Paix à son âme
A travers un chemin parsemé de gauche à droite de pierres tombales, une vieille femme se joint à l’une d’elle, étirant ses lèvres d’un beau sourire ridée.
« Te voilà. Je suis ravie de faire ta connaissance. Je viens souvent ici, mais toi je ne t’ai jamais rencontré. Comment vas-tu ? J’espère que tu te plais ici. »
Farfouillant dans sa besace, elle en sort un bouquet de marguerites qu’elle installe sur la stèle en retirant les quelques mauvaises herbes naissantes.
« C’est fou comme elles poussent rapidement ces mauvaises herbes ! Ta voisine doit penser la même chose, elle est là depuis… Vingt ans déjà ! Tu sais, lorsqu’on est en vie, on se dit que c’est beaucoup vingt ans. Mais en réalité, pas tellement. On reste si peu de temps sur Terre ! Nous ne sommes rien, ce n’est pas faute de nous l’avoir rabâché dans la Bible. »
La vieille femme pouffe de rire tout en prenant une balayette afin de nettoyer la tombe voisine, écarquillant subitement ses yeux.
« Excusez-moi, vous n’êtes peut-être pas croyant ! »
Au même moment, deux femmes s’approchent – quelques tombes plus loin – d’un sépulcre fraichement installé. Deux sœurs, l’une blonde, l’autre brune, l’une en pleure, l’autre indifférente. La blondine traîne fermement sa cadette, blasée de sa présence dans le cimetière.
« Comme il me manque… ! Mon Dieu, comme il me manque ! »
La jeune femme blonde, effondrée, s’agenouille face à la tombe et pleure à chaude larme. Sa sœur reste en arrière, le regard fuyant et soupire.
« Tu exagères.
- Et toi tu ne comprends pas ma douleur ! »
La brunâtre se place à côté de sa sœur, bras croisés. Elle appuie son regard sur le tombeau tout en secouant négativement la tête.
« Je ne te comprends pas en effet ! Qu’est-ce que tu lui trouvais ?!
- Il était si doux avec moi… Si attentionné. Il prenait soin de moi. Je pouvais lui faire confiance. Il était fidèle et savait comment me rendre heureuse. Mais c’est vrai, tu ne peux pas comprendre, toi. Tu as tous les mecs que tu veux, toi !
- Il te suffit de sortir plus souvent ! De m’accompagner dans les bars, dans les boites, ce n’est pas si compliqué ! Mais là, tu me fais vraiment pitié ! »
La vieille femme remarque toute l’agitation qui se trame dans le cimetière pourtant d’habitude si calme.
« Oh, la, la, vous entendez tout le boucan qu’elles font ? Un sacré spectacle pour vous ! Mais pour ceux qui viennent vous rendre visite, ce n’est plus vraiment un havre de paix pour se recueillir. »
Secouant la tête négativement, la vieille dame soupire et hausse les épaules, préférant se concentrer sur ses compagnons actuels.
« Tu es vraiment cruelle ! Mademoiselle a tout pour elle, elle est belle, la chouchoute de papa et maman ! Mademoiselle parfaite, mademoiselle je-sais-tout ! Lui au moins… Il ne pouvait pas me blesser, il ne pensait qu’à mon bien-être !
- Bah bien sûr ! Quand je t’écoute parler, c’est toujours ma faute de toute façon. Alors qu’en vrai, c’est toi la seule coupable, à ne pas avoir foi en soi. Moi, à ta place je me ferai plus jolie, déjà. Maquillage, de beaux vêtements, marre de te voir en vieux sweat Disney avec des jeans à moitié déchirés. Faut juste être plus souriante et sociable, voilà ce qui plait aux mecs ! Ce n’est pas si compliqué !
- Moi, moi, moi, tu n’as que ce mot là à la bouche ! Mademoiselle est la définition même du mot égocentré ! Et ma douleur dans tout ça ? Tu t’en moques, tu rigoles de moi et voilà que tu lèves les yeux maintenant ! Tu te fiches de moi, tu ne penses qu’à toi, tu… »
La brune soupire lourdement en tendant la main face à sa sœur, s’en était trop pour elle. Elle préfére s’écarter et laisser sa sœur dans sa détresse émotionnelle, seule. Se rapprochant alors de la vieille dame, elle faillit s’étrangler en entendant cette matriarche sénile discuter avec les tombes.
« Vous aussi vous leur parlez ?!
- Pardon ?! S’écrie la plus âgée, surprise de cette soudaine intervention. Oui, je parle avec eux. Pourquoi ? »
La brune pointe sa sœur du doigt. La vieille dame comprend alors que la jolie donzelle blondinette était dans la communication et qu’elle avait sans doute besoin de soutien. Empathique et généreuse, elle s’approche de la plus jeune, suivie par la brunette d’un pas lourd.
« Toutes mes condoléances mademoiselle, vous venez de perdre cet être cher ?
- Qui êtes-vous ?
- Eh bien sachez seulement que je parle aux âmes. Voulez-vous me parler de lui ?
- Oh oui… J’en étais éperdument éprise… main dans la main, nous ne formions plus qu’une seule et unique personne. Nous étions complémentaires, il me comprenait plus que quiconque. Son objectif principal était mon bonheur, mon bien-être. Avec lui, je voyageais à travers monts et merveilles.
- Quelle belle histoire… Un amour pur et sincère. J’entends que vous teniez très fort à lui.
- Oui… Il m’accompagnait partout. Restaurant, cinéma, nous faisions du shopping ensemble, toujours à me surprendre d’ailleurs… A la maison, il était avec moi dans la cuisine, la chambre, la salle de bain… Impossible pour nous de nous séparer.
- Il semblait vraiment vous aimez au point de ne plus vous lâcher en effet. Que de beaux souvenirs en perspective.
- Oh oui ! Il ne m’a jamais lâché, même épuisé à la tâche ! »
Excédée par ce qu’elle entend ; la brune recule de plusieurs pas. Impossible, impossible… Se répète-elle sans cesse. Elle est tombée sur deux folles dont l’une d’entre elle est sa propre sœur ! Si leurs parents étaient là, ils seraient aussi hébétés qu’elle. Indignée par tant de bêtises, elle se mit à hurler de toute ses forces.
« Mais arrêtez votre charabia ! Ce n’était qu’un godemichet ! »
Furibonde, elle s’en alla du cimetière, laissant une vieille dame sur le cul et une sœur dévastée par la mort… de son joujou préféré.
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