La tempête s’était calmée mais les cieux menaçaient toujours autant. Passé minuit, une bonne partie du littoral des Mauvaises Contrées connaissent un fléau du nom de Glumeuses Hémoglophiles : des chauves-souris géantes, aussi appelées « vampires des ténèbres », qui effectuent une danse macabre le long des rivages. La lumière est leur seul point faible, c’est pourquoi le fidèle phare Lassicol apportait un semblant de réconfort dans cette obscurité dangereuse. Un énorme brasier se consumait au sommet de cette tour construite au cœur du port ; les Glumeuses se tenaient à distance. En promenant une oreille distraite sur les ragots et les conversations du quotidien des rues, j’avais malheureusement compris qu’une ou deux disparitions mystérieuses étaient à déplorer chaque mois, quand le phare Lassicol s’endormait le temps du ravitaillement en combustible. Mais, même avec ce brave gardien, sortir à l’extérieur de Der Fialova relevait de l’inconscience suicidaire car les Glumeuses sont trop imprévisibles quand elles sont affamées. Une sombre nuée de ces démons avait en outre élu domicile sur la plus haute tour du donjon du Château Sanguiny.

La falaise calcaire d’un côté et la mer de Nelberg de l’autre ne laissaient qu’une étroite bande de galets sur laquelle courait l’ombre d’un rôdeur. Une Glumeuse repéra ce festin de choix ; elle fondit sur sa proie rapidement, la gueule grande ouverte. Il n’existe pas d’innombrables façons d’échapper aux crocs d’une Glumeuse : la fuite reste la meilleure option. Dinael se plaqua contre l’immense falaise en attendant le bon moment pour sprinter vers une grotte assez proche. La Glumeuse, trop pressée, se fracassa alors contre la paroi rocheuse, faisant s’ébouler un pan entier du mur gigantesque. Dinael lui avait échappé. Il l’entendait crier sa douleur dans l’horizon noir salin, bien caché dans un étroit passage à moitié inondé, qui traversait la falaise en direction du jardin du Château Sanguiny.

La grotte était lugubre et humide ; Dinael alluma une torche de sa composition, avec un mélange d’huile, de salpêtre, de sodium et de soufre. Devant lui, les stalactites formaient une rangée de dents, comme celles d’un orque monstrueux. La grotte aboutissait bientôt sur une frétillante rivière souterraine et un tunnel vertical, sans doute le forage d’un puits. Appuyée sur la paroi, une corde y attendait ses mains. Il l’agrippa et, après quelques efforts, grimpa à la surface, dans une serre magnifique faite de verre et d’acier.

— Lénaïsse ? Où te caches-tu, ma belle ? murmura Dinael en agitant sa torche.

— Joshua, mon amour ! Je t’attendais avec grande impatience ! répondit la jeune femme, cachée derrière les épines de larges tiges de roses noires.

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