Equilibre
Il y a des carreaux sur ma feuille, je ne sais pas d’où ils viennent, qui les a faits, quelle est l’idée, le projet, mais on m’a dit de les remplir de mots et de raconter ce que j’ai fait aujourd’hui.
Comme les carreaux, j’ignore ce qu’est la vie, d’où elle vient, quelle est l’idée, le projet derrière mais on ne me demande pas cela, moi, on m’a demandé de donner la mort.
Je suis dans un service pédiatrique à l’hôpital public et aujourd’hui, j’ai pris en charge notamment une naissance difficile : après neuf mois de grossesses, un fœtus était arrivé à son terme mais ne voulait pas encore sortir du ventre de sa mère. Attendre plus le mettait en danger. Alors le médecin a pris la décision de forcer la naissance « dussé-je le chercher moi-même » dixit ce dernier.
Tout est préparé normalement pour faire cette opération. La Sagefemme est auprès de la mère et nous sommes trois infirmières pour soutenir le médecin.
L’opération dure un petit temps parce que la naissance ne veut effectivement pas se faire. Le médecin en arrive à aller jusqu’au bout de ses paroles. Il plonge ses outils jusqu’au cœur du nœud et il a tiré une première fois vers lui.
Tout a coup, le sol se met à trembler. J’ai un peu perdu l’équilibre et j’ai constaté qu’il n’y avait que moi qui avait ressenti quelque chose, pourtant les secousses ont été violente. Mon cœur se met à battre vite et je sens que l’on se paye ma tête.
Le médecin a repris ce qu’il faisait et il a tiré une deuxième fois. Au même moment, j’ai de nouveau senti des secousses, plus fortes encore, et j’ai entendu comme un grand et long déchirement venant de l’extérieur.
Je me suis reprit après cette deuxième interruption. Le médecin a tiré une troisième fois avec plus de vigueur. Je suis tombé à terre, comme poussé violemment par des mains invisibles. J’ai aussi porté mes mains à mes oreilles parce que le bruit de déchirure fut également plus violent et il a envahi toute ma tête.
J’ai peut-être crié, je ne me souviens plus, je ne me suis pas entendu.
J’ai peut-être crié après avoir porté mon regard à travers la fenêtre. Je pouvais voir le ciel entr’ouvert, c’est lui qui se déchirait, et laissait envahir le ciel bleu par un orage aux éclairs vert sombre, très sombre.
Le médecin m’a crié dessus, j’ai vu ses lèvres remuer du moins, je n’entendais qu’un grave bruit de tonnerre. Le médecin est retourné à son affaire, il a tire une dernière fois avec ses outils pour enfin sortir un enfant tout beau qui pleurait déjà, heureux, ou pas, d’être venu à la vie.
Là-dessus, j’ai tordu le cou du médecin. Un instinct m’a dicté de le faire. Une vie ne pouvait pas arriver maintenant sans une mort équivalente. On avait forcé la nature, elle n’avait pas prévu le coup et a cherché quoi faire. Elle a trouvé un bon pigeon pour exécuter son plan pour rétablir l’ordre de l’univers.
Une fois que le corps du médecin reposait à terre et celui de l’enfant était bien vivant dans les bras de sa mère, le ciel reprit ses couleurs normales, le tonnerre se tu et j’entendis de nouveau le chant des oiseaux à l’extérieur.
Puis mes collègues m’attrapèrent et me collèrent une camisole de force.
Voilà comment on remercie le sauveur du monde, de l’équilibre, de la vie.
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