D'ici une demi-heure, mademoiselle Mathilde allait venir la chercher pour la mener au réfectoire. Depuis dix ans, la même scène se répétait avec la précision d'une horloge, à dix-huit heures pétantes.

Adèle se leva péniblement de son fauteuil. Sa silhouette frêle, voûtée par le nombre des années, parcourut à petits pas, la faible distance qui la séparait de sa coiffeuse. De sa démarche lente, mal assurée, saccadée, on s'attendait à ce qu'elle se dématérialise en poussière à chacun de ses pas.

Elle s'installa devant le miroir, comme elle le faisait tous les soirs. Sa main décharnée et tachée de taches brunes se saisit de la brosse à cheveux. D'un geste tremblant, elle s'appliqua à coiffer soigneusement ses cheveux blancs. Depuis toujours, elle était une femme coquette, prenant soin de son apparence. A quatre vingt dix ans, il en était toujours de mise mais entre les potions et les crèmes, son reflet dans le miroir lui disait que le temps était passé quand même. Son visage élégant s'était enrichi de rides qui plissaient son front, son glabelle et le contour de sa bouche fine. Ces deux sillons en forme de lignes droites qui descendaient jusqu'à ses lèvres, s'intensifiaient lorsqu'elle souriait. Son teint était resté quasi le même, un teint d'albâtre qui la faisait paraître quelques années plus jeune. Sous le poids des ans, ses joues s'étaient creusées, accentuant ses pommettes hautes sur lesquelles elle déposa un peu de fard rosé. On apercevait à peine ses minces sourcils que le temps faisait disparaître. Ses yeux d'un bleu azur pétillaient, illuminaient sa mine ridée par les années. Des yeux de biche, aimait lui répéter son aimé. Adèle appliqua un peu de rouge sur ses lèvres puis enroula ses maigres épaules d'un châle aux couleurs chatoyantes.

Elle était lasse d'attendre de rejoindre son bien-aimé. Sa vie avait été suffisamment longue. Elle avait connu tous les bonheurs et les avait tous perdus les uns après les autres.

Pour le jour où son heure viendrait enfin la surprendre, elle voulait être belle pour lui… belle comme au premier jour. Elle était prête.

Et, approuvant, le reflet du miroir lui sourit…