Des pas dans le sable
La mer en vagues blanches se succédant jusqu’aux confins de l’horizon. Sable doux en bande étroite et au bout, les rochers gris et noirs. Et près des rochers, à la lisière de la forêt frêle, la montagne de déchets que la mer continuait à amener sur l’île. Encore. Sur le sable, uniquement ses traces, éphémères, lui rappelant tout ce qu’elle avait perdu.
Tout avait été plein de vie sur cette petite île paradisiaque à son arrivée pourtant. Et un matin, lorsqu’Eva se réveilla dans sa petite chambre d’hôte en face de la marina, les rues et le port étaient désertes.
Elle descendit intriguée dans la boulangerie au coin de la rue, où elle avait pris son petit déjeuner le matin de son arrivée. A l’intérieur, il y restait encore une bonne odeur de pain juste sorti du four. Les vitrines étaient à moitié remplies, deux grands plateaux pleins attendaient sur le comptoir. Elle avait faim rien qu’en les regardant.
Mais dans la boulangerie il n’y avait personne. Elle émit quelques : « Bonjour, il y a quelqu’un ? » un peu timides, et attendit un bon moment, mais personne ne vint. Au bout d’un moment, elle décida d’aller investiguer dans l’arrière-boutique. Bien que les fours fussent encore allumés, et la pâte à pain étalée sur les plateaux, il n’y avait toujours personne. La peur commençait à la gagner, une peur sans objet, comme si elle se trouvait face à un ennemi lui aussi invisible.
Elle passa dans la boutique à côté, un coquet magasin de vêtements hors de prix. Personne.
Les locaux d’une agence immobilière suivant, la porte ouverte, papiers partout sur les bureaux, ordinateurs allumés avec de beaux montages photo en cours de finalisation, mais toujours personne…
Eva fit le tour de la ville, en entrant parfois dans les maisons, au début sonnant à la porte avant d’entrer, puis en ouvrant les portes directement et passant de pièce en pièce jusque dans les caves ou dans les toilettes. La ville était déserte. Même le commissariat était vide. L’hôpital, déserté également, avait les portes des urgences grandes ouvertes et une alarme déclenchée à l’étage des maladies infectieuses.
Eva paniquait. Où étaient les autres ? Pourquoi était-elle toujours là ? Était-ce un virus qui avait tué tout le monde ? Aucun corps ne se voyait nulle part. Et ses parents ? Ses amis ? Aucun téléphone ne fonctionnait, plus de connexion quelconque. Elle ne pourra jamais dire à cet ami d’enfance ce qu’elle ressentait toujours pour lui. Elle ne pourra jamais savoir s’il était disparu comme les autres, ou s’il était quelque part lui aussi à la recherche d’une réponse.
Plusieurs jours passèrent ainsi sans qu’elle trouve un indice, toujours seule survivante sur cette île aux allures de plus en plus spectrales. Elle se nourrissait dans les cuisines des restaurants, dans les habitations, elle passait ses journées à errer sur l’île. Au bout du troisième jour, épuisée par cette attente de quelque chose qui viendrait la saisir elle aussi, lorsqu’elle actionna les fours pour se préparer à manger dans un restaurant, elle vit la pile des assiettes blanches attendant en silence sur un comptoir.
Et du silence, Eva commençait à en avoir assez, plus que ce qu’elle pouvait supporter, elle se mit donc à casser toutes les assiettes l’une après l’autre, mais le silence y revenait après chaque fracas. Elle laissa les pains bruler et comme la fumée ne lui semblait pas assez épaisse, jeta les torchons dans le four ouvert. Mais les tuyaux d’arrosage anti-incendie se mirent en marche lorsque les flammes commencèrent à s’étendre hors du four…
Le lendemain, elle tenta de nouveau de briser le silence, cette fois en allumant le gaz et attendant dehors que la lumière allumée provoque une étincelle.
Quand le restaurant explosa, en soufflant les vitres des bâtiments tout autour et se consommant dans les flammes, Eva se sentit mal à l’aise. Elle était en train de devenir folle.
Les jours passaient pareilles, sans remède. Elle commença à écrire un journal. Se mit à rechercher systématiquement une trace de ce qui pouvait expliquer cette mystérieuse disparition. Se mit à chercher un contact humain en dehors de l’île, à appeler à l’aide sur des fréquences radio, à chercher à joindre quelqu’un depuis la seule ligne de téléphone fixe qu’elle trouva. Mais le monde humain semblait éteint.
Un soir, lorsqu’elle errait sur la plage, proie à sa mélancolie, elle s’arrêta pour observer les déchets que la marée amenait encore sur l’île, des canettes de soda, bouteilles en plastique, restes de boîtes alimentaires …
Dans la lumière tombante, elle vit une petite silhouette courant sur la plage vers la ligne des dernières vagues. Un enfant.
Eva retint son souffle. Un enfant vers 3-4 ans, courant comme si de rien n’était, en contre-jour de ce merveilleux couché de soleil tropical. Elle s’approcha avec le cœur battant, craignant une tromperie de son imagination, ou un jeu d’ombres des rochers, mais c’était bien un enfant, et derrière lui une jeune femme.
Et tout d’un coup, la plage se remplit de monde, de transats, de parasols, de serviettes étendues sur le sable, de bruits de moteurs sur la ruelle étroite derrière, de cris d’enfants courant partout à la lisière des vagues.
Eva hurla d’effroi, un cri inhumain, en regardant autour avec des yeux paniqués, et courra hors de la plage, hors de ce monde qui avait surgit d’un seul coup dans sa solitude absolue, alors qu’elle avait perdu tout espoir.
En courant, elle fut heurtée par une voiture qui la klaxonnait désespérément. Elle aperçut le bâtiment du restaurant encore fumant quelque part au bout de la rue, les vitrines autour placardées, et des larmes de délivrance jaillirent de ses yeux alors qu’elle tombait au milieu des passants.
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