Plume

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La prochaine fois… Je repose mon crayon, ferme les yeux et prends ma tête entre mes mains. La prochaine fois, aurai-je le cœur à vous donner de l’audace ? Ou de la timidité ? Une sensibilité ? Un cœur de pierre, peut-être ? Vous naissez dans mon esprit, je pense à vous, même la nuit, je vous fais rire, échanger, pleurer, hurler, vous battre, vous aimer… Je vous profile, vous façonne, vous sculpte patiemment, parfois même douloureusement.

Vous êtes vivants par le prolongement de ma pensée, par les mots que j’emploie à votre endroit. Vous m’appartenez et me fuyez dans le même temps. Je vous fais voir la lumière, et vous m’abandonnez finalement dans le vide de ma prochaine page blanche. J’adore pourtant vous faire vibrer, rouler entre mes doigts, répéter mentalement vos prénoms pour m’assurer qu’ils vous correspondent.

Certes, j’en maltraite quelques uns, mais je vous affectionne tous autant. Alors pourquoi courez-vous sur mes pages vous dévoiler à d’autres regards dès que je vous ai suffisamment apprêtés ? Pourquoi cette cruauté ? Je vous élève et vous quittez le nid sans un bruit, presque en faisant le mur, pour imprimer les sentiments d’un autre. Je vous hais, parfois. Je vous hais de vous aimer autant.

Le méritez-vous vraiment ? Qui donc me hait de me porter passionnément en son cœur ? Je rêve à vous, quelquefois. J’essaie de vous réconcilier, je vous apprends l’amour ardent qui vous transcende rien qu’en fermant les yeux. Je vous inflige des blessures psychologiques, physiques, des handicaps. Et je fulmine en vous voyant sauter dans le vide afin de vérifier par vous-mêmes si l’herbe est plus verte ailleurs.

Vous hantez mes souvenirs, tandis que vous paradez sous vos plus beaux atours pour séduire un maximum de lecteurs. Je puise en moi pour vous donner corps, vous me laissez vide. Pas de reconnaissance, pas de douce espièglerie. Vous vous exprimez grâce à moi, mais pour d’autres. Vous me devez la chance de vous dévoiler au monde. Mais qui pose les yeux sur ma lumière ?

Qui donc devine mes couleurs ? Je vous crée, vous consommez et succombez à l’ailleurs, à l’autrement. Vous trépignez d’impatience à l’idée de vous prélasser langoureusement sous des yeux inconnus. J’ai l’impression d’être devenue votre invisible obligée, celle qui porte la traîne de la mariée, loin derrière elle, et que personne ne remarque ni ne remercie. Vous récoltez tous les lauriers en omettant sciemment de leur rappeler que vous êtes moi.

Je devrais vous remplacer sous le feu des projecteurs, enhardie par leurs sourires engageants et leurs lectures ressenties. Tremblez donc de toutes vos lettres ! Qui sera donc ma prochaine victime ? Lequel d’entre vous subira les foudres déchirantes de ma plume ? Je me rends bien compte que vous ne me craignez pas. Vous savez tout de mes idées, de mon transport pour votre écriture.

Moi-même, je vous trompe avec les personnages nés d’autres mains. Parce que la douleur de votre départ est trop intense. Votre point final, que je sais inexorable, n’en est pas moins toujours aussi houleux. Il s’invite, comme un cheveu sur la soupe, conforté par la certitude de sa légitimité. Et il vous emporte dans son carrosse, vers de lointaines contrées, loin de mon quotidien perpétuellement rêveur et romantique, comme le preux chevalier libèrerait sa princesse.

Vous disparaissez de ma vue, de mes signes, mais je ne peux me résigner à vous refuser la tendresse avec laquelle vous êtes nés, même si vous n’en êtes pas dignes. Cette dernière semble m’avoir oubliée pour mieux vous envoûter de ses douceurs. Vous vivez heureux, repus de cette imagination génitrice et bienfaisante que vous repoussez brutalement, convaincus d’être vous…

Ne le voyez-vous donc pas ? Tiens, quelqu’un frappe à ma porte…

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