Le Métavers
Ça s’est fait progressivement. Personne n’aurait accepté du jour au lendemain ces technologies. Pourtant, petit à petit, c’est devenu naturel. Comme une longue suite logique d’étapes qui nous ont amenés là depuis la fin du XXe siècle.
Un monde parfait ! Tout le monde ou presque vit désormais comme ça. Que ce soit pour le travail, les achats, les spectacles, les rencontres, les vacances… et même le sexe.
Fini, les pertes de temps dans les déplacements. Les bouchons, les attentes dans les gares ou les aéroports… Fini les inconvénients des voyages. Prix, douane, météo, vaccins, décalages horaires… Avec le Métavers, c’est comme si la téléportation était devenue réalité. Evidemment, c’est pas gratuit, mais on fait des économies ailleurs. On a envie d’aller passer une journée à la plage avec des amis de l’autre côté de la planète, c’est une question de quelques secondes et on y est. Et pourquoi ne pas finir la soirée dans un bar à Rio ? On y pense, on sélectionne et on y est. Pourquoi se contenter de la terre d’ailleurs ? Le Métalogue est tellement vaste qu’il n’y a presque plus de limites à l’imagination. Et quand cela arrive, de nouvelles entrées dans ce super-catalogue sont rapidement ajoutées.
Tout peut désormais se faire dans le Métavers. Les gens ne sortent presque plus de chez eux. Et quand ils le font, c’est par obligation ou par devoir, certainement pas par plaisir.
Evidemment, certains n’ont pas toujours le choix. Même si presque tous les métiers sont maintenant compatibles avec le Métavers, il existe encore quelques exceptions. Il faut bien faire tourner le monde réel, comme on dit. Les robots autonomes ne savent pas encore tout faire. Quand les tâches demandées dépassent leurs compétences, certains se connectent à des Mécavatars, ces espèces de robots semi-autonomes qui permettent d’effectuer n’importe quelle action dans le monde réel. Pour les cas extrêmes, il y en a même qui interviennent physiquement. Ces gars-là font un vrai sacrifice pour le plus grand nombre. C’est courageux et plus qu’honorable. On leur doit beaucoup.
Bien sûr, tout n’est pas encore possible dans le Métavers. Il faut bien de temps en temps répondre aux contraintes biologiques. Contrairement à nos avatars, on est bien obligés de se déconnecter, de sortir comme on dit. Pour réceptionner les livraisons de nourritures ou faire ses besoins. Les inévitables biobreaks. Certains tentent de perfectionner leur Métabox en y ajoutant des perfusions et des ‘systèmes d’évacuation’ pour espacer les sorties. On dit que quelques-uns ont eu des problèmes. Il y en a même qui disent qu’il y aurait eu des morts, mais c’est encore des rumeurs lancées par les Bloqués.
De vrais arriérés, ceux-là. Les bloqués disent qu’ils refusent de vivre enfermés dans une boîte. Ils essaient de nous expliquer qu’ils veulent Vivre. Sentir le monde. Respirer. Toucher les choses et les gens. Ressentir de vraies sensations. Rester humains. Tous des rétrogrades qui refusent le progrès ! Ils se font appeler les Vivants. Comme si, nous, on ne l’était pas ! En attendant, ce sont eux qui galèrent. A vouloir vivre en marge de la société. Sans accès à tous ces services que nous apporte le monde moderne. A devoir subvenir à leurs propres besoins à la sueur de leur front.
On dit que les concepteurs seraient passés à l’étape ultime. Qu’ils ne seraient plus obligés de se brancher pour vivre dans le Métavers. Ils ne se connectent pas, ils sont connectés ! Ou plutôt, ils se seraient transférés intégralement dans le Métavers. Plus de problème de biobreaks ! La liberté totale.
Certains n’y croient pas et disent que ce n’est pas possible. Beaucoup les jalousent. Ils garderaient cette technologie pour eux par égoïsme, qu’ils disent. D’autres les envient et se disent que c’est une question de moyens. Tous ceux qui peuvent se le payer, pas uniquement les concepteurs, se seraient transférés. Nous, les simples citoyens, nous devons encore sortir de temps en temps. Nous vieillissons, nous pouvons tomber malades. Eux n’ont plus aucune contrainte. Plus aucune limite. Ni dans l’espace ni dans le temps. Ce sont presque des Dieux !
— Des Dieux ! Quelles bandes d’idiots !
L’homme lâche la feuille de papier qu’il vient de lire à son ami et éclate de rire. Il se penche pour attraper son cocktail et lève son verre pour trinquer.
— A la vie ! La Vraie Vie ! lui répond son interlocuteur tout en attrapant une poignée de vrai sable blanc de la plage.
Il regarde les grains s’écouler lentement entre ses doigts.
— En un sens, ils ont peut-être raison, dit-il en admirant son nouveau yacht depuis la plage de son île privée. C’est bien grâce au Métavers qu’on a maintenant presque toute la planète pour nous. Sans limites, sans contraintes, sans ces millions de touristes.
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