pour la première fois, elle le vit.

Dans la cour, tout au fond, une homme se dressait comme une menace. Droit, il portait un costume blanc, impeccable, avec pour seule tache de couleur une cravate rouge. Ses mains étaient croisées, comme quelqu’un qui attend quelque chose. Mais ce qui terrifia le plus Alice était son visage : il était entièrement recouvert d’une fourrure blanche, avait un museau à la place d’un nez humain, deux petits yeux de chaque côté de la tête et surtout deux longues oreilles droites. L’homme avait une tête de lapin.

L’horreur et la stupéfaction d’ Alice l’empêcha de dire quoi que ce soit ou de faire le moindre geste. Bien qu’elle soit à plusieurs mètres de lui, elle pouvait sentir l’aura malfaisante de la créature. Ses petits yeux, brillants comme des billes, soutenait son regard.

Et puis, tranquillement, le lapin blanc fit pivoter son corps et s’éloigna d’un pas souple.

A présent, la jeune fille était terrifiée. Le lapin blanc, cette créature surnaturelle, était ce qui la pourchassait depuis des semaines. Et maintenant, il n’hésitait plus à se montrer.

Malheureusement, Alice se doutait qu’elle ne pouvait en parler à personne : qui irait croire une jeune fille qui est persuadée d’avoir vu un homme à tête de lapin dans la cour de son lycée et que de surcroît, cet homme ne faisait que de l’espionner ? On trouverait ça absurde, on la prendrait pour une folle. On dirait que les médicaments qu’elle avait avalé cette nuit-là lui avait bousillé le cerveau, qu’on ne pouvait rien faire pour elle et qu’il fallait l’interner.

« Il peut y avoir des séquelles. »

Il fallait qu’elle se débrouille tout seule. Elle décida de rester au lycée jusqu’au soir, cachée dans une salle. De cette façon, la créature, en ne la voyant pas sortir, pensera qu’elle est déjà partie. Et dès qu’elle sera dehors, elle pourra courir jusqu’à chez elle. Le trajet ne durera que cinq minutes si elle court.

La jeune fille mit son plan à exécution. Même si ses cours se terminait à 16:00, elle se faufila dans une salle du premier étage encore ouverte. Elle prit soin de ne pas être visible à travers les vitres. Et elle attendit. Attendit.

« Heureusement qu’on est arrivé à temps. »

Quand la patience (qui n’était pas sa plus grande vertus) vînt à manquer, il était 18:15. À cette heure-là, il n’y avait plus cours, seulement des professeurs et du personnel qui travaillaient encore. Prudemment, le cœur battant, Alice ouvrit la porte de la salle et jeta un œil dans les couloirs. Ils étaient absolument déserts, et elle ne savaient pas exactement si cela devait la réjouir et l’angoisser. Il régnait un silence profond, comme si plus personne ne vivait dans ces lieux.

À petits pas rapides et discrets, elle traversa un premier couloir.

« La vie est vraiment effrayante. »

Un deuxième.

« Je n’aime pas les histoires effrayantes.»

Un troisième.

« Tu veux vivre, n’est-ce pas Alice ? »

Mais en arrivant devant les escaliers qui descendaient vers le rez-de-chaussée, elle se figea. Son sang se glaça, la peur manqua d’arrêter son cœur. Devant elle, juste en bas, le lapin blanc l’attendait.

Alice réagit aussi vite que ses jambes le lui permirent : elle fit demi-tour et se mit à courir. Derrière elle, elle entendit le lapin monter les escaliers et se mettre à sa poursuite. Terrorisée, Alice courrait de toutes ses forces courrait là où elle pouvait traversait les couloirs et les escaliers trop affolée pour se concentrer sur où elle allait. Le lapin blanc la poursuivait inlassablement, semblait toujours trop près d’Alice, prêt à l’attraper.

La fatigue commençait à gagner la fille, mais elle refusait de ralentir, poussait son corps à sa limite. À un moment, elle reconnut les couloirs du troisième étage et se souvînt qu’une salle était toujours ouverte. Elle utilisa ses dernières forces et fonça dans la salle qui était à quelques mètres. Gonflée à l’adrénaline, elle eut le temps d’y rentrer, de refermer la porte et de pousser l’une des tables contre elle.

Bam.

Le lapin blanc venait de donner un coup dans la porte, comme pour prévenir son entrée. Mais la porte ne s’ouvrit pas. Alice s’empressa d’empiler deux autres tables sur la première alors que le lapin blanc avait commencé à tambouriner contre sa protection de fortune.

Bam.

Sachant que cette barrière n’allait pas tenir longtemps, Alice regarda partout autour d’elle pour y trouver un échappatoire. Mais c’était une salle de classe parfaitement normale, et la jeune fille sentait qu’elle s’était piégée elle-même.

Bam.

Elle remarqua subitement les fenêtres. Elle se précipita sur la première, pleine d’espoir, et l’ouvrit en grand. Malheureusement, elle était au troisième étage et il était impossible de sauter et de s’enfuir par là sans se tuer.

« Tu veux vivre, n’est-ce pas Alice ? »

Alice prit conscience que le raffut du lapin blanc avait cessé. Lentement, elle se retourna.

La créature était entrée dans la pièce, sans bruit, comme par magie. A trois mètres d’elle, il la fixait. Paralysée par la peur, Alice ne pouvait plus bouger. Des larmes commençait à couler doucement sur ses joues.

Lentement, le lapin blanc sortit un objet d’une de ses poches de pantalon et le laissa pendre devant lui. Il s’agissait d’une montre accrochée à une chaîne dorée.

- Qu’est-ce que vous faites ?, demanda la jeune fille d’une voix rauque que la curiosité n’avait pas tu.

Le lapin blanc reporta son attention sur elle et rangea précautionneusement sa montre. Il plongea son regard inexpressif dans les yeux terrifiés de la jeune fille.

« Tu veux vivre, n’est-ce pas Alice ? »

- Je suis en retard, Alice.

Et il se jeta sur elle et la poussa par la fenêtre. Alice se sentit partir en arrière, consciente de tout ce qui se passait mais incapable de réagir, comme si le temps s’était suspendu. Dans un hurlement mortel, elle chuta et s’écrasa sur le sol, une dizaine de mètres plus bas. Le lapin blanc se pencha par la fenêtre ouverte : il constata le corps de sa victime, disloqué, les membres dans des angles inhumains, comme une marionnette bisée. Ses yeux si bleus était maintenant inexpressifs, vitreux. Sa bouche était encore ouverte, comme sur des mots qu’elle n’avait pas eu le temps de prononcer. Partout près d’elle, le sang se répandait, formant une auréole sanglante autour de son corps. Le lapin blanc avait tué Alice.

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