Un drôle d'annif

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Wesh, que ça commence mal cette soirée. Ça fait la troisième boîte de nuit qui veut pas de moi. J’ai trop de baskets, pas assez de costume, j’suis trop seul, pas assez accompagné ou je sais pas trop quoi encore. Je viens d’avoir 18 piges. À l’ASE, tu sors pas la nuit comme tu veux. Oh, je dis pas que j’ai pas fait les quatre cent coups, ça tu peux me faire confiance ! Dès qui y a un truc foireux à faire, je suis dans le quartier.

Bon ben, c’est foutu pour aller draguer en boîte. Après ce que je veux draguer, pas sûr que je trouve ça en boîte de la night ! Pas grave, ma life s’arrête pas pour autant. Une fine bruine trouble la lumière des lampadaires. Je me pose sur un banc anti SDF sous un abribus. Une nénette qui se fout comme une guigne du réchauffement climatique, est à moitié à poil en plein mois de janvier à Rennes. Elle me sourit et me propose de partir en vacances dans une île paradisiaque pour pas cher. Enfin pas cher, ça dépend pour qui ! Ouais, mais manque de pot, ma cocotte, avec ma peau couleur cul de blanc, mes cheveux blonds et mes taches de rousseur, ton île, ça va pas être le paradis très longtemps pour moi. À défaut de me préparer un bon petit cancer de la peau en me cramant l’épiderme, je m’en prépare un de la gorge en cramant une clope, puis une autre. À la moitié de la deuxième, une belle caisse rutilante, de celle qu’on voit dans les séries à la con, s’arrête. Un type sapé comme un milord en sort.

― Vous faites quelque chose ce soir ?

Pas bonsoir, pas coucou ! Rien ! Pas gonflé le gazier ! En plus ça renifle le sent-bon à dix mètres. Y faut bien le dire, il est vieux, 25-30 ans, mais il a de beaux restes. Un coup vite fait et peut-être que j’aurais un petit billet après, je peux pas passer à côté.

― Nan ! Que je lui réponds.

― Ça vous dit d’aller danser ?

― Ouais, pourquoi pas.

― Comment te prénommes-tu ?

― Ewen.

― Moi, c’est Paul. Enchanté, Ewen.

Je dois être maudit : dans l’habitacle surchauffé style bush australien, Julien Doré me chante Paris-Seychelles. Tout le monde veut me voir loin, très loin sur une île. Paul, mon gazier est bavard comme une pie. Il a 27 piges. Il est dans l’ITech. Il insiste pour savoir si je suis majeur. Je lui fous ma carte d’identité sous le nez.

On s’arrête dans une petite rue excentrée déserte. Les pavés brillent sous la bruine qui persiste. Il m’ouvre la portière comme si j’étais handicapé. On se dirige vers une enseigne en néon qui clignote :

Le Jaguar

Club privé

À droite de la porte cochère, une belle plaque en cuivre gravée indique les horaires et " Tenue correcte exigée " bien souligné.

Mon Paulo sonne. Un grand balaize au regard suspicieux ouvre. Ben, je dois avoir la bonne tenue car le videur nous laisse entrer. Il me gratifie même d’un sourire colgate. On passe devant un vestiaire où une femme toute fripée comme une vieille pomme et maquillée comme une voiture volée, interpelle Paulo :

― Bonsoir, monsieur Paul ! Oh, ce soir, vous êtes accompagné d’un très charmant jeune homme ! Je vous souhaite une excellente soirée à tous les deux.

― Merci, Manuelle !

Si elle avait pu lécher la mienne de pomme toute lisse, et plus si affinités, elle l’aurait fait la bougresse. Paulo se retourne vers elle et lui dit avec un clin d’œil :

― Pas touche ! Chasse gardée, Manuelle !

Mon vieux Paulo me prend la main et m’emporte vers une grande porte capitonnée. Il pousse les deux battants. Alors là, je m’attendais pas à ça. Un long zinc court le long d’un mur de miroirs avec des étagères transparentes supportant des verres et des bouteilles. Des pélots hissés sur leur tabouret de bar, sirotent des liquides colorés. Il y a de petites tables basses entourées de canapés en demi-lune tout autour d’une piste de danse recouverte d’un plancher en bois. Des boules à facettes miroitantes et des spots psychédéliques me niquent les mirettes. Des très vieux, des vieux, des jeunes et des couples ordinaires tournent sur des musiques de bastringue comme dans un vieux film.

Ils ont tous l’air content. Ils sont ravis d’être là. Mon Paulo me tire vers le comptoir, me propose de poser un cul et de boire un canon . Je zieute ces gens heureux.

― Tu sais danser ?

― Ben, nan !

― Viens, je vais t’apprendre !

Mais qu’est-ce que je fous là ? Qu’est-ce que je suis influençable ! Je pose mon blouson et hop, c’est parti mon kiki ! Y a un accordéon accompagné par un violon qui se met à marteler l’air. Des couples se forment et commencent à tournoyer. Mon Paulo m’emmène dans un coin de piste. Il me serre contre lui en posant une main ferme sur mon dos, pendant qu’avec l'autre, il saisit la mienne délicatement. Je fais pareil que lui.

― Laisse-moi te guider. Pour commencer, nous irons doucement.

Ouais, mais moi, j’ai 18 piges, une faim de loup, alors quand j’ai senti sa bite bandée contre ma cuisse, j’avais plus vraiment envie de danser. Il se rend pas compte mon Paulo, mais je me suis plus astiqué que j’ai pu baiser pendant ma courte vie !

C’est mon premier tango. Puis, mon deuxième. Puis, mon troisième. Et ainsi de suite. C’est tellement bien que j’en oublie la queue de mon Paulo et la mienne s’est mise au repos. On est comme des pingouins des tropiques glissant sur un parquet ciré. On se frôle. On se colle. On s’enroule. On tourne. On se rejette. On se rapproche. Paulo me fait faire le tour de la piste. J’ai l’impression de m'envoler.

Il trouve un recoin sombre et me roule une pelle mémorable, puis m'interroge :,

― Top ou bottom ?

― Les deux.

― Une préférence ?

― Top.

Ça doit lui convenir car il pousse une petite porte dérobée. On monte des escaliers.

― Tu veux du poppers ?

― Pas besoin !

Vu que c’est moi qui vais bosser, je préfère être en pleine possession de mes moyens. Il ouvre une nouvelle porte, se déshabille plus vite qu’un transformiste, sniffe sa fiole et me présente sa rondelle. Rapide, mon Paulo ! Raide, l’Ewen ! Je baisse juste mon falzar, j’enfile la petite combinaison en latex qu’il me tend, et en voiture, Simone. J’ai l’impression d’être l’empereur des baiseurs, toutes catégories confondues : il halète, il râle, il crie et en redemande. Je finis mon affaire, mais il en réclame encore. À genoux avec application et opiniâtreté, il me suce pour me rendre ma vigueur perdue. L’avantage de la jeunesse, c’est qu’il ne me faut pas longtemps pour pouvoir retourner au turbin.

Après ces gentils duels, épuisé, mais satisfait, il s’affale sur une méridienne :

― Tu fais ça souvent ? Me demande-t-il.

― Ben, nan !

― Tu couches dès le premier soir alors ?

― Ouais, je ne couche que le premier soir !

― Jamais les autres soirs ?

― Je sais pas, j’ai pas encore eu l’occasion.

― Tu veux continuer à apprendre à danser le tango ?

― Ouais, ça, je veux bien ! Je lui réponds avec enthousiasme.

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