Âme sensible.

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Devant le miroir, le reflet glisse sur le desespoir de mon visage vide de quelconques sentiments. Les poings serrés, l'âme soulevée, j'admire mes yeux isolés dans la torpeur d'un sombre destin qui se dessine tout lentement à travers les veines apparentes et la fureur dessinée au crayon sur les lignes de mon corps. Le sang coule petit à petit dans l'évier, faisant quelques sons bien précis, bien éprouvant pour quiconque l'entendrait en temps normal. Des tic-tac assourdissants se mêlent à la scène horrifiques tandis qu'une flamme semble s'élever dans les airs, vaciller au contact d'un souffle animal qui s'anime petit à petit dans l'écho de la pièce carrelée.

Les paupières se relèvent, les sourcils retombent. Chacun des souffles apprécie le temps, le moment présent, et amène son lot d'inquiétude, de frustration calmée, de colère acerbe contrôlée par les impulsions d'un passé proche. Je regarde mes tempes grossir, maigrir, battre le tempo de la folie déchaînée, de la folie retrouvée. Je suis avec moi-même, je me parle en tête à tête, je souris tendrement sur les sombres contours de ma morphologie. Je me trouve beau. Je me trouve agréable. Je me trouve magnifique. Je me trouve tendre. Finalement, je me découvre petit à petit. L'être timide d'antan se compare au portrait de Dorian Gray. Fier, les épaules levées. Une oeuvre d'art peinte en rouge vif.

Une ombre, néanmoins, se retrouve en arriève plan. Se mouvant comme elle le peut dans l'obsucirité, dans les Enfers, vivant sa propre mort au demeurant sans savoir s'il est possible de se relever, de sentir encore son coeur battre la cage thoracique et amener ce petit palpitant significatif. Mais est-ce réellement véritable ce qui se passe à l'instant ? Est-ce un rêve ? Est-ce un cauchemar ? Est-ce qu'une âme en peine tente vainement de communiquer avec mon intérieur, me signifier qu'il y a de ces choses que l'on ne peut contrôler ? Peut-être que tout cela n'est que songes diaboliques, dictées par les démons eux-mêmes du point mort de la zone brûlante jouxtant le Styx flamboyant.

Je me retourne. Je prends une profonde inspiration. Puis, je retourne dans la chambre, enjambant l'âme maussade de mon Autre. La jubilation de mon imaginaire, de ma volonté qui se veut être amenée à se voir véritable. Je ne cache guère mon sourire, je l'affiche continuellement, admirant l'ensemble des projections qui peuvent se faire réalité. Je vois déjà que le sang qui coulait sur mes avant-bras, sur mes mains, sur mes poings serrés, sera présent au moment même où je pousserai cette porte qui me sépare de ma destinée, de ma sombre folie qui souhaite s'exprimer, de ce petit diable sur mon épaule qui m'ordonner de rendre justice à l'insatiable soif de sang que je possède au tréfond de moi-même.

Je pousse cette porte. Je la vois, elle. Je le vois lui. Ils sont toujours engoncés dans les draps de leur desespoir, ne sachant concrètement que faire pour échapper à l'affreuse vérité qu'ils offrent à mes yeux noirs. Ils m'ont prouvé que deux êtres peuvent aisément s'adonner à l'hédonisme, sans honte, dans un lit conjugual qui n'est pas le leur. Qui n'est pas le sien à lui. La découverte effroyable, le boulon de mon cerveau qui aura sauté. Effroyable. Épouvantable. Effrayant. Lamentable. Le dégoût s'empare de moi, de mon coeur, le sert dans un étau étouffant. Le broie dans un énorme fracas assourdissant. Mais je continue de sourire et d'avancer lentement vers eux. Ils tentent de communiquer, de temporiser, mais je n'entends rien. Je n'écoute rien. Je ne veux rien savoir. Je balance mon corps sur une impulsion du pied en avant, je saute sur eux.

Je m'arrête sur le corps lamentable de l'homme nu qui se couvre le visage m'ordonnant de ne rien faire que je pourrai regretter, s'excusant en lâchant sa bile nauséeuse sur mon visage féroce. Mes phallanges heurtent sa peau une fois. Puis deux. Un cri survient à côté de moi. Trois. Quatre. Le tic-tac devient de plus en plus sombre. Il dipose du temps à sa convenance. Cinq. Six. Le son de ces dents qui volent en éclat sous une puissance divine incontrolable. Sept. Huit. Je jubile intérieurement, ne sentant pas que mes os claquent les uns après les autres et que ma main se trouve en charpie. Neuf. Dix. La peau disparaît petit à petit, laissant les muscles à vif sur une machoire mouvante. Il expire une dernière fois. Un dernier râle de souffrance sans défense, qu'une défonce.

Elle se jète sur moi, mais il est trop tard. Je commence à rire devant elle. Elle s'échappe. Je la poursuis. Je la vois fermer les portes. Une après l'autre. Hurlant à qui voudrait bien l'entendre. Tentant de s'échapper de son sort après une infidélité consternante. L'écho de mon rire retentit comme une cloche d'église sonnant minuit. Elle passe la dernière porte et se retrouve à l'extérieur, courant nue et ensanglantée dans la nuit noire. Et je continue de la suivre. Je poursuis ma route avec l'idée fixe que mes pulsions souhaitent à nouveau voir le sang couler jusqu'à la jouissance interne de rendre justice.

Mais la raison passe par dessus la déraison. Et je m'éveille. Je suis toujours devant mon miroir, sentant les lamentations de Pan se déchaîner en moi et mon coeur perdre le contrôle tandis que je constate que mes rêves ne sont que des rêves et que la réalité est bien amère et prompt à rendre la folie irréalisable. Je me tiens la poitrine. Je m'écroule devant tant de douleur. Le tic-tac se poursuit, inéluctable. Incontrôlable. Pourtant si tangible. Je souffre. Je me blottis contre le parquet. Je me perds dans les dédales d'un esprit en proie à la mort véritable. Et j'expire mon dernier râle en entendant le son des cloches de l'orgasme se déroulant dans la pièce d'à côté.

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