Première version
L'amour au-delà des préjugés (première version). Illizi, le 11 octobre 2023.
Nous vivons dans la société la plus austère au monde. L'amour et la sexualité y sont des sujets tabous. On en parle à voix basse, uniquement entre des personnes de même âge.
Rien ne se dit ouvertement. Tout se fait en catimini. Tout se passe dans le secret. Même les femmes enceintes cachent leur grossesse.
On dirait que les bébés naissent par miracle.
La majorité des hommes partagent leur première expérience intime avec une fille de joie. Un mélange complexe de désir brûlant et de honte voilée. Pour les femmes, c'est souvent lors de la nuit de noces, quand elles se retrouvent dans les bras d'un homme jamais connu auparavant.
Découvrir l'amour, c'est compliqué. Les hommes et les femmes manquent d'occasion de se rencontrer. Les opportunités pour se connaître et s'aimer sont exceptionnelles. Dans les rares moments où leurs regards se croisent, ils s'échangent des éclairs de curiosité et de désir retenu, l'amour lui-même étant un fruit défendu.
Nos traditions ont créé une distance rigide entre les deux sexes, une séparation qui rend un exploit précieux le simple fait de faire des connaissances. C'est ainsi que les mariages «endogènes» sont devenus monnaie courante dans nos villages, scellant l'avenir des couples sans égard à leur vouloir et leurs sentiments.
Le plus troublant, c'est que nous n'avons pas le privilège de choisir notre partenaire. Nous n'épousons donc pas la personne que nous aimons. Ce sont nos parents qui décident de notre sort en nous mariant à la personne de leur choix. Peu importe qu'il s'agisse d'une parente ou d'une étrangère qui reste une énigme à nos yeux. Le plus souvent, quelqu'un que nous n'avons jamais vu ni connu.
Les visages des couples ainsi réunis reflètent une combinaison de résignation et d'incertitude, se demandant si l'amour trouvera un jour sa place dans leur vie.
Pourtant, le destin nous réserve parfois des surprises. Ainsi, nous pouvons trouver l'amour là où nous l'attendons le moins. Voici mon histoire.
* * *
Je m'appelle Arezki, natif de Tamazirt, un paisible village situé au cœur de la Kabylie. Je gagne mon pain quotidien en tant que cultivateur et éleveur de bovins. Ma vie est rythmée par cette double activité agricole qui m'a enseigné la valeur du travail acharné. Cependant, ce n'est pas dans les champs que j'ai découvert l'amour, mais dans un humble bar local.
Bien que je ne sois pas un habitué de ce genre d'établissement, c'est dans l'un d'entre eux que j'ai vécu ma première expérience amoureuse. Certains de ces lieux emploient des «serveuses» dont le rôle va bien au-delà de la simple distribution de boissons. Ces femmes, aux histoires personnelles variées, sont là pour offrir toutes sortes de services à la clientèle.
Dans notre pays, les maisons closes n'existent pas, du moins pas ouvertement. Trouver une partenaire consentante et un endroit où vous pouvez partager votre intimité en toute sécurité et en toute discrétion est un défi encore plus difficile à relever.
C'est dans ce débit de boisson que j'ai rencontré la femme avec qui j'ai connu une relation privilégiée par la suite. Ses yeux traduisaient un spectre émouvant de vulnérabilité et de force intérieure forgées par les épreuves de la vie.
À la fin de la toute première entrevue, je me suis permis de lui poser une question qui m'avait toujours taraudé : pourquoi des femmes se livrent-elles à la prostitution, au péril de leur vie et de leur honneur, bloquant ainsi toute perspective de vie familiale et conjugale ? Est-ce une quête insatiable de plaisir, une rébellion contre des normes rigides ou une tentation face à la promesse de l'argent facile ?
La pauvre fille m'a raconté qu'en ce qui la concerne, elle avait été victime d'inceste. Son propre père, un ivrogne, l'avait déflorée à la fleur de l'âge. Depuis, elle n'a pas pu se marier comme toutes les femmes de son entourage, car chez nous, les hommes n'épousent que des filles vierges. D'autre part, elle ne supporterait pas de vivre le reste de sa vie avec son propre «agresseur».
La jeune femme avait été confrontée à des circonstances difficiles, ce qui l'avait placée dans une situation complexe. Elle ne pouvait pas envisager un mariage traditionnel à cause de sa virginité volée. D'autre part, l'idée de passer sa vie aux côtés de son «agresseur» était inconcevable.
C'est pourquoi elle avait pris la décision de fuir sa famille pour gagner sa «liberté» et assurer sa subsistance, quitte à se lancer dans la prostitution. J'ai revu la fille à maintes reprises, et petit à petit, les choses se sont développées entre nous. Nos rencontres ultérieures ont approfondi notre relation, passant de la pitié à l'amitié, puis à l'amour, scellé par un mariage.
* * *
Inutile de vous de vous dire à quel point ma famille s'est opposée à cette union. J'ai tenu bon, je suis resté ferme et j'ai maintenu ma décision.
Pour une fois, je me suis imposé, je suis resté fidèle à mes principes. Ce n'est pas aux autres de choisir la femme de ma vie ! Après tout, ce n'est pas à autrui de me dicter leurs précepts et de m'indiquer avec qui je vais passer le reste de mes jours.
Ce n'était pas une mince affaire, mais peu s'en faut... Cette démarche, certes, n'a pas été sans défis, mais elle en valait la peine.
Peu après notre mariage, des villageois insolents ont commencé à me reprocher, notamment au café maure, d'avoir choisi comme épouse une femme «sans honneur».
Pour mettre fin à leurs aboiements, je leur ai dit l'amère vérité :
«J'ai épousé une prostituée pour en faire une femme honorable, et vous avez épousé des femmes honorables pour en faire des prostituées !»
Et ils savaient très bien de quoi je parlais !
J'ai pris ma pauvre femme pour l'aider à surmonter son passé, pour lui offrir une chance de dignité et une vie descente. Eux, par contre, ils ont choisi des femmes honorables pour en faire des épouses infidèles !
Ces mots ont été suivis d'un silence pesant, ayant pour effet de les faire réfléchir sur leurs propres choix et préjugés.
Notre histoire d'amour, malgré les critiques et les obstacles, est devenue un exemple vivant de la façon dont l'amour peut triompher des conventions sociales et des jugements préconçus. Elle a également ouvert la voie à une discussion plus large sur la compassion et l'empathie envers ceux qui ont connu des expériences difficiles.
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